N°2 / Des erreurs historiographiques

L’erreur d’Olga Wormser-Migot sur les chambres à gaz de Ravensbrück et de Mauthausen

Bertrand Hamelin, Thomas Fontaine

Résumé

En 1968, Olga Wormser-Migot soutient sa thèse Le Système concentrationnaire nazi, dans laquelle elle affirme de manière erronée l’inexistence de chambres à gaz à Mauthausen et à Ravensbrück. Cet article analyse la réception de cette erreur de 1968 à nos jours et montre les variétés de cette réception en fonction des groupes (déportés et historiens) et dans le temps.

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En 1968, dans sa thèse pionnière, Le Système concentrationnaire nazi, publiée aux Presses universitaires de France, Olga Wormser-Migot (1912-2002) affirme, contrairement aux témoins oculaires, qu’il n’y avait pas eu de chambres à gaz ni d’assassinats par gazage dans les camps de Mauthausen et de Ravensbrück – et, par extension donc, pas de gazages dans les camps situés à l’intérieur des frontières de l’ancien Reich. Dans une telle perspective, les chambres à gaz comme technique et les assassinats par gazage comme finalité seraient exclusivement réservés aux Juifs et aux Tsiganes. Certes, cette erreur factuelle, bien qu’elle soit de taille, n’invalide nullement l’ensemble de cette thèse de doctorat. Mais elle interroge le traitement des matériaux et des sources disponibles pour écrire cette histoire, à commencer par les témoignages. Elle questionne l’interprétation d’ensemble de la criminalité nazie dans ses multiples dimensions – notamment les rapports complexes entre le système concentrationnaire et le système génocidaire.

Les études récentes consacrées à l’historienne[1] ont posé ces questions et ont accordé une place majeure à la polémique déclenchée par l’affirmation radicale de l’historienne. Plus que la production de l’erreur, sur laquelle nous avons expliqué qu’il était difficile de se prononcer[2], la réception de l’affirmation d’Olga Wormser-Migot est au centre de cet article. Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka interprètent l’assertion d’Olga Wormser-Migot comme étant au final bénéfique pour la compréhension des différences entre le système génocidaire et le système concentrationnaire. La polémique née de la thèse serait, selon elles, venue d’anciens déportés résistants – à commencer par Serge Choumoff – refusant cette différenciation, rétifs à la critique de leurs propres témoignages et, plus largement, s’opposant au travail historique. Mais l’analyse de la réception de l’erreur d’Olga Wormser-Migot, dans sa durée, de sa perception au lendemain de la soutenance de la thèse jusqu’à aujourd’hui, révèle un autre tableau riche d’enseignements sur l’historiographie des déportations. Notre étude met ainsi en lumière une caractéristique essentielle de l’histoire des erreurs historiographiques : leur perception évolue en fonction du contexte scientifique et politique, leur gravité s’en trouvant minorée, ou, au contraire accentuée. Par ailleurs, cette étude de cas confirme que la production historique n’est pas seulement reçue par les acteurs du champ scientifique de l’histoire, mais qu’elle est l’objet d’une réception « hors-champ », en l’occurrence de la part des milieux associatifs, et dans une moindre mesure, dans le champ médiatique. Elle montre également que les débats et oppositions de point de vue ne se situent pas seulement entre ces sphères, mais les traversent.

Une erreur révélatrice du fonctionnement du champ scientifique dans les années 1960-1970

Étudier la réception d’une erreur historiographique oblige à considérer l’ensemble des acteurs du champ historique au sens large : historiens, journalistes, témoins. Le contraste est ici saisissant entre ce que l’on peut qualifier de « non-réception » par les premiers, et les débats qu’entraînent les modalités de réponse à l’erreur parmi les seconds.

Une erreur anodine pour le milieu scientifique ?

La prise en compte de la réception scientifique de la thèse d’Olga Wormser-Migot révèle deux phénomènes majeurs : l’étanchéité du milieu scientifique à la controverse ; le caractère secondaire dans les années 1960-1970 du « problème des chambres à gaz ».

