N°4 / Fin des camps. Libérations des déportés

Les marches de la mort et la phase finale du génocide nazi

Daniel Blatman

Résumé

Peu étudiées dans leur spécificité historique, les marches de la mort ne peuvent être assimilées au génocide des juifs. Dans les derniers mois d'existence du système nazi, les détenus des camps formèrent une population très hétérogène et complexe qui fusionna, et au sein de laquelle les juifs ne représentaient plus qu'un groupe important. La désorganisation administrative et l'incohérence des instructions données par Himmler conférèrent un rôle-clé aux autorités locales dans les préparatifs et le déroulement de l'évacuation des camps. Les escortes constituées d'éléments disparates, pas forcément SS, mais travaillés douze ans durant par la propagande, considéraient les détenus  comme une entité collective menaçante et déshumanisée. Les meurtriers décidaient seuls du moment de passer à l’acte, selon un calcul combinant l'utilité, l'efficacité et les opportunités. Jamais au cours du génocide planifié et bureaucratique un tel pouvoir ne fut placé entre les mains d'autant d'individus.

La version originale de cet article, « The Death Marches and the Final Phase of Nazi Genocide », a été été publié dans l'ouvrage suivant : Jane Caplan, Nikolaus Wachsmann (éds), Concentration Camps in Nazi Germany : The New Histories, Londres, Routledge, 2009. Traduit de l’anglais par Damien Lescure.

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Les recherches sur l’origine et le développement du génocide nazi rencontrent quelques difficultés, dès lors qu’il s’agit d’analyser et d’expliquer sa phase finale. L’explosion de violence et de haine lors de la dernière période de la guerre pendant laquelle des centaines de milliers de prisonniers de camps de concentration, de prisonniers de guerre et de travailleurs forcés furent évacués des milliers de camps de concentration ou d’autres lieux d’incarcération ou de travail forcé au cours de la retraite d’un Reich vacillant laisse de nombreuses questions en suspens et ne laisse pas d’étonner. En janvier 1945, selon les archives nazies, quelque 714000 prisonniers croupissaient encore dans les camps de concentration. On peut affirmer, sans trop se tromper, que le nombre exact était infiniment plus élevé, puisque même les administrateurs et le personnel de cet univers concentrationnaire, comme l’appelle David Rousset, étaient incapables d’estimer son ampleur avec précision[1]. Le chiffre cité plus haut néglige également le nombre, inconnu, de prisonniers, de personnes incarcérées, de travailleurs forcés qui se trouvaient ailleurs au sein du système de répression nazi, ainsi que nombre d’ouvriers dans les entreprises privées, de prisonniers de guerre et autres prisonniers de camps de concentration ne figurant pas au répertoire des camps connus. Les habitants de cet univers particulier étaient disséminés dans des centaines de camps, de différentes tailles, qui s’étendaient, au sein de l’empire nazi en déroute, depuis le Rhin à l’ouest jusqu'aux rivages de la Vistule à l’est et depuis les rivages de la mer Baltique au nord jusqu’au Danube dans le sud. Les résidents de cet univers formaient un microcosme particulier au sein des victimes de la terreur nazie. Ils incluaient des individus européens de toutes nationalités dont certains s’étaient retrouvés piégés dans des pays qui n’étaient pas tombés sous le contrôle des nazis ou d’autres qui avaient combattu l’Allemagne. Chacun de ces prisonniers avait terminé dans un camp après avoir été persécuté pour différentes raisons : raciales, politiques ou religieuses. Quelque quatre mois plus tard, lorsque le tumulte de la guerre cessa en Europe et que le IIIe Reich disparut de la scène historique, au moins 250 000 d’entre eux étaient décédés. Beaucoup d’autres périrent très peu de temps après la libération en raison de leur condition physique dramatique. La dernière phase de la guerre fut extrêmement meurtrière, même en la comparant au génocide nazi dans son ensemble.

À partir de la mi-1944 et plus spécialement à partir de 1945, les organes gouvernementaux et administratifs des zones occupées en Pologne furent sévèrement perturbés. Le même phénomène se produisit au sein de l’Altreich dans les derniers stades de cette période. L’avance rapide de l’armée soviétique et la retraite précipitée de la Wehrmacht provoquèrent des vagues gigantesques d’exils et le départ de millions de civils fuyant à la fois la terreur de l’occupation soviétique et les soldats de l’armée Rouge. À bord de centaines de milliers de véhicules et de charrettes, voire à pied, ils parcoururent des centaines de kilomètres vers l’ouest de peur d’être rattrapés par la main vengeresse du soldat soviétique. Accompagnant cet exode massif et ajoutant à sa panique, de nombreux témoignages font mention de viols sur des milliers d’Allemandes, des femmes et des jeunes filles, ainsi que de meurtres, d’expropriations et de pillages commis par les soldats de l’armée Rouge[2]. Dès le début de 1945, des rapports des services secrets américains et britanniques décrivent la fuite panique de dizaines de milliers de civils allemands tentant de sauver leur vie et traînant derrière eux les maigres affaires qu’ils avaient pu récupérer[3]. Des sources allemandes rendent compte également du désordre gigantesque qui régnait en Haute-Silésie lors de la retraite de l’armée allemande au cours des mois de janvier et février 1945. Ils font état de l’écroulement complet de l’administration et du meurtre de prisonniers dont la présence a créé des encombrements sur les routes. Quant aux moyens de transport, ils étaient pris d’assaut par les civils, les militaires, les forces de police, ainsi que par les cols blancs du coin qui tentaient de sauver leur vie[4].

La coïncidence entre les dernières évacuations des camps de concentration de grande importance en Pologne (Auschwitz, Groß-Rosen et Stutthof) et l’évacuation à grande échelle de civils et de troupes qui stationnaient à cet endroit – les deux événements intervenant à quelques semaines d’intervalle l’un de l’autre – influença de façon évidente l’explication traditionnelle des meurtres de prisonniers de camps de concentration, telle qu’elle était proposée dans les premiers mois de l’après-guerre. Rudolf Höß, commandant du camp d’Auschwitz entre 1940 et 1943, puis chef du bureau D-1 à l’Inspection des camps de concentration (Inspektion der Konzentrationslager-IKL), rapporte dans ses mémoires que le destin tragique des prisonniers au moment de l’évacuation des camps est dû à une préparation négligée et fautive de la part de ceux qui avaient la charge de la mettre en place, à savoir, les commandants des camps situés à l’est. Rudolf Höß explique que le commandant du camp d’Auschwitz, Richard Baer, ne se préoccupa en aucun cas de préparer les infrastructures nécessaires à l’évacuation du camp, alors même qu’il avait tout le temps nécessaire pour le faire. Baer laissa la responsabilité de l’évacuation aux officiers subalternes dont la seule préoccupation était de déguerpir le plus vite possible avant l’arrivée des troupes soviétiques. Le jour de l’évacuation, ils se trouvèrent dans la nécessité d’évacuer des centaines de milliers de prisonniers dans les conditions dantesques d’un système en déroute auquel s’ajoutait une retraite panique, ce qui conduisit à la mort et à l’assassinat d’un grand nombre de prisonniers qui ne purent supporter les conditions dans lesquelles ils étaient évacués[5]. Les responsables des services secrets américains apportèrent des explications sensiblement identiques après la guerre. Le taux de mortalité très élevé des prisonniers pendant les évacuations, relevaient-ils, était le résultat d’une préparation bâclée, de restrictions sévères en transport et en nourriture, de conditions hivernales très dures et d’une logistique défectueuse[6]. Néanmoins, ces raisons structurelles et circonstancielles tombent à l’eau dès lors qu’il s’agit d’expliquer l’horrible tragédie des évacuations des camps.

Au moment où la guerre entrait dans ses derniers mois, le génocide nazi était un fait publiquement reconnu. Sa phase finale – qui débute à l’été ou l’automne 1944 pour se terminer au moment de la reddition de l’Allemagne en mai 1945 – ne trouve  en revanche pratiquement aucun écho dans la presse du monde libre et n’attire que peu l’attention de la presse hébraïque en Palestine. La presse britannique et américaine parle très peu des camps de concentration, encore moins de l’évacuation et du meurtre de prisonniers dans les derniers mois de la guerre. Si les médias font mention de l’évacuation de prisonniers retenus par les Allemands dans des camps à l’est, c’est presque à chaque fois dans le contexte de prisonniers de guerre alliés dont le destin suscitait infiniment plus d’intérêt que celui des détenus de camps de concentration[7]. C’est seulement en avril 1945 que des articles racontant ce qui s’était passé dans les camps de concentration avant la libération commencèrent à se répandre dans la presse, plus spécialement après que les forces armées américaines furent parvenues dans ces camps pour y découvrir les atrocités qui y avaient été commises avant leur évacuation. La découverte de monceaux de corps criblés de balles, incinérés ou tordus dans tous les sens, à laquelle s’ajoutait celle de squelettes ambulants qui avaient échappé à la mort, fit l’effet d’une bombe dans la presse américaine et donc auprès du public[8]. Néanmoins, cette information n’entraîna pas de recherches plus approfondies sur les marches de la mort. En fait, ce terme ne fut même jamais employé dans les journaux. Les atrocités que l’on venait de découvrir, dont certaines provenaient de témoignages de prisonniers récemment libérés, contribuèrent davantage à fixer une certaine image du nazisme dans l’imaginaire occidental qu’à expliquer de façon objective le génocide nazi durant les derniers mois de la guerre.

Aux procès de Nuremberg, les références aux derniers mois de la guerre et aux évacuations des camps ne permirent pas de prendre la pleine mesure des marches de la mort ni de la nature des meurtres qui les accompagnèrent. Bien évidemment, les procès ne se focalisaient pas exclusivement sur la Solution finale nazie du problème juif ni sur l’unicité et les spécificités du génocide nazi. Les discussions de ce genre, dans le cadre des références au problème principal qui était débattu à Nuremberg – la perpétration de crimes contre l’humanité – n’avaient généralement lieu que lorsque les accusés étaient interrogés sur les postes qu’ils occupaient, leur position vis-à-vis de la politique raciale de l’Allemagne nazie ou leur rôle pendant les exterminations[9].

Le problème des évacuations des camps de concentration fut soulevé lors du procès de Ernst Kaltenbrunner, le successeur de Heydrich à la tête de l’Office central de la sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt-RSHA). Toutefois le débat judiciaire qui s’ensuivit se concentra sur des points d’administration et de commandement. La Cour tenta de déterminer quels étaient les officiers qui avaient pris les décisions, ceux qui les avaient appliquées lors de l’évacuation du camp et ceux qui étaient à l’origine de plans d’une cruauté sans pareille consistant à vouloir assassiner les prisonniers de plusieurs camps de concentration à l’aide d’explosifs, de poisons ou d’attaques aériennes avant l’arrivée des armées de libération. Même pendant l’année 1946, lorsque les forces d’occupation alliées conduisirent toute une série de procès contre des criminels de guerre qui avaient servi dans les différents camps de concentration, les marches de la mort furent rarement traitées comme une spécificité au sein du génocide nazi. Et lorsque l’on évoquait les évacuations, l’accent était mis sur les poursuites légales permettant de déterminer quels étaient les responsables d’une situation aussi chaotique qui avait conduit à la mort des centaines de milliers de prisonniers. Bien évidemment, les accusés en faisaient retomber la responsabilité sur l’échelon supérieur, quand et surtout s’il y avait parmi eux un commandant de camp de concentration.

On peut sérieusement douter de la capacité du système judiciaire d’après-guerre à traiter les marches de la mort selon un angle autre que celui de la recherche des responsabilités dans l’élaboration des ordres d’évacuation et de la préparation des prisonniers pour cette même évacuation. Il ne faut cependant pas surestimer l’importance de ce débat, ni les documents qu’il a mis au jour si l’on souhaite comprendre le système et son fonctionnement dans les derniers mois de la guerre. Il laisse notamment en suspens la question des prisonniers au moment de l’évacuation du camp. Les réponses à de nombreuses interrogations doivent être cherchées ailleurs : pourquoi les convois se sont-ils transformés en marches de la mort sans fin ? Qui étaient les meurtriers et quels étaient leurs motifs ? Qui étaient les victimes ? Comment la population civile (polonaise, allemande, autrichienne) a-t-elle réagi à l’égard de ces centaines de milliers de prisonniers évacués ?

