N°9 / 2017

L’Europe et « ses » juifs. Une première approche

Jacques Aron, Yannis Thanassekos
L’Europe et « ses » juifs. Une première approche

Résumé

Depuis de nombreux siècles vivent en Europe des communautés juives dispersées. Soumises à des persécutions, s’adaptant aux contextes les plus divers, longtemps organisées sur base d’une relative autonomie religieuse et corporative, elles se sont trouvées confrontées à la fin du XVIIIe siècle, dans le cadre de la constitution de puissants États nationaux ou multi-ethniques, à un nouveau modèle d’intégration et d’émancipation politiques. Le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle furent marqués à leur tour par la « question juive » de façon pour ainsi dire indélébile dans notre mémoire collective européenne en raison du génocide perpétré par le IIIe Reich.

À l’heure de la construction européenne mise en place après la Seconde Guerre mondiale en vue d’une unification économique et politique, il nous est apparu utile de faire le bilan de l’expérience juive spécifique au sein de ces processus à la fois en tant que telle et comme révélatrice de conflits d’autres natures, dans et entre les États constamment engagés dans des luttes d’hégémonie politique, de conquête de marchés ou de territoires. En lançant un appel à contributions pour un dossier intitulé « L’Europe et “ses” Juifs », En Jeu espérait actualiser et compléter cette réflexion à un moment hautement significatif pour notre époque marquée, de façon éminemment contradictoire, d’une part
par le déclin sinon l’épuisement historique de la forme « état-nation » sous la pression de la mondialisation des enjeux et des formes d’existence et, de l’autre, par l’inquiétante résurgence de replis souverainistes, protectionnistes, nationalistes, identitaires, xénophobes et racistes – qui ne cachent d’ailleurs pas à l’occasion leur visées expansionnistes. Quid dans ce cadre de la « condition » et de « l’expérience » juives ? Procèdent-elles de quelques « origines » ou « logiques » historiques ?

Vastes questions, impossibles à aborder dans un seul et même dossier.

Nous accueillons ici cinq contributions qui nous éclairent sur quelques aspects particuliers. La contribution de Gaëtan Pégny traite avec fermeté des palinodies de récentes apologies de l’antisémitisme d’Heidegger. De son côté, adoptant l’approche d’histoire sociale, Davide Mano propose une analyse des communautés juives d’Italie qui nous montre bien, d’une part la complexité et la grande diversité de leurs trajectoires sur plan national, régional et local et, de l’autre, l’impossibilité de les réduire à un destin linéaire et collectif indexé aux seuls processus de persécution. Se plaçant sur le terrain de l’analyse littéraire, Elisabeth Schulz nous éclaire sur le sionisme et son impact à travers
la littérature francophone des années 1920. Enfin, heureuse surprise pour nous, deux autres contributions élargissent la focale initiale de notre dossier en nous proposant des analyses sur les communautés juives de Libye (Marialuisa Sergio) et du Maroc (Ilyass Gorfti).

Sommaire du numéro

L’Europe et « ses » Juifs. Une ambition démesurée ?

Jacques Aron, Yannis Thanassekos

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Heidegger, l’Occident, l’Europe et les Juifs : sur Banalité de Heidegger de Jean-Luc Nancy

Gaëtan Pégny

Dans Banalité de Heidegger, Jean-Luc Nancy use et abuse de la référence à la « banalité du mal » d’Arendt pour ramener l’antisémitisme heideggérien à celui qu’il suppose être dès l’origine consubstantiel à l’Occident lui-même, qu’il déclare transi par la haine de soi, dont l’antisémitisme ne serait que la figure principale. Fausse dès son départ, avec la captation fourvoyée de la conceptualité arendtienne et la réduction du sur-nazisme de Heidegger à un antisémitisme immémorial, la démarche de Nancy se fonde sur...

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L’Italie et « ses » Juifs : mobilités, modernités, identités

Davide Mano

Cet article interroge le processus de construction de l’identité juive dans l’Italie moderne à travers une réflexion sur les approches historiographiques. L’analyse proposée s’intéresse à trois moments qui ont marqué l’histoire des Juifs italiens : la diffusion du marché du crédit au XVe siècle, abordée à travers l’étude des mobilités juives ; la création des ghettos au XVIe siècle, considérée à l’intérieur de la tension entre projets conversionnistes de la papauté contre-réformiste et processus d’acculturation des Juifs à la société italienne ; et le parcours d’émancipation...

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Lumière sur le sionisme dans la littérature francophone des années vingt

Élisabeth Schulz

Les récits de voyages en Palestine de Myriam Harry, Josué Jéhouda et Joseph Kessel, et la pièce de théâtre de Léo Poldès, publiés dans les années vingt, ont pour objectif d’éclairer le lecteur sur ce qu’est le sionisme. En effet, celui-ci découvre une description de la reconstruction en Eretz Israël notamment à travers les haloutzim. Nous verrons alors que la construction du foyer national juif soulève bien des interrogations et oblige le franco-judaïsme à se redéfinir. De plus, à travers...

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Le destin d’une communauté méditerranéenne. Les mémoires privées des juifs libyens

Marialuisa Lucia Sergio

L’exode juif de la Libye en 1967, à la suite d’une violente attaque des nationalistes arabes, marque la dispersion d’une des communautés de mizrahim les plus anciennes de la Méditerranée. L’arrivée à Rome de milliers de réfugiés juifs provenant de l’ancienne colonie de Libye fit revivre aux Italiens le souvenir refoulé de son passé colonial. Sur la base de sources inédites, à savoir les interviews avec certains membres de la communauté juive tripolitaine en Italie, cette recherche vise à analyser...

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La diaspora juive marocaine : loin des yeux, près du cœur

Ilyass Gorfti

La présence juive au Maroc est très ancienne et fut nourrie par l’arrivée des réfugiés juifs victimes de persécutions au cours de l'histoire, mais aussi par les conversions des populations berbères autochtones. Depuis les Idrissides jusqu’aux Alaouites, les Juifs ont été régis par les dispositions du droit musulman relatives aux « gens du Livre ». Les pouvoirs évitaient toute ingérence dans leurs affaires cultuelles et judiciaires. à la veille de l'indépendance du Maroc en 1956, la communauté juive représentait environ 280 000...

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Varia

Autour du camp nazi : quelques variations romanesques françaises du dernier quart de siècle

Albert Mingelgrün

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Chronique didactique

Contrer les idées reçues pour que l’histoire scolaire soit vraiment de l’histoire

Charles Heimberg, Laurence De Cock

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Coordination

Jacques Aron

Essayiste

Chercheur indépendant

Yannis Thanassekos

Université de Liège