Tous les comptes rendus étudiés sont postérieurs à l’ouverture de la polémique par l’article de Serge Choumoff dans Le Monde, en juin 1969, dont on verra qu’il lance l’affaire. Pourtant, leurs auteurs n’évoquent pas la question, tels Jean-Marie d’Hoop, qui propose une critique positive[3]. Olga Wormser-Migot a le privilège rare de voir sa thèse critiquée à deux reprises dans des Annales ESC alors au faîte de leur prestige. La première critique de Pierre Souyri estime que la thèse « apporte une information exceptionnellement serrée », mais l’auteur n’a pas compris la distinction entre génocide et système concentrationnaire, supposément au cœur de l’ouvrage :

« Chaque progrès de la conquête hitlérienne étend aux nouveaux pays occupés la législation d’exception allemande et s’accompagne de la création de nouveaux camps dont certains, comme Mauthausen, Flossenburg et surtout le Struthof, Auschwitz et Majdaneck, apparaîtront comme spécialisés dans l’extermination. »[4]

Peut-être cette confusion conduit-elle la revue à publier un second compte rendu, signé par Léon Poliakov. Soulignant la « volonté d’objectivité historique » de l’auteur, qui a « trouvé la voie moyenne, et le ton juste », il repère bien l’apport consistant à « disjoindre le génocide du système concentrationnaire »[5]. Mais il ne relève pas qu’Olga Wormser-Migot met en cause l’existence des chambres à gaz de Ravensbrück et de Mauthausen pour établir la distinction.

Au Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, Julien Cain estime que, grâce à ce travail « magistral », les historiens disposent d’« un ouvrage complet sur le système concentrationnaire […]. L’ampleur de la documentation mise en œuvre dans cet ouvrage est à la mesure de l’énormité de l’histoire de la répression »[6]. Il n’est pourtant pas chargé du compte rendu pour la revue du comité, la Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, rôle qui revient à la spécialiste polonaise de Ravensbrück, Wanda Kiedrzynska. Elle relève l’erreur d’Olga Wormser-Migot et en propose une analyse stupéfiante :

« Certains problèmes soulevés par l’auteur appellent la discussion. C’est ainsi qu’au sujet des chambres à gaz dans les camps occidentaux, l’auteur semble se rallier à l’opinion de feu Paul Rassinier […]. Dans son ouvrage Le Mensonge d’Ulysse, et d’autres, il contestait l’existence des chambres à gaz dans les camps. »[7]

Le comble de l’aberration est atteint par une note de la rédaction à propos de cette affirmation : « En réalité, Rassinier ne mettait pas en doute l’existence des “chambres à gaz”. Il s’interrogeait sur la proportion des détenus qui y avaient trouvé la mort. »

Il est impossible d’omettre cette réception, dans l’ensemble favorable, prolongement d’une soutenance réussie. L’historienne a reçu un large satisfecit. Malgré la réaction rapide de Serge Choumoff, et bien que publiés des mois après celle-ci, la plupart des comptes rendus ignorent l’erreur sur la chambre à gaz. L’étanchéité du milieu scientifique à la polémique est remarquable ; dans ces temps de contestation estudiantine, peut-être n’a-t-on pas voulu remettre en cause un jury de thèse composé d’éminents historiens. Par ailleurs, la publication du texte de Serge Choumoff dans Le Monde a fait entrer l’affaire dans une sphère médiatique alors jugée comme lieu indigne de la controverse historique.

Une erreur perçue et réfutée hors du monde scientifique

L’erreur a été seulement perçue hors du champ académique. Au sein du monde déporté, la thèse d’Olga Wormser-Migot suscite de vives réactions, pas toutes hostiles.

L’importance du sujet traité avait d’abord valu à la thèse l’honneur rare d’un compte rendu précoce dans la presse nationale. Le 3 mai 1969, dans Le Monde, Pierre Sorlin loue l’« exceptionnel courage » d’Olga Wormser-Migot, notamment sa capacité à affronter la mémoire des témoins :

« Vouloir clarifier et ordonner l’horreur exigeait un certain renoncement ; il était nécessaire d’arbitrer des conflits entre déportés, de discuter des détails infiniment douloureux, comme le sens originel des fameuses lettres NN (Nacht und Nebel), le rôle exact des fours crématoires, l’existence d’une chambre à gaz à Mauthausen. »

Ainsi, la négation de l’existence de ces chambres à gaz est perçue comme un aspect parmi d’autres de la nécessaire démythification menée par Olga Wormser-Migot. Pierre Sorlin poursuit en conférant à la thèse de l’historienne une place pionnière :

« Auparavant, on avait publié des souvenirs, des essais psychologiques ou sociologiques ; il n’existait pas encore une véritable histoire du phénomène concentrationnaire entre 1933 et 1945. »[8]

L’affaire démarre publiquement le 7 juin 1969, lorsque Le Monde publie une tribune de Serge Choumoff, ancien déporté de Mauthausen et physicien. Un « acte d’accusation »[9] selon Sylvie Lindeperg, qui s’appuie sur la dernière phrase de l’article – « La véritable histoire du phénomène concentrationnaire reste encore à faire » – sans mentionner qu’il s’agit d’une réponse à l’appréciation contraire de Pierre Sorlin.