Dans les procès ou les enquêtes suivantes, conduits en RFA ou en Autriche, le phénomène des meurtres commis pendant les évacuations et les marches de la mort fut à nouveau mis en discussion. Au cours des quarante dernières années du XXe siècle, le système judiciaire produisit des centaines de dossiers d’enquêtes concernant ces meurtres ou les mauvais traitements infligés aux prisonniers à l’occasion des marches de la mort. Des témoignages furent recueillis, des témoins furent interrogés et des rapports d’enquêtes sur les charniers découverts le long des routes d’évacuation furent examinés avec la plus grande attention. La masse de documents ainsi obtenue nous permet de retracer avec précision le déroulement de meurtres bien précis de prisonniers ou, dans plusieurs cas, de massacres qui se produisirent pendant les marches de la mort. Cette documentation est d’une importance extrême lorsqu’il s’agit de traquer et d’arrêter un meurtrier anonyme qui escortait un groupe de prisonniers le long des routes d’évacuation. Elle ne nous permet cependant à l’évidence, de répondre qu’à un nombre limité de questions.

On reste perplexe devant la proportion infime des recherches sur les marches de la mort dans l’historiographie nazie en regard de l’abondance des témoignages des survivantes et des autres sources d’archives à la disposition des chercheurs. Raul Hilberg ne consacre que quelques pages aux évacuations, se concentrant surtout sur celle d’Auschwitz qui débuta à l’automne 1944 pour se terminer en janvier 1945, au moment où les Allemands quittèrent le camp et où les prisonniers furent disséminés dans différents camps en Allemagne. Le sous-chapitre qui traite de cette question et qui s’intitule « Liquidation of the Killing Centers and the End of the Destruction Process » [Liquidation des centres d’extermination et fin du processus de destruction][10] est un très bon exemple de l’approche, qui a prévalu pendant des années, concernant la nature des meurtres qui furent commis dans les derniers mois de la guerre. Lorsque les grands centres d’extermination de l’est furent évacués puis détruits, l’appareil meurtrier qui caractérisa la Solution finale fut supprimé, et ce génocide d’un type particulier prit fin. C’est pourquoi la criminalité en question ne peut être associée à celle qui a caractérisé le génocide nazi dans sa période extrême. Leni Yahil a longuement écrit sur les marches de la mort, soulignant que l’augmentation considérable du nombre de détenus dans les camps dans la dernière année de la guerre, répondait au besoin en main-d’œuvre de l’économie de guerre et que cette formidable concentration de population était considérée, jusqu’au dernier homme et jusqu'à la dernière femme, comme ennemie du Reich. Elle résume son propos sur les marches de la mort en attribuant ce phénomène de folie meurtrière comme le dernier sursaut d’un régime aux abois, réglant ses comptes avec ses victimes pour se venger d’une défaite devenue inévitable[11]. Saul Friedländer, dans son livre sur les années d’extermination, ne consacre que quelques pages à ces derniers mois meurtriers, insistant sur le chaos qui régnait et attribuant la responsabilité des évacuations meurtrières au fait que personne n’en était vraiment en charge[12]. Gerald Reitlinger, dans son livre fondateur sur la destruction de la communauté juive européenne, partage également cette conclusion[13].

Il est peut-être possible d’avancer une explication qui permettrait de comprendre pourquoi cet épisode des marches de la mort a été simplement englobé dans l’historique général de l’écroulement du IIIe Reich. Comme il a été dit plus haut, les rapports des services secrets alliés ont décrit, dès le début de 1945 et dans les mois qui suivirent, l’état de chaos général de cette période. De nombreuses monographies sur l’histoire du génocide nazi en rendent compte et le citent comme la raison la plus probable pour expliquer les derniers mois de la guerre. Les installations destinées au processus d’extermination avaient été démantelées, la bureaucratie meurtrière tombait en lambeaux et la plupart des fonctionnaires de la police de sécurité, du SD[14], et des camps d’extermination – ceux dont c’était la fonction première – n’étaient plus en fonction au cours des mois que dura cette folie meurtrière désorganisée. Pendant des années, les marches de la mort restèrent les manifestations caractéristiques de la période crépusculaire d’un IIIe Reich en marche vers sa disparition certaine, dans un climat de violence, de feu et de sang.

Il y eut, bien sûr, d’autres tentatives d’explication du phénomène. Les chercheurs israéliens, principalement dans les décennies 70 et 80, tentèrent de relier cette période meurtrière aux étapes de la Solution finale antérieures à 1944[15]. Le fait que l’épisode des marches de la mort succédât de près à la dernière grande opération meurtrière (qui visa principalement la population juive hongroise) et que les Juifs fussent en nombre parmi les prisonniers durant ces évacuations, a pu conduire à conclure de manière simpliste que les marches de la mort représentaient le dernier stade de la Solution finale. Pourtant, au cours de ces mois, les prisonniers des camps formaient une population très hétérogène et complexe qui fusionna dans les dernières années de la guerre, sous l’effet de contraintes et de circonstances exceptionnelles. Dans cet ensemble, les Juifs ne représentaient qu’un groupe, encore qu’important. Plusieurs critères en vigueur dans les années de la Solution finale n’eurent plus cours à cette période, durant laquelle l’extermination emprunta une voie différente. C’est pourquoi il nous faut recourir à d’autres outils méthodologiques.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’historiographie procéda à trois tentatives remarquées pour traiter du phénomène des évacuations et marches de la mort d’un point de vue exhaustif. Près d’un an après la fin de la guerre, l’Agence centrale de recherches de l’administration des Nations unies (UNRRA) publia une importante documentation divisée en trois sections comprenant des récits, des croquis d’itinéraires empruntés et une estimation du nombre de personnes tuées au cours de plus d’une centaine d’évacuations. Les informations contenues dans ces comptes rendus sont évidemment incomplètes et les données ne sont pas toujours exactes, mais le fait même qu’une grande organisation internationale les ait recueillies suffit à démontrer que les atrocités commises lors des évacuations n’ont été ni cachées ni oubliées. Au milieu des années 1960, deux chercheurs ont utilisé ces données en Tchécoslovaquie comme base de travail pour écrire un livre, le premier du genre et pratiquement le seul pendant des années, sur les marches de la mort[16]. Cependant, leur travail s’est limité à des résumés statistiques et à des descriptions de routes utilisées pour les évacuations. Il n’explore ni l’interface entre les marches de la mort et la politique nazie de génocide ni la question de la place de ces évacuations dans l’histoire des camps de concentration nazis. La seconde étude, publiée par le chercheur polonais Zygmunt Zonik au milieu des années 1980, concerne les évacuations des camps. Zonik, lui-même ancien prisonnier d’un camp de concentration, a suivi les méandres de la controverse concernant la question de l’évacuation des camps en Allemagne et en Pologne. Il nous livre un résumé complet du processus décisionnaire dans l’ensemble des camps à la veille des évacuations et décrit les itinéraires suivis par les convois de prisonniers évacués de l’ouest et de l’est[17]. Néanmoins, son ouvrage peine à nous éclairer sur les meurtriers, les victimes, ainsi que sur le climat social et politique qui régnait, alors que ces prisonniers étaient massacrés dans les derniers soubresauts de la guerre.

C’est Daniel Jonah Goldhagen, au milieu des années 1990, qui, le premier, étudia les marches de la mort dans le contexte de la politique de génocide nazie. Son livre, à la fois évocateur et controversé, qui consacre deux chapitres aux marches de la mort, traite cet épisode comme un outil parmi d’autres de l’attirail meurtrier dont se servaient les Nazis pour la mise en œuvre de leur politique de Solution finale[18]. Goldhagen affirme que les marches de la mort ont été une arme conventionnelle d’extermination nazie contre les Juifs qui fut utilisée lors de trois périodes distinctes et ce dès le début de l’occupation de la Pologne.

La première période comprend les années 1939-1941, au moment où les populations furent déplacées et déportées dans le cadre des plans de repeuplement conçus par Himmler et divers fonctionnaires SS. Au cours de l’un des épisodes les plus meurtriers qui se déroula durant ce type de marche, des centaines de Juifs périrent en décembre 1939 lors de leur déportation de Chelm et Hrubieszów, vers les régions est de la Pologne, sous contrôle soviétique. Toutefois, ce cas horrible met en évidence la différence qui existe entre les meurtres de Juifs à l’occasion des déportations du début de la guerre et les marches de la mort de la fin de la guerre. Le 1er décembre 1939, près de 2000 hommes juifs reçurent l’ordre de se rendre sur la place principale de Chelm d’où, dans l’après-midi, un groupe de SS commença à les faire progresser en direction de la frontière soviétique. Les femmes des déportés ayant souhaité les accompagner furent repoussées par les Allemands. La marche de la mort dura toute la journée et toute une partie de la nuit pour finalement amener les marcheurs à Hrubieszów avant le lever du soleil. Si l’on s’en tient aux témoignages des survivants, entre 300 et 800 Juifs furent exécutés en cours de marche. Le 2 décembre, 2 000 Juifs de Hrubieszów rassemblés sur ordre des Allemands furent intégrés au groupe de Chelm. La marche de la mort continua ainsi pendant encore environ deux jours et, le 4 décembre, on obligea les survivants à traverser la rivière Bug tandis que les soldats soviétiques leur tiraient dessus depuis l’autre rive afin de les tenir à distance des territoires sous contrôle soviétique. Les Juifs qui étaient parvenus à traverser furent rassemblés par les troupes russes qui les renvoyèrent de force vers les zones sous contrôle allemand[19].

La marche de la mort des Juifs de Chelm et de Hrubieszów se déroula dans la période où la frontière entre les zones d’occupation allemande et soviétique était encore bien délimitée. En aucun cas il n’est possible de la relier aux assassinats de Juifs des années suivantes. Les fonctionnaires allemands de la région craignaient qu’une importante population juive installée dans les localités autour de Lublin, près de la frontière germano-soviétique, ne constitue une menace en raison de ses sympathies pour l’armée Rouge, comme cela s’était manifesté fréquemment au moment où des soldats soviétiques entraient dans des localités de l’est de la Pologne. Le fait que seuls les hommes aient été déportés, les femmes étant renvoyées, accrédite la thèse selon laquelle il ne s’agissait pas d’un plan d’élimination mais de la mise en œuvre, meurtrière, d’une décision prise pour des raisons politiques et sécuritaires. Et puisque la population en question était juive, rien ne faisait obstacle à la décision d’assassiner les retardataires ou les présumés fugitifs. Bien évidemment, dans les premières années de l’occupation en Pologne, des dizaines de milliers de Juifs furent déportés dans le gouvernement général, à partir des zones occidentales annexées par le Reich et de dizaines de villes ou localités d’autres régions de Pologne. Les déportations, organisées d’une manière brutale et impitoyable, s’accompagnaient le plus souvent d’expropriations et de mauvais traitements. Il s’agissait bien de meurtres et non d’assassinats prémédités. Toute étude qui considérerait cette période comme un épisode préliminaire à la politique officielle d’extermination – une sorte de prologue, une action spontanée et irréfléchie exécutée par un groupe d’Allemands spécifique stationné dans un pays lointain et obsédé par l’extermination des Juifs –, s’éloignerait de la réalité.

La tentative de Goldhagen de définir des périodes précises couvre les années 1941-1944 pendant lesquelles l’extermination des Juifs atteignit son paroxysme. Néanmoins, il ne donne aucun exemple ni aucune preuve de ces cas pendant les années où les Juifs furent assassinés par ce qu’il nomme l’« institution » des marches de la mort. Au contraire, cette époque est marquée par le meurtre de non-Juifs à la faveur de marches de plusieurs centaines de kilomètres pendant lesquelles les retardataires et ceux qui ne pouvaient plus endurer les difficiles conditions de la marche étaient abattus, et en particulier les centaines de milliers de prisonniers soviétiques tombés aux mains des Allemands en 1941 et au début de 1942[20]. Les Juifs n’étaient que rarement concernés par les marches de la mort lors des années où la Solution finale était en pleine action. En revanche, ils étaient assassinés près de leur domicile ou étaient déplacés en train, à partir des gares de leurs localités ou depuis les ghettos dans lesquels ils avaient été parqués, directement vers les sites d’exécution qui avaient été construits dans ce but.

