Des erreurs historiographiques
Bertrand Hamelin, Thomas Fontaine, Yannis ThanassekosRésumé
Cette deuxième livraison de la revue En Jeu. Histoire et mémoires vivantes est consacrée à un sujet jusque-là négligé : l’histoire des erreurs historiographiques. Si, depuis longtemps, les spécialistes d’histoire des sciences physico-mathématiques ont intégré l’analyse des erreurs à leurs recherches, une telle approche n’existe guère en historiographie. Une telle démarche est pourtant susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives notamment pour la compréhension du fonctionnement du champ de la recherche historique.
Le dossier propose des analyses théoriques de la notion d’erreur, saisie dans sa diversité sémantique par le philosophe Stefan Goltzberg, puis étudiée dans le cadre précis de l’historiographie par l’historien Olivier Lévy-Dumoulin. Ensuite, plusieurs études empiriques ont été conduites sur des erreurs dans l’historiographie des grands conflits contemporains, de la répression et des massacres de masse au XXe siècle: l’erreur commise par Olga Wormser-Migot sur l’existence des chambres à gaz homicides dans les camps de Mauthausen et Ravensbrück (Thomas Fontaine et Bertrand Hamelin), le cas discuté de l’interprétation du silence du pape Pie XII dans la pièce de théâtre Le Vicaire de Rolf Hochhuth (Muriel Guittat-Naudin), l’exploitation des erreurs historiographiques par le négationniste Robert Faurisson (Valérie Igounet) et le silence supposé à propos du génocide juif dans l’immédiat après-guerre (Sébastien Ledoux). Sur ce dernier thème, ce dossier propose également un entretien avec François Azouvi, auteur du Mythe du grand silence, ouvrage qui offre un regard renouvelé sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale.
Soucieuse de s’adresser aussi aux enseignants d’histoire du secondaire ainsi qu’aux didacticiens, la revue inaugure dans ce numéro une chronique des enjeux d’histoire scolaire, sous la responsabilité de Laurence de Cock et Charles Heimberg. La première chronique est consacrée à l’intérêt d’aborder en classe ce problème des erreurs historiographiques.
Sommaire du numéro
Pourquoi s’intéresser au problème des erreurs historiographiques ?
Yannis Thanassekos, Bertrand Hamelin, Thomas FontaineLire la suite
Statut de l’erreur en sciences sociales et en sciences de la nature
Stefan GoltzbergL’erreur est ici étudiée au travers de plusieurs disciplines, dont la linguistique, le droit, l’épistémologie et la psychanalyse. Le concept d’erreur est défini et opposé à de multiples phénomènes qui partagent avec lui certains traits, comme le mensonge ou l’illusion (au sens de Freud). La question est soulevée de savoir quel est le statut de l’erreur ; est-ce un mal à éviter ou bien ne peut-on pas plutôt lui trouver une certaine utilité, voire une positivité ? Peut-on s’immuniser contre le risque...
Lire la suiteLa chasse aux erreurs : Lucien Febvre révélé par ses critiques
Olivier Levy-DumoulinDans un premier temps l’article analyse les formes variées que l’erreur historiographique peut prendre pour aboutir à l’impossibilité de l’opposer à un autre référent que les traces historiographiquement constituées de la « réalité ». Aussi le développement prend-il un détour historiographique : l’analyse des erreurs dénoncées par Lucien Febvre au fil de quelques comptes rendus jugés symptomatiques. Cette lecture permet de dégager les trois stades de l’erreur selon Lucien Febvre. Un stade ”méthodique”, un stade durkheimien (dérivé des critiques de...
Lire la suiteL’erreur d’Olga Wormser-Migot sur les chambres à gaz de Ravensbrück et de Mauthausen
Bertrand Hamelin, Thomas FontaineEn 1968, Olga Wormser-Migot soutient sa thèse Le Système concentrationnaire nazi, dans laquelle elle affirme de manière erronée l’inexistence de chambres à gaz à Mauthausen et à Ravensbrück. Cet article analyse la réception de cette erreur de 1968 à nos jours et montre les variétés de cette réception en fonction des groupes (déportés et historiens) et dans le temps.
Lire la suiteUn livre très attendu : Le Mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire, de François Azouvi
Thomas Fontaine, Yannis ThanassekosLire la suite
Interview de François Azouvi autour de son ouvrage
Thomas Fontaine, Yannis ThanassekosLire la suite
Silence et oubli de la mémoire de la Shoah : une « illusion » historiographique?
Sébastien LedouxL’historiographie française a pour habitude de qualifier la période 1950-1970 comme celle de l’oubli ou du silence de la Shoah. Ce discours scientifique, fixé à la fin des années 1980, est contredit par certains faits historiques comme les pratiques mémorielles concernant la rafle du Vel’ d’Hiv’, organisées dès les années 1950. Une telle trace invite à requalifier cette séquence chronologique en portant l’attention cette fois sur les différents « niveaux de mémoire » du génocide. Par ailleurs, l’élaboration de cette erreur historiographique...
Lire la suiteNégationnisme et erreurs historiographiques
Valérie IgounetDans l’histoire du négationnisme, Robert Faurisson occupe une place centrale. Il a apporté à cette propagande ce dont elle avait besoin pour ne plus végéter, pour s’exporter et ressembler à un discours digne de ce nom. Avec lui, le « révisionnisme » ne puiserait pas ses origines dans l’antisémitisme mais dans une soi-disant recherche scientifique objective. À la fin des années 1970, l’affaire Faurisson lui ouvre la voie à la médiatisation en France et à l’étranger. Il s’agit de revenir...
Lire la suiteDe l’erreur historiographique au théâtre. « Le Vicaire » et la question du silence de Pie XII. 1963-2013
Muriel Guittat-NaudinAlors que la question de l’attitude du pape pendant la Seconde Guerre mondiale avait été très rarement traitée par les historiens jusqu’en 1963, le scandale planétaire suscité par Le Vicaire de Rolf Hochhuth durant les années 1963-1966 confère un immense écho à la thèse du silence de Pie XII : le dramaturge allemand y accuse en effet le souverain pontife d’avoir été indifférent au sort des juifs et d’avoir choisi de se taire sur la destruction des juifs d’Europe pour...
Lire la suiteChronique didactique
Chronique des enjeux d’histoire scolaire : à propos des erreurs historiographiques
Laurence De Cock, Charles HeimbergLa problématique des erreurs historiographiques a inspiré la rédaction de cette chronique pour interroger leur place, leur influence, voire leur prégnance, dans le champ scolaire. Au fil des exemples abordés, les auteurs reviennent ici sur quelques contenus du présent volume, et aussi quelques autres problèmes. Leur texte clôt ainsi ce dossier avec la préoccupation des conséquences de ces erreurs historiographiques pour la transmission scolaire d’une intelligibilité du passé. Dans les prochains volumes d’En Jeu, une chronique proposera régulièrement des réflexions...
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