Il faut revenir sur cette entrée en scène d’un ancien déporté, car sa démarche n’est ni solitaire, ni seulement suscitée par l’article de Pierre Sorlin. Elle résulte aussi de l’attitude incertaine des associations de déportés après la soutenance.

En effet, la première réaction des amicales de Mauthausen et de Ravensbrück, concernées par l’erreur, est favorable à la thèse. Robert Simon salue, en février 1969, un « travail considérable » et souligne l’empathie de l’association avec l’auteur : « Notre amicale était là, représentée à la fois dans le collège des experts officiels et dans l’assistance »[10]. Gilbert-Dreyfus, président de l’amicale de Mauthausen et membre du jury, évoque une « œuvre monumentale, d’une inestimable valeur »[11]. Pour l’ADIR, Anise Postel-Vinay, présentant Olga Wormser-Migot comme « notre camarade de résistance », se félicite de « l’apport considérable » de ce travail et d’une soutenance qui fut un « grand moment de l’université française »[12].

Toutefois, dans un second temps, l’ADIR remarque l’erreur, signalée par Geneviève de Gaulle-Anthonioz dans un compte rendu toutefois élogieux. L’ancienne déportée fait un « amical grief » à l’historienne qui doute de l’existence de la chambre à gaz de Ravensbrück et lui rappelle qu’elle n’a pas tenu compte de sources « difficiles à infirmer »[13]. À cette date, selon son témoignage, Serge Choumoff aurait aussi repéré l’erreur et alerté Émile Valley, le secrétaire général de l’amicale de Mauthausen[14]. Le 26 avril 1969, une réunion est organisée avec l’historienne pour discuter de l’erreur et lui demander un rectificatif.

Cette rencontre étant restée infructueuse et les remarques de l’ADIR sans réponse, cette perception de l’erreur est suivie d’une démarche de réfutation, de la part de Serge Choumoff et de Germaine Tillion, deux déportés au parcours différent et à la notoriété variable.

Le cas de Serge Choumoff est sans doute le plus intéressant car, contrairement à Germaine Tillion, il n’est ni un responsable associatif de premier plan, ni un spécialiste de sciences humaines, puisqu’il est physicien. Il intervient par défaut, l’amicale de Mauthausen étant bouleversée par l’affaire, car son président Gibert-Dreyfus, membre du jury, n’a pas réagi à l’erreur. L’historien « officiel » de l’amicale jusque-là, l’universitaire Michel de Boüard, passe son tour. Serge Choumoff est mandaté en mai 1969 par le congrès de l’amicale pour, comme lui écrit ensuite le secrétaire général Émile Valley, « établir […] une contre-thèse en relevant toutes les erreurs et contre-vérités contenues dans la thèse d’Olga Wormser »[15]. À la suite du congrès, la tribune de Serge Choumoff paraît dans les colonnes du Monde. Les archives de l’ancien déporté montrent que le texte a été rédigé en accord avec Germaine Tillion[16], qui a amendé et reformulé des passages de l’article – ce qui établit le caractère collectif de la démarche de réfutation. Le 19 décembre 1969, les personnes impliquées des deux amicales de Mauthausen et de l’ADIR prennent cette fois la décision de se tourner vers les membres du jury de la thèse, pour obtenir un rectificatif à insérer dans l’ouvrage. Le compte rendu de cette réunion montre qu’il s’agissait de ne pas trop heurter l’historienne ni de lui chercher « querelle », en reconnaissant « la somme de travail » réalisé, mais « d’exiger qu’un ouvrage appelé à servir de référence pour l’étude du système concentrationnaire ne puisse contenir des erreurs aussi graves »[17].

Serge Choumoff entame ses recherches sur la question des gazages, en obtenant en octobre 1969 l’accès aux archives du ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre. Il rassemble dans divers centres d’archives européens les documents sur les assassinats par gaz dans le complexe autrichien, ses recherches étant ralenties par ses activités professionnelles. Fin décembre 1972, la brochure Les chambres à gaz de Mauthausen est éditée par l’amicale[18]. « Cette étude a été motivée à la fois par la stupeur et l’indignation », explique l’auteur en introduction. Dans sa préface, Roger Heim, nouveau président de l’amicale, tout en soulignant la rigueur scientifique de l’étude et de son résultat, se montre mesuré en précisant que ce texte « complète et rectifie certaines affirmations qu’une thèse de doctorat récemment soutenue en Sorbonne avait introduites, à côté de mérites indiscutables ».