La troisième période pendant laquelle cette méthode d’extermination fut utilisée coïncide avec les derniers mois de la guerre, au moment où le IIIe Reich est sur le déclin. À partir de ce moment, les anciennes techniques d’extermination ne pouvaient plus être pratiquées. Puisque les exigences de la guerre avaient conduit à l’évacuation des camps de concentration et d’extermination, les meurtres pendant les évacuations devenaient la seule technique possible. Les Allemands n’avaient plus, depuis longtemps, la possibilité de programmer ces meurtres. C’était désormais l’avancée des forces alliées victorieuses qui dictait ces massacres en série et non plus le commandement allemand. On peut découper cette période en trois sous-périodes : la première débute à l’été 1944, au moment de l’évacuation et de la retraite de l’est de la Pologne et des pays baltes ; la deuxième à partir de janvier 1945, avec l’évacuation des grands camps en Pologne, et la troisième au début de mars 1945, lorsque débutèrent les évacuations sur le sol allemand, jusqu’à la reddition finale. Les chercheurs qui ont travaillé sur les camps de concentration sont d’accord avec ce découpage en phases de la période qui concerne les évacuations[21].

Clairement, ce ne sont pas les sous-chapitres décrivant les marches de la mort qui furent le plus sujets à controverse lors des polémiques qui entourèrent la parution du livre de Goldhagen. Le débat proposé par Goldhagen sur plusieurs marches de la mort, en particulier celle des prisonnières juives du camp de Helmbrechts, met l’accent sur la folie meurtrière et sinistre de ceux qui escortaient le convoi juif[22]. Il résume ses conclusions sur la période des marches de la mort de la façon suivante :

« Les gardes allemands […], ces Allemands ordinaires, savaient parfaitement qu’ils continuaient le travail qui avait été entrepris et qui avait, pour une large part, été accompli à travers la politique des camps et autres lieux de mort : l’extermination du peuple juif. »[23]

 

Goldhagen s’abstient cependant de mentionner, et encore moins de s’y confronter, une conclusion infiniment plus complexe qui a été rendue par une Cour allemande au sujet des motifs des meurtriers et de la nature du carnage qui frappa les évacuées de Helmbrechts :

« Le but de cette évacuation était inconnu des prisonnières, ainsi que des gardes. En revanche, l’accusé en avait connaissance. Ce dernier voyait dans les prisonnières non seulement des ennemis de l’État, des saboteurs, des destructeurs du peuple [allemand], des parasites et des criminels, mais les considérait également comme des créatures à peine humaines. Apparemment, il ne faisait pas de distinction entre elles, que ce fût des Juives ou des non-Juives, des Polonaises, des Tchèques, des Russes, des Hongroises, des Françaises, des Hollandaises ou d’autres nationalités. »[24]

L’arrêt rendu par la Cour allemande à propos des marches de la mort souligne la principale faiblesse des conclusions du livre de Goldhagen : le fait que les dernières victimes du génocide nazi n’étaient pas forcément identifiées par leurs meurtriers comme des Juifs. En outre, Goldhagen ne souligne pas ce fait en ce qui concerne un des cas les plus sinistres de meurtre parmi des prisonniers de camp, l’incident survenu à Gardelegen, où la plupart du millier de prisonniers assassinés dans une grange à blé en dehors de la ville, n’était pas juif[25]. Cette distinction prend en défaut les hypothèses de base du travail de Goldhagen, à savoir la volonté permanente de l’Allemagne antisémite d’éliminer les Juifs. Goldhagen considère la marche de la mort comme une technique d’extermination parmi d’autres et non comme la marque distinctive d’une période marquée par son unicité dans l’histoire du génocide nazi. Ce sont pourtant là les principales caractéristiques qui permettent de différencier les meurtres des marches de la mort et ceux qui les ont précédés.

Les marches de la mort ne sont pas seulement le chapitre ultime de l’histoire du génocide nazi : elles sont également le dernier chapitre de l’histoire des camps de concentration nazis. Et, de même que l’on ne peut pas les expliquer comme une simple conséquence du système idéologique qui a conduit à la Solution finale, on ne peut pas non plus les considérer comme un à-côté au sein de l’historiographie des camps de concentration. Bien que les victimes des évacuations et des marches de la mort soient des prisonniers de camps de concentration, ces actions se déroulèrent en dehors du traditionnel système de terreur dans lequel les prisonniers avaient vécu et péri. Ce qui arriva aux prisonniers des marches d’évacuation, comment ils s’adaptèrent à leur nouvelle situation et comment ils luttèrent pour leur survie, tout cela mérite d’être réécrit différemment en prenant en compte leurs témoignages en tant que détenus en camps de concentration.

La recherche sur les camps de concentration nazis a fait d’énormes progrès depuis le milieu des années 1990. Les monographies complètes des années antérieures, la plupart écrites par d’anciens prisonniers des camps et qui proposent une analyse historique à laquelle s’ajoute le récit personnel[26], furent supplantées par les études d’une nouvelle génération de chercheurs, principalement allemands. Il est aujourd’hui possible de consulter un grand nombre d’études complètes qui se fondent sur un grand nombre d’archives issues de plusieurs sources[27]. Même cette historiographie n’accorde que peu d’attention aux marches de la mort. Puisqu’elle est, par nature, fonctionnaliste, elle s’attarde surtout sur les aspects structurels, politiques et juridiques et, plus longuement, sur les problèmes économiques liés aux camps de concentration. Comme toute étude sur la bureaucratie, elle accorde une importance majeure au processus de prise de décision lors des évacuations et tente de comprendre les causes de ce chaos global survenu dans les derniers mois de la guerre[28].

Ces études importantes permettent de passer sous silence ce dernier chapitre, celui des évacuations et des marches de la mort, au profit d’autres horreurs dont furent victimes les habitants de ces lieux particuliers tout au long de leur existence. La majeure partie de ces études traitent les évacuations et les marches de la mort comme un épilogue à l’histoire des camps et absolument pas comme un élément essentiel de cette histoire – ce qui, en soit, est justifié si l’on considère le problème d’un point de vue chronologique. Il est vrai qu’un groupe de chercheurs qui travaille sur les camps s’est également attaché à cet ultime chapitre et a fourni des études spécifiques sur les évacuations et la libération d’Auschwitz, de Ravensbrück et de Mittelbau-Dora[29]. Au cours des dix dernières années, de nombreux livres et séminaires qui ont essayé de réexaminer en totalité le problème des camps de concentration et leur fonction au sein du régime nazi ont également consacré leur dernier chapitre aux évacuations. On peut affirmer que ces nouvelles études sont une avancée méthodologique pour l’historiographie : considérer les marches de la mort et les évacuations comme appartenant à l’histoire générale des camps de concentration. Néanmoins, cette distinction trace une frontière entre l’étape finale et ce qui s’est produit dans le camp au cours des années précédentes. La plupart de ces études font leur deuil des convois d’évacuation dès lors qu’ils ont franchi la porte du camp, clos et abandonné. De façon générale, ces études « accompagnent » les prisonniers jusqu’au camp d’où ils sont évacués ou bien jusqu’au moment où ils sont libérés par les Alliés.

Tandis que la population impliquée dans les marches de la mort demeure celle des camps de concentration, prisonniers et gardes inclus, le lieu où se déroulent les scènes de violence et de meurtres change, tout comme la nature et les objectifs de la terreur employée. Ainsi, les marches de la mort devraient être étudiées non pas comme un simple épisode de l’histoire des camps de concentration ou comme le dernier chapitre de la Solution finale du problème juif mais aussi et surtout comme la dernière période dans l’existence du génocide nazi, intrinsèquement mêlée à l’histoire des camps de concentration. Dans cette optique, il nous faut examiner le système de prise de décisions relatif aux meurtres, les motifs des exécuteurs et l’identité collective des victimes.

Les Décisionnaires

Les premiers travaux sur les camps de concentration, qui datent du milieu des années 1960, consacrèrent une discussion remarquable à la question de la responsabilité de Himmler et de ses subordonnés quant à la préparation de l’évacuation des camps et aux meurtres qui les accompagnèrent. Pour Martin Broszat, l’ordre de Himmler de ne laisser aucun prisonnier vivant entre les mains de l’ennemi à l’arrivée des forces alliées fut la cause principale d’une évacuation qui se fit dans la panique et la violence et qui scella le destin de centaines de milliers de prisonniers[30]. Cet ordre célèbre de Himmler fut donné le 17 juin 1944, depuis le bureau de Richard Glück, inspecteur général des camps de concentration au WVHA (SS-Wirtschafts und Verwaltungshauptamt : office central pour l’économie et l’administration de la SS). D’après cet ordre, en fonction de l’urgence du moment, le HSSPF (Höherer SS-und Polizeiführer : le haut responsable de la SS et chef des forces de police) recevait les pleins pouvoirs pour s’assurer du devenir du camp selon qu’il le jugeait bon. Il devenait de facto le fonctionnaire responsable de la zone de sécurité militaire[31].

L’ordre fut donné au moment du gigantesque débarquement des forces alliées en France et de l’offensive de l’été de l’armée Rouge en direction des pays baltes et de la Pologne. Ces événements incitèrent Himmler à agir rapidement, d’où l’ordre d’évacuation de plusieurs camps dans les régions de Kovno et de Riga. En outre, les préparations pour l’évacuation de l’immense camp de Maïdanek, près de Lublin, avaient commencé dès mars 1944[32]. Après que Himmler eut décidé quels seraient les fonctionnaires chargés de l’évacuation, l’ordre fut appliqué selon un plan établi et organisé par des fonctionnaires de terrain : le HSSPF, le Gauleiter et ses subordonnés et le commandement du camp. Par conséquent, les forces locales exercèrent un rôle clé dans le déroulement de l’évacuation et les préparatifs nécessaires pour le (ou les camps) dont ils avaient la charge[33].

Oswald Pohl, dont les fonctions de chef du WVHA incluaient les camps, assura lors de son procès que les ordres donnés au début de l’été 1944, concernant l’évacuation des camps et le transfert des pouvoirs exécutifs au HSSPF local, le furent pour des raisons opérationnelles et ne signifiaient en aucun cas un changement d’attitude vis-à-vis des prisonniers. Tel qu’il décrivit le contexte, il paraissait difficile de maintenir des liaisons régulières avec les camps reculés de l’est et de maintenir un réseau logistique important pour les centaines de camps et leurs annexes, le tout depuis les bureaux de l’IKL[34] à Oranienburg, étant donnée la situation sur le front et la perturbation des lignes de communication et d’approvisionnement[35]. Au cours de l’été et de l’automne 1944, l’évacuation des prisonniers depuis les camps de l’Est vers les camps de concentration et les centres industriels allemands s’accéléra, sans que l’organisation n’en subisse de conséquences. Le transfert des prisonniers d’Auschwitz vers des camps en Allemagne fut un exemple frappant de ce processus d’évacuation. À la mi-juillet 1944, les trois camps principaux d’Auschwitz comprenaient 92 208 prisonniers. Le 17 janvier 1945, lorsque l’évacuation commença, il ne restait plus que 67 000 prisonniers[36]. Des évacuations similaires de prisonniers depuis des camps reculés menaçant de tomber aux mains de l’ennemi se déroulèrent à l’été et au début de l’automne 1944 à Maïdanek, dans les camps de travail des pays baltes et au camp de Natzweiler-Struthof en Alsace[37]. Bien que ces évacuations, effectuées dans des conditions difficiles, fussent accompagnées de mauvais traitements, elles n’étaient pas caractérisées par cette haine meurtrière latente propre aux marches suivantes. Il paraît donc difficile de les assimiler au dernier stade du génocide nazi.

