Fin des camps. Libérations des déportés
Michel Fabréguet, Peter Kuon, Yves LescureRésumé
À la veille du 70e anniversaire des libérations des camps, le dossier que nous ouvrons aborde des aspects peu connus de la fin du système concentrationnaire nazi. Daniel Blatman étudie le processus, les acteurs et les enchaînements des évacuations et marches de la mort, notant que, dans cette phase ultime, la distinction entre les populations visées jusque-là par le génocide et les autres catégories de détenus ne tient plus, les juifs formant un groupe, numériquement important, parmi les autres. Du côté des bourreaux, il en vient à conclure : « Il semble qu’il n’y ait jamais eu tout au long du génocide nazi un pouvoir aussi étendu placé entre les mains d’autant d’individus qui avaient la possibilité d’assassiner ou non selon leur bon vouloir. » Detlef Garbe décrit ensuite la complexité du processus de liquidation du complexe de Neuengamme avant l’arrivée des Anglo-Saxons, ses phases alternées d’évacuation et de regroupements de détenus dans des camps « mouroirs », une libération anticipée de Scandinaves au terme de tractations entre Himmler et Bernadotte, son lot de massacres (politiques et enfants cobayes à faire disparaître) et sa tragédie finale en baie de Lübeck, les feux de l’aviation britannique coulant les navires d’où des milliers de détenus furent précipités dans les eaux glacées de la Baltique. Peter Kuon analyse vingt-six témoignages de survivants français et la représentation qu’ils donnent de la libération de Mauthausen, certains (Pierre Daix et Michel de Boüard) contribuant à la construction d’un récit mythique de la libération. Alexander Prenninger revient sur les événements traumatisants de l’évacuation du camp annexe de Melk vers le camp central de Mauthausen et le camp annexe d’Ebensee, transformé en camp-mouroir, en avril 1945. Éric Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier se sont intéressés au sort de rescapées françaises accueillies en Suisse. Ils analysent le comportement de ces femmes, tiraillées entre les exigences contradictoires de l’oubli et du témoignage, ainsi que la différence de considération accordée au retour à deux sœurs, l’une déportée résistante et l’autre déportée juive (Denise et Simone Jacob).
Jacques Aron, dans la rubrique Varia, nous ramène à Weimar en retraçant les circonstances qui ont conduit à l’assassinat d’un universitaire juif allemand, Theodor Lessing, qui s’était élevé contre l’élection d’Hindenburg.
Pour nourrir la réflexion didactique et pédagogique, Laurence De Cock et Charles Heimberg jettent un regard critique sur l’injonction mémorielle en milieu scolaire, et la journée du 27 janvier consacrée à une réflexion sur la « mémoire », centrée sur l’issue de la criminalité de masse, au détriment de l’étude/compréhension des processus qui l’ont rendue possible. Bertrand Hamelin, pour finir, présente et commente avec pertinence le travail pionnier d’historiographie sociale réalisé par Nicolas Mariot sur les intellectuels combattants pendant la Première Guerre mondiale.
Sommaire du numéro
Les marches de la mort et la phase finale du génocide nazi
Daniel BlatmanPeu étudiées dans leur spécificité historique, les marches de la mort ne peuvent être assimilées au génocide des juifs. Dans les derniers mois d'existence du système nazi, les détenus des camps formèrent une population très hétérogène et complexe qui fusionna, et au sein de laquelle les juifs ne représentaient plus qu'un groupe important. La désorganisation administrative et l'incohérence des instructions données par Himmler conférèrent un rôle-clé aux autorités locales dans les préparatifs et le déroulement de l'évacuation des camps. Les...
Lire la suiteL’évacuation du camp de Neuengamme et de ses Kommandos au printemps 1945
Detlef GarbeLe camp de Neuengamme est le seul camp principal entièrement évacué à la fin de la guerre. C'est pourquoi il ne fut pas rattaché aux images connues des horreurs d’autres camps, aussi bien pour les libérateurs que pour le grand public. La phase d’évacuation de Neuengamme et de ses plus de 85 Kommandos dans le nord-ouest de l’Allemagne ne représente qu’une courte période dans l’histoire du camp qui eut six ans et demi d'existence. Pendant six semaines environ, de fin...
Lire la suiteHéros ou victimes ? La représentation de la libération du camp de Mauthausen dans les témoignages écrits de survivants français
Peter KuonLa libération est l’événement qui clôt le récit concentrationnaire. Pour les survivants, qu’ils écrivent immédiatement après la guerre ou quelques décennies plus tard, l’événement s’est transformé en souvenir qu’il faut exhumer pour en donner une représentation. Représentation individuelle, certes, qui cherche à restituer au je concentrationnaire son identité. Représentation collective, en ce qu’elle définit le sens de l’événement pour un groupe aux mêmes convictions politiques, religieuses ou idéologiques. Quelles sont alors les motivations des uns et des autres pour présenter...
Lire la suiteEntre angoisse et espoir. Expériences de survivants de l’évacuation du camp annexe de Melk
Alexander PrenningerLe rôle de Mauthausen comme camp d’évacuation ainsi que la dissolution des camps annexes n’ont, à ce jour, guère fait l’objet de travaux de recherches. Pour les détenus, l’évacuation du camp annexe de Melk était la dernière étape d’une série de convois depuis le début de leur déportation. Elle était associée à l’angoisse de se faire tuer dans les derniers jours et à l’espoir de la libération proche. Les expériences des survivants sont cependant extrêmement diverses selon les méthodes adoptées...
Lire la suiteLa Suisse et les déportées, 1945-1947 : accueil, témoignage, prise de conscience
Éric Monnier, Brigitte Exchaquet-MonnierDe l’été 1945 au printemps 1947, quelque 500 anciennes déportées, la plupart résistantes mais aussi juives, sont venues en convalescence en Suisse à l’initiative de Geneviève de Gaulle. Dans le prolongement du livre qu’ils ont consacré à cette page peu connue de l’après-déportation, les auteurs s’interrogent sur la prise de conscience de la déportation en Suisse, par le biais des témoins et de la presse, sur le témoignage et/ou le silence des déportées, sur l’héritage du traumatisme…
Lire la suiteVaria
Signes avant-coureurs de la terreur nazie
Jacques AronCet article accompagne la publication de l’ouvrage de Jacques Aron, Theodor Lessing, le philosophe assassiné, L’Harmattan, Paris, 2014, qui comprend aussi une anthologie de textes du philosophe traduits de l’allemand par l’auteur.
Lire la suiteChronique didactique
La Journée de la mémoire et ses pratiques scolaires. Une évocation critique
Charles HeimbergLire la suite
Compte rendu
La lutte des classes ?
Bertrand HamelinNicolas Mariot, Tous unis dans la tranchée ? 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple, Paris, Seuil, 2013, 496 p.
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