Au printemps 1945, les évacuations et les marches de la mort se déroulaient sur le territoire allemand, au moment où l’avance des forces armées américaine et britannique depuis l’ouest limitait les mouvements de troupes et de civils. À ce point, les évacués pénétrèrent véritablement au sein de la population allemande et découvrirent la réalité d’un commandement et d’une logistique en déroute. Néanmoins, de façon évidente, l’ordre de Himmler, daté de juin 1944, restait d’actualité pour ce qui était des évacuations, bien qu’il fût augmenté d’instructions pratiques relatives à la situation en cours. Max Pauly, commandant du camp de Neuengamme, déclara lors de son interrogatoire après la guerre, qu’il avait rencontré le HSSPF de Hambourg pour un ultime briefing concernant les dernières évacuations et les mesures à prendre pour les prisonniers ne pouvant être évacués[38]. En avril 1945, Pauly déclara qu’il se trouvait dans une situation où il ne savait pas quoi faire des prisonniers. La situation était pratiquement la même dans tous les camps. Des instructions, confuses, furent envoyées par plusieurs fonctionnaires : par Himmler, soit directement, soit par Richard Glück agissant en son nom, ou par des fonctionnaires locaux comme ceux du HSSPF et par les Gauleiter. Dans l’ensemble, les commandants de camp n’étaient guère désireux de prendre des initiatives en ce qui concernait le sort des prisonniers. Ils préféraient attendre le tout dernier moment, de façon à saisir l’ordre qui leur avait été donné dans sa globalité, afin de déterminer, en connaissance de cause, si le fonctionnaire qui l’avait transmis avait le pouvoir de le faire et si, eux, pouvaient l’exécuter. La question de l’origine de l’autorité reste une question non tranchée jusqu’à la fin de la guerre[39].

Après la guerre, Oswald Pohl tenta de tenir Himmler et Hitler pour personnellement responsables de la politique qui décida de ces évacuations brutales, quelles que fussent les circonstances présentes. Il ne fait aucun doute que l’implication active de Himmler dans les évacuations contribua, pour une large part, à l’état de chaos qui aurait, de toute façon, existé.

À la suite de l’ordre de juin 1944, Himmler donna un grand nombre d’instructions en plusieurs occasions jusqu’à ce que le système, qui avait quoi qu’il en soit cessé de fonctionner, se disloquât complètement. À la fin du mois de mars 1945, par exemple, il tint des séances de travail à Vienne avec quatre Gauleiter afin d’étudier la situation militaire à l’est de l’Autriche et réitéra l’ordre qui leur conférait les pleins pouvoirs pour assurer la défense de la zone dans cette phase de crise. Les problèmes qui furent débattus au cours de cette séance portaient sur l’évacuation des prisonniers alliés et la population civile. Baldur von Schirach, Gauleiter de Vienne, qui assistait à la réunion, déclara après la guerre que Himmler avait explicitement fait mention des Juifs qui avaient été déportés depuis Budapest et qui travaillaient dans les camps de travail situés dans l’est de l’Autriche :

« Je veux que les Juifs qui travaillent à présent dans l’industrie soient transportés par bateau ou par bus si cela est possible, dans les meilleures conditions possibles, tant sur le plan de la nourriture que des soins médicaux, etc., à Linz ou à Mauthausen […]. Veuillez prendre soin de ces Juifs et veillez à ce qu’ils soient traités le mieux possible : ils représentent mon principal atout. »[40]

Siegfried Uiberreither, Gauleiter de Styrie, où des milliers de Juifs hongrois avaient été parqués, se souvient également des instructions de Himmler. Il explique que celles-ci lui furent données, par oral, en mars 1945 et avaient été envoyées, en même temps, à la Gestapo. Himmler insista pour que le transfert s’effectuât dans des « conditions acceptables » et exigea que le commandant de Mauthausen, Franz Ziereis, les traitât décemment[41].

À la suite de la libération du camp de Buchenwald, le 11 avril 1945, des rapports firent mention de « raids » par des prisonniers relâchés dans les environs de Weimar où, sans se cacher, ils avaient attaqué des civils[42]. En réponse à ces attaques, Himmler, par peur de la réaction de Hitler, donna son ordre fameux de ne laisser, en aucun cas, tomber des prisonniers, vivants, entre les mains des troupes ennemies. Un tel ordre, donné au milieu d’un chaos gigantesque, d’une défaite militaire cinglante et d’une retraite précipitée, ne fit qu’amplifier la violence meurtrière existante. La cause de ces brutaux changements de décision était devenue incompréhensible. Les prisonniers devaient-ils être éliminés pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi ? Devaient-ils être transférés dans un autre camp pour continuer à travailler ? Fallait-il prendre soin des prisonniers juifs ? Les solutions retenues n’étaient pas exceptionnelles dans le cadre du système bureaucratique nazi. Le cheminement complexe et tortueux des ordres du Führer était bien connu dans tout le Reich, en d’autres temps et en d’autres lieux. Les hauts fonctionnaires SS connaissaient l’existence d’un ordre général qui leur enjoignait de ne pas laisser derrière eux de détenus et de prisonniers de guerre, et il est très possible qu’ils l’aient interprété comme un blanc-seing pour exécuter les prisonniers dans le cas où ils viendraient à tomber entre des mains ennemies. Le chef du RSHA, Ernst Kaltenbrunner, déclara à son procès qu’il n’avait pas connaissance d’un ordre explicite de Hitler à propos de l’exécution de prisonniers de camps de concentration et ajouta que, dans tous les cas, la personne habilitée à donner de tels ordres était Himmler[43]. On peut affirmer qu’aucun ordre explicite et direct visant à l’exécution de prisonniers de camps dans l’éventualité où l'un d'entre eux ne pourrait être évacué n’a, à ce que l’on sait, été donné. De fait, il s’agit de la combinaison d’instructions données au niveau local par divers fonctionnaires qui créèrent les conditions favorables à ces meurtres. Joachim Neander définit ces instructions comme des « ordres d’exécutions locales » (locale Vernichtungsbefehle), autrement dit, des ordres donnés par des commandants de camp de grade peu élevé, en réponse à des besoins ou à des problèmes particuliers[44]. Puisque l’on donnait à des officiers subalternes une aussi grande latitude pour résoudre ces problèmes, la décision d’éliminer les prisonniers était, de fait, placée entre les mains de ceux qui s’en occupaient personnellement, à savoir, les gardes du camp et le personnel qui les escortait sur les routes. C’est ici que se jouait le destin des prisonniers.

Les Exécuteurs

Le processus d’évacuation tourna au carnage dès que les colonnes de prisonniers commencèrent à avancer vers leur destination. À peine avaient-ils quitté le camp qu’ils se retrouvaient sous la responsabilité totale et entière des gardes et de leur escorte. Bien qu’il fût clair que cette dernière n’avait pas reçu d’instructions précises à leur encontre, elle avait parfaitement compris qu’abattre des prisonniers qui posaient problème ou qui tentaient de s’enfuir ne serait en aucun cas un souci[45]. Au milieu de la panique générale, du chaos le plus total, des conditions insupportables sur les routes encombrées, des conditions climatiques difficiles qui accompagnaient le plus souvent les évacuations et de l’écho de l’artillerie soviétique qui approchait, les conditions étaient réunies pour que les évacuations se transforment en d’horribles marches de la mort.

C’étaient les gardes et les escortes du convoi qui décidaient du sort des prisonniers. À la veille de l’évacuation des camps de l’est en janvier 1945, 37 674 hommes et 3 508 femmes y étaient en poste. Près de 80 à 90 % d’entre eux servaient en qualité de gardes (Wachtmannschaften), autrement dit, ils n’appartenaient pas au personnel des services « professionnels » de l’administration et de l’organisation de la vie du camp et des prisonniers, de travail de secrétariat, ni au service médical ni au service politique (Politische Abteilung) dont seule la Gestapo était responsable[46]. La plupart de ce personnel avait rejoint les camps au moment où le système était en pleine croissance, à partir de 1943, lorsque furent installés des centaines de camps annexes et lorsque les zones de travail furent agrandies. Ils n’étaient pas des « carriéristes » en poste dans les camps. La plupart d’entre eux n’étaient d’ailleurs pas issus des rangs de la SS. Ils avaient rejoint l’archipel concentrationnaire dans les dernières années de la guerre, au moment où le système était devenu le cadre de la terreur, du travail forcé et du meurtre. Ils n’avaient rien à voir avec l’ancien personnel des camps. En revanche, ce groupe constitua un réseau de meurtriers qui joua un rôle clé dans les carnages qui eurent lieu dans les derniers mois de la guerre.

Le 9 mai 1944, Hitler donna l’ordre à Himmler de mobiliser les soldats trop âgés pour servir (à savoir ceux qui approchaient ou avaient dépassé la quarantaine – la classe 1906 et les précédentes) pour les employer à certaines tâches dans les camps de concentration. À la suite de cet ordre, peu après la mi-1944, près de 10 000 soldats de la Wehrmacht qui étaient revenus de Crimée, ainsi que des soldats appartenant à des unités de défense aérienne, à des unités tactiques non combattantes de la Luftwaffe et même à la Marine, furent réaffectés dans des camps de concentration annexes[47]. Lors de cette dernière étape, des Volksdeutsche et des groupes d’Ukrainiens, de Lettons, de Lithuaniens et d’autres nationalités furent mis à contribution dans les camps.

Parmi ces gardes d’un nouveau genre se trouvait Walter Holtz, qui avait servi dans la Luftwaffe depuis le 20 juin 1940. En juin 1944, il fut transféré chez les SS en raison de problèmes de santé qui l’empêchaient de continuer à servir dans l’armée. Comme tout soldat dans cette situation[48], Holtz fut affecté comme planton et rejoignit le camp d’Auschwitz-Monowitz. Jusqu’en 1944, il officiait sur l’un des miradors qui entouraient le camp. Au moment de l’évacuation, Holtz fut adjoint à une colonne de prisonniers qui devait aller à Gliwice : il s’agissait d’une partie d’un convoi de 14 000 prisonniers qui devait marcher sur 55 kilomètres. Les prisonniers qui atteignirent Gliwice furent placés à bord de trains qui les amenèrent dans des camps en Allemagne. Holtz se souvient que, pendant l’évacuation, les SS âgés et les escortes composées d’Ukrainiens abattaient systématiquement les prisonniers qui s’effondraient sur les routes couvertes de neige[49]. Un autre exemple de ce type d’assassinat est apporté par Dominik Gleba. Gleba était né en octobre 1921 à Ruda, en Pologne et issu d’une famille allemande de souche qui déménagea, en 1923 en Prusse orientale, où elle possédait une ferme. Gleba ne s’intéressait absolument pas aux problèmes politiques et sa famille se montrait indifférente au bouleversement politique qui secouait l’Allemagne dans la première moitié des années 1930. Cependant, comme tout individu désireux de s’insérer de façon active dans la société, il rejoignit les Jeunesses hitlériennes et montra une attirance certaine pour les activités sportives lorsqu’il parvenait à s’échapper des tâches de la ferme familiale. C’était un homme trapu (1,65 m) et maladif, qui avait une mauvaise image de lui-même. Quoi qu’il en soit, il parvint à s’engager dans la Wehrmacht en 1942 et fut transféré quelque temps plus tard dans les Waffen-SS. Il servit aux Pays-Bas pendant quelque temps et, au cours de ses activités, commença à adhérer à l’idéologie nazie, trouvant dans son unité ce lien social qui lui avait manqué dans son adolescence. Il fut ensuite affecté à Mauthausen où, le 10 juillet 1942, il exécuta deux prisonniers soviétiques. Vers la fin de 1943, on le transféra à Wiener-Neudorf, un camp annexe de Mauthausen, dans lequel il servit jusqu’à l’évacuation du camp et la marche de la mort d’avril 1945[50].

Dans la soirée du 2 avril 1945, à la fin du premier jour de marche, un SS en charge de l’un des groupes de prisonniers se tourna vers Gleba et lui intima l’ordre de tuer un prisonnier qui ne tenait plus debout et qui visiblement ne pouvait plus continuer à marcher. Gleba connaissait parfaitement ces ordres visant à abattre les prisonniers défaillants. Au cours du premier jour de l’évacuation, plusieurs cas similaires de meurtres s’étaient produits, mais Gleba s’était retenu d’en faire partie. Même lorsque l’ordre lui fut donné de tuer le prisonnier, ce soir du premier jour de l’évacuation, il hésita. Il discuta du problème avec l’un de ses collègues qui lui affirma que les ordres étaient parfaitement clairs et impératifs. Gleba fut convaincu : le prisonnier en question avait été porté toute la journée par ses camarades et ne pouvait, à l’évidence, continuer ainsi. Qui plus est, cela n’aurait pas été le premier meurtre de Gleba durant sa carrière dans les camps. De fait, il s’approcha de sa victime et lui tira une balle dans la tête. Cet incident lui ôta ses derniers scrupules et, au cours de l’évacuation, il participa à plusieurs autres meurtres de prisonniers[51].

Le sentiment général qui prédomine dans les témoignages des escortes de convois est qu’elles avaient été abandonnées à leur destin tout comme les prisonniers exténués qui mettaient en danger leur capacité à se replier rapidement devant un ennemi qui menaçait chaque jour de gagner un peu plus de terrain sur le convoi. De janvier 1945 jusqu’à la fin de la guerre, les escortes durent accompagner des dizaines de milliers de prisonniers sur les routes, couvrant des distances de parfois plusieurs dizaines de kilomètres, s’occuper des installations nécessaires au campement du soir pour des milliers de prisonniers et faire face aux conditions climatiques, ainsi qu’aux constantes tentatives d’évasion des détenus. Les gardes et les escortes se plaignaient souvent d’avoir été abandonnés et d’avoir à se débrouiller seuls avec les prisonniers dans des conditions inacceptables. Il arrivait fréquemment que les gardes et les prisonniers atteignissent une voie ferrée où ils devaient monter à bord d’un train pour continuer l’évacuation, mais le train arrivait trop tard ou avait été utilisé pour des raisons militaires, les obligeant alors à continuer leur périple, à présent inutile, à pied. Il n’est donc pas étonnant que l’élimination de prisonniers se trouvant dans l’incapacité de continuer à marcher ou que l’on suspectait de vouloir s’évader ou causer des problèmes, devint une sorte de routine. À mesure que les difficultés de l’évacuation et le risque de tomber aux mains de l’ennemi avec les prisonniers s’accroissaient, il n’était plus, dès lors, suffisant de supprimer les prisonniers retardataires ou convaincus de tentative d’évasion. À plusieurs occasions, les gardes commencèrent à tuer un grand nombre d’ « évacués ». Avoir la gâchette facile devenait la manifestation d’une frustration et d’un désir croissant d’éliminer tout facteur qui pourrait faire obstacle à la capacité des gardes et des escortes de fuir rapidement devant le risque de tomber aux mains de l’ennemi.

Un autre groupe de meurtriers, dont la spécialité n’a que peu à voir avec la liquidation systématique des ennemis politiques ou raciaux du Reich mais qui furent impliqués dans des meurtres à grande échelle au cours des marches de la mort, comprenait des membres du Volkssturm, l'armée populaire de réserve du parti qui fut formée à l’automne 1944. On confia au Volkssturm, composé de personnes d’un certain âge et inaptes au service militaire, la tâche irréalisable de stopper l’avancée des armées alliées au niveau local[52]. Paul Bötter, né en 1902, était représentatif de ces engagés dans le Volkssturm. Membre du parti et des SA depuis 1934, il n’avait servi dans aucun service de sécurité durant la guerre et n’avait reçu qu’un entraînement militaire de base. En 1944, il s’engagea dans une unité du Volkssturm qui avait été créée à Frankenhain, sa ville natale en Thuringe. Les dirigeants du parti local lui donnèrent, comme instruction, ainsi qu’à ses comparses, en des termes dénués de toute ambigüité, d’exécuter tout prisonnier de guerre ou prisonnier ordinaire qui tenterait de s’échapper. Un groupe de prisonniers d’un camp annexe de Buchenwald, dans les environs de Frankenhain, traversa la ville la deuxième semaine d’avril lorsque débutèrent les évacuations d’autres camps annexes. On ne connaît pas avec exactitude le nombre de SS qui accompagnait ce petit groupe, mais ils demandèrent à des membres du parti local des SA et du Volkssturm de les aider à éliminer les prisonniers. Bötter fut l’un de ceux qui se portèrent volontaires. Personne ne lui en donna l’ordre ni ne le força à y participer[53].

L’un des massacres les plus horribles dans lequel les hommes du Volkssturm jouèrent un rôle se déroula lors de l’évacuation de prisonniers Juifs hongrois depuis un camp qui se situait sur la frontière austro-hongroise près de la ville de Eisenerz. Un contingent important de prisonniers – entre six et huit mille – partit de Graz le 4 avril 1945 et traversa cette zone le 7 avril. Les prisonniers étaient conduits sur trois colonnes placées sous la responsabilité de membres du Volkssturm, de la Gestapo et de quelques Waffen-SS ukrainiens. étant donné le nombre restreint de gardes, il était nécessaire de faire appel aux unités locales du Volkssturm en tant qu’escortes tout au long du trajet d’évacuation[54]. La longue procession se fraya un passage à travers la passe de Präbichl, une passe dans les Alpes près d’Eisenerz qui ressortait en direction de Hieflau. La décision de tuer des Juifs, en route vers Mauthausen, fut logiquement prise par le Kreisleiter du district de Leoben, Otto Christandl. Les meurtriers, dans le cas présent, étaient un groupe d’individus incorporés dans une unité du Volkssturm à Eisenerz. Les victimes représentaient quelques 250 prisonniers juifs[55].

Ces groupes de meurtriers opéraient au sein d’un monde qui leur était propre. Ils étaient des civils qui avaient été incorporés pour assurer la sécurité des zones où ils vivaient. Ils ne pouvaient guère contribuer à l’effort de guerre contre les Alliés, et le véritable ennemi, celui qu’ils regardaient comme une menace pour leur propre vie, était ces prisonniers de camps de concentration qui circulaient près de leurs habitations. La presse locale abonde en histoires et rumeurs de viols et pillages commis par des prisonniers de camps de concentration qui avaient réussi à s’échapper des convois d’évacuation, et mettait en garde la population qui aurait voulu les aider à fuir[56]. Durant les dernières semaines de la guerre, les oiseaux de mauvais augure trouvèrent une oreille attentive auprès d’une population complètement perdue en quête de la moindre information au sein d’un système en complète déroute. Ces rumeurs étaient « enveloppées » dans un épais brouillard d’informations non vérifiables sur l’identité des individus louches et malsains qui avaient atteint le seuil des habitations. Le comportement d’un groupe social, lorsqu’il est influencé par des rumeurs de ce type, peut évoluer de différentes manières dont l’une n’est autre que la violence soudaine. Cela se produit lorsque le groupe en question est composé d’individus chétifs, vulnérables ou mis à l’épreuve. Les guerres, les épidémies, les émeutes et la dislocation du lien familial sont pernicieuses par nature et la rumeur devient alors l’étincelle qui allume la mèche d’un explosif dangereux et incontrôlable[57]. Tel était l’état de la société allemande durant ces semaines. Toutes les conditions étaient réunies pour qu’un nombre important d’individus rejoignent les rangs des meurtriers de prisonniers de camps de concentration durant les marches de la mort. Néanmoins, ce cadre particulier qui appelait au meurtre n’aurait pu voir le jour sans un consensus général sur l’identité des victimes.

Le consensus idéologique : l’image de la victime

Une des marches de la mort les plus horribles et l’une de celles qui a été détaillée et reconstituée devant une cour de justice, et plus tard dans le livre de Goldhagen, implique un groupe de femmes prisonnières au camp de Helmbrechts, un camp annexe de Flossenbürg. Un groupe de 621 femmes juives, vestiges d’une marche de la mort depuis la Pologne, entrèrent dans ce camp au début de mars 1945. Le camp de Helmbrechts avait été construit entre la fin du mois de juin et le début du mois de juillet 1944. Ses 190 premières prisonnières arrivèrent de Ravensbrück entre le 19 juillet et le 31 août 1944, le reste arriva par vagues en octobre, novembre puis en janvier 1945. En février 1945, la population du camp se montait à 594 prisonnières[58], la plupart issues de Pologne et d’URSS, et auxquelles s’ajouta un petit groupe de Françaises et près de 25 Allemandes. L’arrivée des femmes juives fit grimper la population du camp à près de 1200 prisonnières. Le 13 avril 1945, 1171 prisonnières furent évacuées du camp, y compris les 580 Juives encore en vie[59]. Pendant près de deux semaines, elles voyagèrent sur les routes à pied et dans des carrioles. Au bout d’un moment, les prisonnières non-juives furent libérées et seules les prisonnières juives continuèrent l’évacuation. Au moins 278 périrent dans la marche de la mort qui les conduisit de Helmbrechts à Volary, en Tchécoslovaquie, où les Américains libérèrent les survivantes. Mais aussi 129 d'entre elles périrent au cours de la marche, durant les haltes de nuit, en raison du froid glacial et de la faim. Et 49 autres furent assassinées par les gardes parce qu’elles ne pouvaient plus avancer ou parce qu’elles avaient tenté de s’évader. Cependant, pour un grand nombre de prisonnières, les causes de leur mort restent incertaines[60].

Lorsque le commandant du camp et de la marche de la mort, Alois Dörr, fut interrogé sur les circonstances de cette évacuation meurtrière, il déclara qu’il n’avait pas donné l’ordre de tuer les prisonnières et qu’après avoir eu connaissance de ces meurtres, le premier et le second jour de l’évacuation, il avait ordonné de fusiller les prisonnières seulement si elles tentaient de s’échapper. Il ajouta qu’il était conscient du fait que les gardes et les escortes avaient tué quelques prisonnières non parce qu’elles avaient tentés de s’enfuir, mais parce qu’elles étaient épuisées et qu'elles ne pouvaient plus continuer à marcher. Aussi difficile soit-il de se fier au témoignage de Dörr, il semble qu’un tel ordre ait cependant été donné aux gardes. Cependant, Dörr ne semble pas avoir usé de son autorité pour interdire le meurtre de prisonnières épuisées[61].

De façon générale, le comportement de Dörr ne diffère pas de celui de la plupart des commandants de convois d’évacuation : il n’a pas donné l’ordre explicite de tuer les prisonnières, mais ne l’a pas non plus interdit. Pour être encore plus précis, Dörr, comme les autres commandants, signa un ordre pour le cas où des tentatives d’évasion se produiraient. Il n’était pas exceptionnel d’abandonner aux soldats sur le terrain la prise de décision quant aux meurtres. Cela se produisit dans des centaines de marches de la mort au cours de cette période. Dörr était pleinement conscient de l’état désastreux des prisonnières juives, la plupart ressemblant à des squelettes ambulants. L’un des gardes chargé du groupe des prisonnières au moment de l’évacuation déclara qu’il avait alerté, à plusieurs reprises, sur le manque de nourriture donnée aux prisonnières et le risque de les voir s’évader si on continuait à ne pas les nourrir correctement. Rien de ceci n’inquiétait Dörr. La seule chose qui le préoccupait était de mener à bien sa mission, à savoir, amener les prisonnières à Dachau le plus vite possible, comme prévu[62]. Dörr s’attendait également à ce que plusieurs prisonnières s’évanouissent ou meurent pendant la marche, voire qu’elles soient incapables de continuer à marcher et qu’elles soient exécutées de sang-froid par les gardes. Il laissa une grande latitude aux gardes présents sur place : ils devaient utiliser leurs armes pour prévenir les évasions, mais ne devaient pas non plus, et sous aucun prétexte, laisser de prisonnière malade derrière eux[63]. Dans les conditions présentes, Dörr ne se comporta pas différemment des autres fonctionnaires chargés des convois d’évacuation ou des marches de la mort.

Il ne fait aucun doute que les prisonnières juives furent celles qui eurent le plus à souffrir de ces marches. La plupart recevaient des rations plus faibles, et lors des haltes de nuit, elles étaient presque à chaque fois laissées dans des champs en plein air par un froid glacial, tandis que les autres prisonnières étaient conduites dans des granges ou des entrepôts en fonction des disponibilités. Les prisonnières allemandes, qui continuèrent les marches de concert avec les prisonnières juives, marchaient au sein de groupes séparés des groupes de Juives qui avaient beaucoup de mal à marcher. Elles n’étaient, en outre, que rarement frappées par les gardes[64]. Cependant, la différence principale entre les Juives et les non-Juives résidait dans l’état de délabrement physique de ces dernières comparé à l’état physique relativement acceptable des autres. Cet état de fait ne tirait pas son origine de Helmbrechts, où les femmes juives n’avaient séjourné que quelques semaines. Il était le résultat de l’année qui avait précédé leur arrivée au camp et des marches de la mort qui les y avaient conduites. Pour cette raison, à la fin de la marche de la mort, près de la moitié des Juives étaient incapables de continuer et elles furent installées dans des carrioles, restant allongées, sans aide et presque sans nourriture. Du point de vue des gardes, elles allaient tout droit vers une mort lente. Les instructions impératives de Dörr qui consistaient à refuser des quantités suffisantes de nourriture aux prisonnières, même lorsque la population locale s’offrait à en donner, son aspect serein face à des prisonnières battues et maltraitées et son refus d’apporter une assistance médicale aux malades lorsqu’elle était possible, indiquait clairement que, dans son esprit, ces prisonnières et plus particulièrement les Juives n’étaient pas des « êtres humains » (nichts Menschliches hatten)[65]. Le fait que la plupart des femmes mourantes étaient des Juives lui simplifiait les choses, ainsi qu’aux gardes, pour ouvrir le feu. Néanmoins, il ne serait pas totalement faux de penser que les choses se seraient passées de la même façon si les prisonnières avaient été de nationalités différentes comme cela s’est produit dans de nombreux autres cas.

Un consensus fondé sur l’idéologie et une déshumanisation des prisonniers représentait des éléments clés de l’attitude des meurtriers dans les tâches qui leur incombaient. De très nombreux exemples illustrent cette attitude envers les victimes des marches de la mort. Pour n’en citer qu’un, dans la ville de Stary Jaromierz en Pologne, près de 40 prisonnières juives qui avaient été évacuées depuis un camp de travail en Basse-Silésie furent brutalement massacrées le 25 janvier 1945. Ce groupe, qui était dans un état de faiblesse évident, fut conduit dans une forêt près de la ville, sorti sans ménagement des carrioles qui l’avait transporté, tiré par les cheveux près des tranchées par les gardes plus âgés et tué d’une balle dans la nuque. Un paysan polonais qui avait été recruté pour conduire l’une de ces carrioles dans la forêt, entendit les tueurs compter les « morceaux » (Stücke) auxquels ils venaient de régler leur compte[66]. Seuls quelques membres du groupe qui avaient survécu à cette marche atteignirent Helmbrechts quelques semaines plus tard.

Alfred Jespen était un garde affecté à un convoi d’évacuation depuis le camp de Wilhelmshaven, une annexe du camp de Neuengamme. Quelque 200 prisonniers périrent au cours de cette évacuation pendant les bombardements des trains par les Alliés ou sous les balles des gardes. Durant son procès après la guerre, Jespen affirma que ceux qu’il avait exécutés ou dont il avait ordonné l’exécution dans la ville de Lüneburg, où se déroula le massacre de très nombreux prisonniers appartenant à ce convoi, étaient, dans tous les cas, présumés à demi-morts avant leur exécution[67]. Ludwig Krenn, commandant de l’unité Volkssturm dont les membres massacrèrent les prisonniers juifs près de Eisenerz s’adressa à son unité un jour avant les massacres en déclarant, pour les « encourager » : « Ces cochons et ces chiens méritent d’être abattus ! Tous ! »[68] Lorsque les meurtriers poursuivirent les fugitifs en plusieurs endroits, ils donnèrent à leurs proies des noms de rongeurs ou de lapins suivant un folklore macabre[69]. Les survivants rapportent dans leurs témoignages que les gardes les considéraient comme des chiens féroces et dangereux qu’il fallait supprimer[70].

Si l’on ne comprend pas que les groupes de victimes étaient une entité collective aux yeux des meurtriers, on ne peut expliquer l’ampleur du phénomène meurtrier. L’identité définitive et catégorielle des victimes représente « l’autre » à comparer au « nous », une dichotomie aux sous-jacents idéologiques profonds sur lesquels les meurtriers s’appuyaient pour commettre leurs crimes[71]. Les prisonniers des camps de concentration avaient été considérés comme « l’autre » dès le début de l’ère nazie. Au cours du temps, les prisonniers acquirent de plus en plus l’image d’un groupe menaçant, violent, hors-la-loi et dangereux. À la mi-1942, lorsque cette foule venue de l’est commença à peupler les camps, ces emplacements devinrent des bombes à retardement situés à un jet de pierre des paisibles foyers de la population. Dans la seconde moitié de 1943, lorsque la profusion de camps annexes devint une partie intégrante du paysage pour la population civile, la menace sembla se faire plus réelle.

Même si les prisonniers des camps de concentration étaient les premières victimes de la violence nazie, et ce dès les premiers mois du régime nazi, aucun groupe spécifique ne fut jamais choisi pour être définitivement éliminé pour de simples raisons ethniques, politiques ou raciales. Il est vrai qu’à partir de 1944 et après, les prisonniers présentèrent un taux de mortalité considérable lors du processus de sélection dans les camps de concentration mais, même alors, un infime espoir de salut existait – entre autres grâce à leur capacité à travailler et à leur endurance physique – qui leur permettait de s’en sortir. Après avoir quitté les camps et entamé les marches de la mort, cet espoir devint de plus en plus mince. Leur identité collective en tant que « l’ennemi », « l’étranger » et « l’autre » devenait une menace plus palpable parce qu’ils n’étaient plus enfermés derrières des grilles, mais cherchaient à sauver leur vie à la moindre occasion. Quelques meurtriers continuèrent à les considérer comme des Juifs, d’autres les voyaient comme des communistes ou encore des criminels qui avaient violé des femmes et des enfants. Quelquefois même, ils étaient perçus comme tout cela à la fois.

Les meurtriers regardaient leurs victimes à travers les lentilles d’un anonymat total. Comme cela arrive presque toujours lors de massacres qui se déroulent au sein d’une entreprise génocidaire, les meurtriers ne voyaient en leurs victimes qu’un groupe exempt de toute caractéristique humaine. Dans ce type de situation, un groupe d’individus sans défense est assassiné par un autre groupe qui possède, lui, tout pouvoir, et exécute sans se mettre le moins du monde en danger. L’un agit, l’autre – celui des victimes – ne peut ni s’échapper ni résister. L’acte est perpétré contre un groupe de personnes spécifique que les meurtriers trouvent face à eux dans une posture désespérée et sans défense. L’action se termine lorsque la dernière victime est supprimée, lorsque la rage meurtrière des assassins est passée ou lorsqu’ils sont arrêtés dans leur élan par un pouvoir supérieur au leur[72]. Dans le dernier chapitre de l’histoire du génocide nazi, de nombreux exemples se terminent de l’une ou l’autre de ces façons : les derniers prisonniers sont assassinés, la haine meurtrière qui engendre l’assassinat s’éteint au bout de quelque temps ou bien les forces alliées sont trop près pour que le carnage continue. Étant donné les origines très diverses des meurtriers, leurs accointances à des groupes sociaux variés et leur fonction au sein de différentes unités et organisations, il est impossible de discerner un dénominateur commun parmi eux si l’on s’en tient à leurs personnalités. La population des meurtriers comprenait des Nazis convaincus, des opportunistes tentant de marcher entre les gouttes, des individus seulement désireux de rentrer chez eux sains et saufs avant que le Reich ne s’écroule et des civils ordinaires qui s’étaient retrouvés dans une situation qu’ils n’auraient jamais imaginée dans leurs pires cauchemars. Ils n’avaient certes pas choisi de devenir des nazis dès le départ, mais le devinrent par la force des choses en participant à ces meurtres. Ils adoptèrent le modèle cruel du nazisme à l’instant même où ils décidèrent de prendre part à une action dans l’esprit nazi[73].

Le côté idéologique de ces meurtres ne peut être ignoré. Les milliers de gardes qui assassinèrent des prisonniers au cours des marches de la mort n’avaient nul besoin d’être des antisémites ou des racistes purs et durs qui suivaient une ligne de conduite spécifique. Il est probable qu’ils avaient été exposés, comme toutes les branches de la société allemande, à un endoctrinement politique et à une propagande et des vagues de slogans antisémites et racistes. Néanmoins, un point d’interrogation subsiste quant à l’efficacité de ce rouleau-compresseur idéologique sur des individus aux parcours et aux personnalités si diverses, de même que sur ceux qui prirent part à ces massacres. La plupart de ces meurtriers n’avaient pas été employés au sein du système d’extermination au moment où cette mécanique fonctionnait à plein régime. On ne peut mesurer pleinement l’impact de la propagande antisémite et raciste sur une population aussi variée que celle qui prit part aux évacuations des camps et se transforma en assassin lors des dernières semaines de la guerre.

Cependant, tout au long de la guerre, tous, d’une façon ou d’une autre, se trouvèrent mêlés à des organismes sociaux ou publics dont le fonctionnement laissait de la place pour une telle idéologie. Ils étaient les produits d’une société qui, pendant douze ans, les avait nourris et exposés à un certain « ethos ». C’est cela qui les avaient transformés en nazis même s’ils ne se voyaient pas comme tels. Le nœud de leur existence, en tant qu’individus d’une société qui avait adopté « l’ethos » nazi, ainsi que les conditions dans lesquelles se déroulèrent les dernières années de la guerre, en transformèrent un grand nombre en meurtriers. Ils ne voyaient dans les prisonniers que des objets sans vie avec lesquels ils agissaient le plus souvent de façon opportuniste. Tant que les prisonniers étaient conduits au camp de destination, avaient de quoi manger et leur servaient, en somme, d’assurance contre une possible affection au front, ils continuaient à les diriger. Mais dès l’instant où ils devenaient un fardeau, comme cela se produisait fréquemment, ils n’hésitaient pas à les massacrer sans pitié. Un acte dicté très clairement par un fanatisme idéologique était souvent le résultat d’un calcul opportuniste[74], un calcul qui tenait compte des vicissitudes et des hasards liés à l’évacuation, à la peur de tomber aux mains de l’ennemi et à la volonté de protéger les familles de civils de la violence et du danger. Néanmoins, ces meurtres n’auraient jamais pu être commis si le groupe de meurtriers ne s’était trouvé en relation étroite avec le cadre social qui les encourageait. Un cadre qui avait intériorisé des valeurs vouant les ennemis de la nation à une élimination complète.

Conclusion

Selon Wolfgang Sofsky, l’histoire interne de la force et de la terreur qui furent à l’œuvre dans les camps de concentration doit être considérée sous l’angle spatial, à savoir, une histoire qui se déroula dans un espace clos muni d’une certaine « épaisseur » (« dichte Beschreibung »). Cette description, au lieu d’analyser les faits, offre un éventail d’interprétations des situations, des processus et des structures à l’œuvre[75]. Il n’est, de fait, pas étonnant que l’œuvre magistrale de Sofsky sur les camps de concentration ne fasse, à aucun moment, mention des évacuations et des marches de la mort. Celles-ci se déroulèrent dans un espace et des structures différents, elles mettaient en jeu des acteurs nouveaux qui n’existaient pas auparavant ou qui n’étaient pas en service lorsque les camps de concentration fonctionnaient. À d’autres moments, lorsque Sofsky rapporte des faits concernant les marches de la mort, il les extrait presque complètement de leur contexte historique pour les investir d’une signification métahistorique qui n’a d’explication qu’au sein d’une analyse psychopathologique. Sofsky envisage les marches de la mort comme une phase de torture collective ; leur existence ne faisait qu’aiguiser l’appétit des gardes qui prenaient de plus en plus de plaisir dans leur capacité à tuer sans restriction. Les marches de la mort leur donnaient l’occasion rêvée de jouir de la violence et elles duraient assez longtemps pour permettre aux meurtriers d’étancher leur soif de torture et de haine. Ceci explique également pourquoi ils n’ont pas assassiné les prisonniers d’un seul coup[76].

En tentant d’expliquer à la fois l’intensité et l’inutilité de la violence envers les prisonniers en se référant à la période pendant laquelle cela s’est produit (quelques semaines avant la reddition), on peut très vite tomber dans des arguments de ce genre. On ne doit jamais oublier que la période des marches de la mort fut précédée par des mois, pour ne pas dire des années, de violence et de terreur qui ont conduit à la systématisation du système concentrationnaire et ce, dès que le régime fut mis en place. C’était là la conséquence d’un outil politique destiné à pérenniser le système nazi et à extraire ses opposants hors de la société pour les conduire vers un immense goulag de la terreur. Une vaste palette d’options idéologiques était disponible afin de permettre au régime de résoudre ses problèmes : l’option nécessaire à une « hygiène sociale », celle de la main-d’œuvre bon marché pour l’essentiel de la production, celle de l’éloignement et de l’élimination des ennemis politiques et idéologiques, celle des ressources pour les expériences médicales, ainsi que celle du meurtre de Juifs ou autres groupes raciaux. De ce point de vue, le meurtre sans restriction de prisonniers pendant les marches de la mort est une conséquence directe du développement de ce système de terreur. Même s’ils se déroulèrent à l’extérieur de l’espace qui leur était traditionnellement alloué, la terreur et les meurtres restent, dans leur nature, similaires aux précédents.

En plus d’être le chapitre final de l’histoire des camps de concentration, les marches de la mort sont également le chapitre final du génocide nazi. Reste néanmoins que ce chapitre diffère des précédents. Dans les derniers mois du génocide nazi, le groupe des victimes n’était plus identifié aussi clairement. Les victimes de cette dernière phase n’étaient plus seulement les Juifs et, dans de nombreux cas, ceux-ci ne représentaient plus la majorité. Cela explique pourquoi il est si difficile de considérer cette période comme une étape de la Solution finale de la question juive. Voir cette période comme constitutive du cadre de l’extermination des Juifs brouille non seulement l’explication historique mais également notre compréhension de la position des Juifs en tant que groupe spécifique de victimes dans les phases finales du génocide nazi, en gommant le fait que le cercle des victimes s’est étendu au point d’inclure dans ses rangs des individus de diverses nationalités. Il brouille également notre capacité à examiner avec précision la motivation et les circonstances des meurtres, les différents groupes de meurtriers, le climat politique dans lequel ces meurtres se déroulèrent ainsi que le cadre social qui les encourageait. Tenter d’expliquer le phénomène des marches de la mort suivant la perspective unique des étapes de la Solution finale amène de facto à faire un tri parmi les événements examinés et revient à tirer une flèche pour, seulement ensuite, y dessiner la cible autour. Dans les derniers mois du génocide nazi, le processus d’extermination fut entièrement décentralisé. Au cours d’une marche de la mort, la décision d’appuyer sur la gâchette était prise, en dernier recours, par le meurtrier qui accompagnait le groupe de prisonniers. C’est lui qui déterminait si le moment et les conditions pour un tel acte étaient réunis. C’est lui qui déterminait le moment exact de cet acte. Il ne s’agissait pas d’un acte spontané ou impulsif. Il s’agissait d’un calcul fondé sur l’utilité, l’efficacité, le moment et la situation présente. Ce n’était en aucun cas un brusque accès de colère de la part d’une populace exaspérée et poussée par une haine xénophobe ou un antisémitisme radical. Il semble qu’il n’y ait jamais eu tout au long du génocide nazi un pouvoir aussi étendu placé entre les mains d’autant d’individus qui avaient la possibilité d’assassiner ou non selon leur bon vouloir. La situation différait totalement de celle où l’acte de meurtre était contrôlé, planifié et dirigé par un système bureaucratique, souvent faible et désordonné, comme cela était le cas jusqu’à l’été 1944.

Ce qui débuta cet été-là comme une décision prise pour des raisons économiques – le souhait de préserver la force de travail des prisonniers à tout prix – se transforma au début de 1945 en une série d’évacuations brutales au cours desquelles les gardes assassinèrent quiconque entravait leur frénétique marche en avant. Comme la guerre tirait à sa fin, les meurtriers en uniforme furent rejoints par des meurtriers en civil : des groupes de civils et des groupes quasi-militaires encouragés, en l’absence de tout contrôle juridique, à tout faire pour assurer le bien-être de leurs familles et de leurs communautés. Même si ces groupes de meurtriers venaient d’unités et d’entités sans expérience opérationnelle et de structures dont les actions n’étaient ni planifiées ni coordonnées au niveau hiérarchique supérieur au cours des phases précédentes, ils n’eurent pas le moins du monde de mal à s’entendre lorsqu’il s’agissait de commettre un meurtre. Ce fut une coopération entre des forces disponibles et recrutées au hasard qui tentaient d’unir leurs efforts en vue de mener à bien une tâche dont l’importance était reconnue par tous. Chaque pièce de ce puzzle meurtrier n’était responsable que d’une partie de l’acte total : planification, envoi d’instructions, escorte, garde, approvisionnement en pièces de rechanges, en essence ou en armes, l’assassinat lui-même ou encore l’effacement des traces[77].

La particularité ethnique ou raciale des victimes comme objets d’une idéologie qui conduisit à l’acte de tuer s’effaça également. Le dernier stade du génocide nazi diffère en cela de ses premiers stades et on ne peut l’expliquer par les critères en vigueur pendant son apogée. Bien que le consensus idéologique continue d’exister, à cette date, l’image de l’objet du meurtre a déjà changé. Il n’est plus seulement l’ennemi juif (le principal ennemi racial au sein de la campagne meurtrière des nazis), un autre ennemi de race (comme les gitans ou les Polonais), un pollueur de la race ou encore un ennemi politique (par exemple les prisonniers de guerre soviétiques, les handicapés mentaux et les laissés-pour-compte). En conséquence, il est impossible de traiter des meurtres de prisonniers de camps de concentration pendant les marches de la mort comme s’il s’agissait du dernier chapitre de la Solution finale du problème juif. En tant que partie prenante du génocide nazi, il conserve, cependant, un côté juif qui doit être examiné au travers d’une analyse et d’une vue d’ensemble qui prend en compte l’ensemble des conditions et des facteurs sous-jacents. La présence d’autant de prisonniers juifs parmi les détenus au moment des évacuations est un facteur qui doit être regardé comme central pour toute étude tentant d’expliquer l’intensité meurtrière qui prévalut. Cependant, dans ses dernières étapes, le génocide nazi était guidé par une idéologie du meurtre différente de celle qui avait cours les années précédentes. Bien que les meurtres aient pris place au sein d’un consensus établi, l’unicité et l’identité des victimes avaient été effacées, à l’exception de cette identité très particulière et très imaginaire d’un groupe dangereux et inférieur qui ne méritait pas de vivre.

 


[1] David Rousset, L’Univers concentrationnaire, Paris, Pavois, 1946.

[2] Les atrocités et les viols furent montés en épingle par la presse et la propagande allemande, particulièrement par Joseph Goebbels, et contribuèrent largement à cet exode massif historique. Voir Norman M. Naimark, The Russians in Germany. A History of the Soviet Zone of Occupation, 1945–1949, Cambridge et Londres, Belknap, Harvard University Press, 1995, pp. 72-78 ; Catherine Merridale, Ivan's War. Life and Death in the Red Army, 1939–1945, New York, Metropolitan Books, 2006, pp. 307-311.

[3] « Evacuation, Refugees and Displaced Persons in Germany », 10 février 1945, Supreme Headquarters Allied Expeditions Force, RG-338, National Archives and Records Administration (NARA), box 187, file 383.6, pp. 1-2 ; German Intel. N° 117, 26 janvier 1945, The National Archives (TNA), FO 371/46764.

[4] Le docteur Haffner au ministre de la Justice du Reich à Berlin le 1er février 1945 (Der Generalstaatsanwalt Kattowitz), Archwium Panstwowego Muzeum Auschwitz-Birkenau (APMAB), D-RF-3/RSHA/160, pp. 45-46.

[5] Rudolph Höß, Death Dealer. The Memoirs of the SS Kommandant at Auschwitz (Steven Paskuly, éd.), Buffalo NY, Prometheus Books, 1992, p. 234.

[6] Office of Strategic Services (OSS) Report, 4 août 1945, NARA, RG–153, box 245, folder 5, p. 23.

[7] Yehuda Bauer, « The Death-Marches, January–May 1945 », in Michael R. Marrus (éd.), The Nazi Holocaust, Vol. 9 (The End of the Holocaust), Westport, Meckler, 1989, pp. 503-504.

[8] Laurel Leff, Buried by the Times. The Holocaust and the American's Most Important Newspaper, New York, Cambridge University Press, 2005, pp. 294-307.

[9] Michael R. Marrus, The Nuremberg War Crimes Trial 1945–46. A Documentary History, Boston et New York, Bedford Books, 1997, pp. 206-207.

[10] Raul Hilberg, The Destruction of the European Jews, Vol. III, New Haven et Londres, Yale University Press, 2003, p. 1 045 et ss.

[11] Leni Yahil, The Holocaust. The Fate of European Jewry, New York et Oxford, Oxford University Press, p. 541.

[12] Saul Friedländer, Nazi Germany and the Jews 1939–1945. The Years of Extermination, New York, Harper Collins Publishers, 2007, pp. 648-652.

[13] Gerald Reitlinger, The Final Solution. The Attempt to Exterminate the Jews of Europe 1933–1945, New York, The Beechhurst Press, 1953, pp. 459, 461.

[14] SD : Sicherheitsdienst (service de renseignement de la SS). NdT.

[15] Voir, par exemple, Livia Rotkirchen, « The “Final Solution” in its Last Stages », Yad Vashem Studies 8 (1970), pp. 7-29 ; Shmuel Krakowski, « The Death Marches in the Period of the Evacuation of the Camps », in The Nazi Holocaust, op. cit., pp. 476-490.

[16] Irena Malá, Ludmila Kubátová, Pochody Smrti, Prague, Nakladatelství politické literatury, 1965.

[17] Zygmunt Zonik, Anus Belli. Ewakuacja i wyzwolenie hitlerowskich obozów koncentracyjnch, Varsovie, Panstwowe Wydawnictwo Naukowe, 1988.

[18] Daniel J. Goldhagen, Hitler's Willing Executioners, Ordinary Germans and the Holocaust, New York, Knopf, 1996, ch. 13-14.

[19] Ariel Hurvitz, « The Death March of the Jews of Chelm and Hrubieszów toward the River Bug in December 1939 », Yalqut moreshet 68 (October 1999) (en hébreu), pp. 52-68.

[20] Karel C. Berkhoff « The “Russian” Prisoners of War in Nazi-Ruled Ukraine as Victims of Genocidal Massacre », Holocaust and Genocide Studies 15:1 (2001), pp. 1-32.

[21] Karin Orth, Das System der nationalsozialistischen Konzentrationslager, Eine politische Organisationsgeschichte, Hambourg, Hamburger Edition, 1999, p. 270 et ss.

[22] Daniel J. Goldhagen, Hitler’s Willing Executioners, op. cit., p. 335 et ss.

[23] Ibid., p. 371.

[24] Le ministère public auprès de la cour de justice du Land, le cas de Alois Dörr, Zentrale Stelle der Landesjustizverwaltungen (ZStL), 410 AR 1750/61, the court’s ruling, p. 42.

[25] Ainsi que Dieter Pohl le note dans sa critique des thèses de Goldhagen, Dieter Pohl, « Die Holocaust-Forschung und Goldhagens Thesen », Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte 1 (1997), p. 35.

[26] Voir, à ce sujet, Eugon Kogon, The Theory and Practice of Hell. The German Concentration Camps and the System behind Them, New York, Berkley Books, 1998 ; Benedikt Kautsky, Teufel und Verdammte. Erfahrungen und Erkenntnisse aus sieben Jahren in deutschen Konzentrationslagern, Zürich, Büchergilde Gutenberg, 1946 ; Erwin Gostner, 1000 Tage im KZ, ein Erlebnisbericht aus den Konzentrationslagern Dachau Mauthausen, Gusen, Mannheim, W. Burger, 1946 ; David Rousset, L‘Univers concentrationnaire, op. cit. ; Hans Maršálek, The History of Mauthausen Concentration Camp. Documentation, Linz, Gutenberg-Werbering, 1995 ; Israel Gutman, Anashim va-efer, Sefer Auschwitz-Birkenau, Merchavia, Sifriyat Poalim, 1957 (hébreu).

[27] Sur les causes qui contribuèrent au développement des recherches sur les camps, voir Ulrich Herbert, Karin Orth, Christoph Dieckmann (éds), « Die nationalsozialistischen Konzentrationslager. Geschichte, Erinnerung, Forschung », in Die nationalsozialischen Konzentrationslager. Entwicklung und Struktur, vol. I, Göttingen, Wallstein Verlag, 1998, pp. 17-24.

[28] Voir Daniel Blatman, « The Death Marches, January-May 1945 : Who Was Responsible for What ? », Yad Vashem Studies 28 (2000), pp. 155-201.

[29] Andrzej Strzelecki, Endphase des KL Auschwitz. Evakuierung, Liquidierung und Befeiung des Lagers, Oswiecim, Staatliches Museum in Oswiecim-Brzezinka, 1995 ; Joachim Neander, Das Konzentrationslager « Mittelbau » in der Endphase der NS-Diktatur, Dissertation zur Erlangung des akademischen Grades eines Dr phil, Université de Brême, 1996 ; Simone Erpel, Zwischen Vernichtung und Befreiung. Das Frauen-Konzentrationslager Ravensbrück in der letzen Kriegsphase, Berlin, Metropol, 2005.

[30] Martin Broszat, « Nationalsozialistische Konzentrationslager 1933-1945 », in Hans Buchheim, Martin Broszat, Hans-Adolf Jacobsen, Helmut Krausnick, Anatomie des SS-Staates, vol. II, Olten et Freiburg, Walter Verlag, 1965, p. 159.

[31] « Sicherung der Konzentrationslager », International Military Tribunal (IMT), PS-3683.

[32] Józef Marszalek, Majdanek.Obóz koncentracyjny w Lublinie, Varsovie, Wydawnictwo Interpress, 1981, p. 177 ; Zygmunt Zonik, Anus Belli, op. cit., p. 55 ; Karin Orth, Das System, op. cit., p. 271.

[33] Zygmunt Zonik, Anus Belli, op. cit., pp. 45–47.

[34] Inspection des camps de concentration. NdT.

[35] Interrogatoire de Oswald Pohl, le cas WVHA, Yad Vashem Archives (YVA), N4/Proc/E, box 223, p. 1341.

[36] Andrzej Strzelecki, Endphase…, op. cit., pp. 99-100.

[37] Edward Dziadosz, Zofia Leszczynska, « Ewakuacja obozy i wyzwolenie », in T. Mencla (éd.), Majdanek 1941–1944, Lublin, Wydawnictwo Lubelskie, 1991, pp. 399-406 ; Christoph Dieckmann, « Das Ghetto und das Konzentrationslager in Kaunas 1941–1944 », in Die nationalsozialistischen Konzentrationslager, vol. I, op. cit., p. 458 ; Alfred Streim, « Konzentrationslager auf dem Gebiet der Sowjetunion », Dachauer Hefte 5 (novembre 1989), pp. 174-176; Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin 1941–1945, Strasbourg, Nuée bleue, 2005, pp. 159-172.

[38] Interrogatoire de Bassewitz-Behr, le 12 février 1946, et déposition de Max Pauly, 30 mars 1945, TNA, WO 309/408 ; Hermann Kaienburg, Das Konzentrationslager Neuengamme 1938–1945, Bonn, JHW Dietz Nachgolger, 1997, pp. 268-283.

[39] Hermann Pister, commandant du camp de Buchenwald, prit plusieurs décisions drastiques entre le 2 et le 7 avril 1945 : rendre le camp intact aux Américains ou bien évacuer tous les prisonniers, quelques-uns seulement ou seulement les Juifs : Buchenwald Case, NARA, RG–153, box 243, folder 1, p. 50 ; Interrogatoire de Hermann Pister, NARA, RG–153, box 256, p. 6 ; Daniel Blatman, « The Death Marches… », art. cit., pp. 149-151. Le commandant de Ravensbrück, Fritz Suhren, reçut également début 1945 des ordres vagues de Richard Glücks ou du HSSPF à propos des évacuations des camps annexes dont il était responsable, mais il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire des prisonniers et où les envoyer. Karin Orth, Das System, op. cit., pp. 288–289.

[40] Témoignage de Baldur von Schirach, 24 mai 1946, IMT Vol. XIV, p. 440.

[41] Interrogation of Siegfried Uiberreither, March 5, 1946, Dokumentationsarchiv des österreichischen Widerstandes (DÖW), 12.6Z7, pp. 6-7, 9, 11, 17-18.

[42] Témoignage de Rudolf Höß, IMT Vol. XI, pp. 352-354. Sur l’ordre de Himmler d’avril 1945 et ses conséquences sur le destin des prisonniers dans les dernières semaines de la guerre, voir Stanislav Zámécník, « “Kein Häftling darf lebend in die Hände des Feindes fallen”. Zur Existenz des Himmler-Befehls vom 14–18 April 1945 », Dachauer Hefte I (1985), pp. 219-231; Edgar Kupfer-Koberwitz, Die Mächtigen und die Hilflosen. Als Häftlinge in Dachau II, Stuttgart, Friedrich Vorwerk, 1960, p. 260.

[43] Témoignage d'Ernst Kaltenbrunner, IMT, NO-2366

[44] Joachim Neander, Das Konzentrationslager Mittelbau, op. cit., p. 98.

[45] Déposition de Hans Shurtz, ancien responsable de la Politische Abteilung d’Auschwitz, Procès Hössa, APMAB, Hd/16a, p. 115 ; Karin Orth, Das System…, op. cit., pp. 277–278.

[46] Wolfgang Sofsky, The Order of Terror, The Concentration Camp, Princeton, Princeton University Press, 1999, pp. 106-108 ; Karin Orth, Die Konzentrationslager-SS, Göttingen, Wallstein Verlag, 2000, p. 335.

[47] Heinz Boberach, « Die Überführung von Soldaten des Heeres und der Luftwaffe in die SS-Totenkopfverbände zur Bewachung von Konzentrationslagern 1944 », Millitärgeschichte Mitteilungen 2 (1983), pp. 185-190 ; Wolfgang Sofsky, The Order of Terror, op. cit., p. 102.

[48] En 1944, des milliers de militaires de la Luftwaffe se trouvèrent dans la même situation en raison de leur âge ou de problèmes physiques. Voir, à ce sujet, Willy Mirbach, « Damit du es später deinem Sohn einmal erzählen kannst… » Der autobiographische Bericht eines Luftwaffensoldaten aus dem KZ Mittelbau (August 1944–Juli 1945), Geldern, Verlag des Historischen Vereins für Geldern und Umgegend, 1997.

[49] Déposition de Walter Holtz du 15 mars 1948, United States Holocaust Memorial Museum Archives (USHMMA), RG-06.005M, reel 9.

[50] Staatsanwaltschaft beim Landesgericht Duisburg, Strafverfahren gegen Karl Bruno Blach, Dominik Gleba, IX KS 130 (24) Js 28/72, pp. 43-46.

[51] Ibid., pp. 57-61.

[52] Sur le Volkssturm, voir David K. Yelton, Hitler’s Volkssturm, The Nazi Militia and the Fall of Germany 1944–1945, Lawrence, University Press of Kansas, 2002 ; Klaus Mammach, Der Volkssturm. Das letzte Aufgebot 1944/45, Cologne, Pahl-Rugenstein, 1981.

[53] DDR-Justiz und NS-Verbrechen, Amsterdam and Munich, Amsterdam University Press, KG Sauer Verlag, vol. III, 2003, pp. 65-67.

[54] Rapport sur les meurtres pendant l’évacuation des camps de travail en Styrie, Police criminelle de Graz, 5 juillet 1945, TNA, WO 310/155.

[55] Werner Anzenberger, Heimo Halbrainer, Hans Jürgen Rabko, Zwischen den Fronten. Die Region Eisenerz von 1938–1945, Leoben, Institut für Strukturforschung und Erwachsenenbildung, 2000, pp. 60-67; Elenore Lappin, « The Death Marches of Hungarian Jews Through Austria in the Spring of 1945 », Yad Vashem Studies 28 (2000), pp. 232-234.

[56] Voir, à ce sujet, « Männer und Frauen in Hannover-Stadt und Land! », Hannoversche Zeitung, 30 mars 1945 ; « Achtet auf entwichene KZ-Häftlinge! », Lüneburger Zeitung, 11 avril 1945.

[57] Voir, à ce sujet, Gordon W. Allport, Leo Postman, The Psychology of Rumor, New York, Henry Holt and Company, 1947.

[58] Le cas Dörr, pièces à conviction I, p. 169 ; Daniel J. Goldhagen, Hitler’s Willing Executioners, op. cit., pp. 335–354.

[59] Le cas Dörr, arrêt de la cour, p. 30.

[60] Le cas Dörr, pièces à conviction I, p. 180 ; arrêt de la cour, pp. 77–79.

[61] Témoignage de Charlotte Sturmmer, 13 mai 1945, le cas Dörr, pièces à conviction I, pp. 71-72 ; témoignage de Herta Hasse, 13 mai 1945, Ibid., p. 77.

[62] Témoignage de Max Reimann, 16 novembre 1962, Ibid., exhibits II, pp. 387-388.

[63] Le cas Dörr, pièces à conviction I, p. 161 ; arrêt de la cour, pp. 40-41.

[64] Témoignage de Margarete Rycerz, 27 janvier 1965, Ibid., pièces à conviction II, p. 404

[65] Ibid., arrêt de la cour, p. 84.

[66] Déposition de Florjan Drzymała, 20 décembre 1967 ; entrevue avec Florjan Drzymała, 4 août 1999, USHMMA, 2000.311.

[67] Kriegsverbrechen in Lüneburg. Das Massengrab im Tiergarten, Lüneburg, Geschichtswerkstatt Lüneburg e.V., 2000 ; Déposition de Gustav Alfred Jespen, 18 août 1946, TNA, WO, 235/229, p. 249.

[68] Déposition de Anna Feda, 28 janvier 1946, TNA, FO 1020/2056.

[69] Comme, par exemple, la poursuite de prisonniers évadés de Mauthausen en février 1945 et la chasse à l’homme dans les environs de Gardelegen en avril de la même année. Voir Michel Fabréguet, « Entwicklung und Veränderung der Funktionen des Konzentrationslagers Mauthausen 1938–1945 », in Die nationalsozialistischen Konzentrationslager, op. cit., vol. I, p. 210 ; Tage im April. Ein Lesebuch, Schriftenreihe des Stadtmusueums 3, Gardelegen, 1995, p. 24.

[70] Témoignage de Yitzchak Grabowski, 8 juillet 1998, YVA, 03/7001.

[71] Voir Jacques Semelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005, pp. 288–289.

[72] Mark Levene, « Introduction », in Mark Levene, Penny Roberts (éds), The Massacre in History, New York, Oxford, Berghahn Books, 1999, pp. 5-6.

[73] Voir, à ce sujet, Zygmunt Bauman, Modernity and the Holocaust, Cambridge, Polity Press, 1989, pp. 152-153.

[74] Doris L. Bergen, « Death Throes and Killing Frenzies : a Response to Hans Mommsen’s “The Dissolution of the Third Reich : Crisis Management and Collapse, 1943–1945” », Bulletin of the German Historical Institute 27 (automne 2000), pp. 25–37.

[75] Wolfgang Sofsky, The Order of Terror, op. cit., p. 14.

[76] Wolfgang Sofsky, « An der Grenze des Sozialen. Perspectiven der KZ-Forschung », in Die nationalsozialistischen Konzentrationslager, op. cit., vol II, pp. 1160-1163.

[77] Diana Gring, « Das Massaker von Gardelegen », Dachauer Hefte 20 (octobre 2004), pp. 118-119.

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