En janvier 1973, les éditions du Seuil publient le « second » Ravensbrück de Germaine Tillion, qui consacre une annexe à cette erreur, intitulée « À propos des chambres à gaz dans les camps de l’Ouest », où l’ethnologue s’avoue « consternée ». « Selon Olga Wormser-Migot, ces chambres à gaz seraient mythiques. Cette affirmation, dans une thèse d’histoire, m’a, je dois le dire, stupéfiée. »[19] Dans ce livre, qui répond à la « demande » de l’ADIR[20], Germaine Tillion explique qu’il s’agit de corriger les « erreurs de quelques-uns, l’imprécision des autres » qui peuvent « détruire la certitude autour de ce qui fut si cruellement réel et certain »[21].

L’impossible controverse

Une conclusion majeure des études de sociologie ou d’histoire des sciences est qu’une erreur, par la réfutation qu’elle suscite, contribue à l’avancée de la connaissance scientifique. Or, le cas étudié rappelle que des conditions sont nécessaires à cette vertu cognitive de l’erreur.

En effet, dans la décennie qui suit la soutenance de la thèse, aucune controverse scientifique n’a pu se développer. D’emblée, le dialogue entre les associations de déportés et l’historienne a été difficile. Pour l’essentiel, les associations de déportés ont essayé d’obtenir d’Olga Wormser-Migot une réfutation de ses assertions, sans que l’historienne accepte de revenir sur ses propos. Elle ne fournit pas non plus d’éléments de preuve supplémentaires permettant d’étayer son affirmation. Pour ceux qui ont réagi, ce refus rendait nécessaires les réfutations de Germaine Tillion et Serge Choumoff.

Ceux-ci essaient de diffuser leurs réponses historiques dans de multiples directions. Nous avons pu analyser la stratégie suivie par Serge Choumoff. Il bénéficie du carnet d’adresses de Jacques Delarue, auteur d’une remarquée Histoire de la Gestapo[22]. Les principales bibliothèques et institutions historiques françaises et étrangères sont ciblées, ainsi que de prestigieux universitaires (François Furet, Emmanuel Le Roy Ladurie, René Rémond, etc.), dont les membres du jury de la thèse. Serge Choumoff et Jacques Delarue rencontrent aussi Joseph Billig et Georges Wellers, du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC). Léon Poliakov reçoit aussi un exemplaire. Serge Choumoff contacte Jean Cayrol, ancien déporté de Mauthausen, qui lui conseille d’envoyer un exemplaire à la revue Esprit, ainsi qu’à Robert Antelme, André Schwartz-Bart, Élie Wiesel ou Robert Paxton.

Il y a deux manières de juger le résultat de ces démarches.

La première est la parution d’un additif – et non pas un rectificatif – d’Olga Wormser-Migot, fin 1973, inséré dans les exemplaires de la thèse. Sylvie Lindeperg y voit un « geste d’apaisement […] inachevé » car l’historienne « se contente […] de prendre acte de la polémique » ; elle « ne reconnaît pas son erreur ; et ce d’autant moins qu’elle pense sincèrement ne point s’être trompée »[23]. Expliquant que son « affirmation a donné lieu à des démentis catégoriques de la part des rescapés de Ravensbrück et de Mauthausen, pour lesquels l’existence des chambres à gaz dans ces camps ne peut et ne doit être mise en doute », Olga Wormser-Migot se limite à indiquer qu’elle se sent « tenue de porter ce fait à la connaissance des lecteurs de cette thèse ».

On ne s’étonnera pas que cette formulation ait été jugée choquante par beaucoup d’anciens déportés touchés par l’erreur. Sylvie Lindeperg fait état de la réaction positive de l’amicale de Mauthausen, qui tiendrait dès lors une position « plus mesurée »[24] : mais le texte cité de Raymond Hallery, publié dans le Bulletin de l’amicale[25] suscite en fait bien des remous en interne. Beaucoup, à commencer par Serge Choumoff, critiquent sa mansuétude à l’égard de l’historienne. L’ADIR s’insurge contre l’attitude d’Olga Wormser-Migot. Sa présidente, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, fait part de sa déception : « Nous avons longtemps espéré que l’auteur se rendrait compte de son erreur et accepterait de faire une mise au point. Nous y avons apporté beaucoup de patience. »[26]

Ainsi, les anciens déportés qui se sont élevés contre l’erreur, en apportant des éléments nouveaux au dossier des gazages, ont l’impression de ne pas avoir été entendus. Signe supplémentaire, avant cet additif, Le Monde publie le 30 août 1973 deux comptes rendus : le premier est celui du livre de vulgarisation d’Olga Wormser-Migot, L’ère des camps, par Josane Duranteau ; le second est le Ravensbrück de Germaine Tillion, par Roger Errera. Aucun ne fait écho à l’erreur et à la polémique, le premier évoquant une « thèse qui fait autorité ».

La seconde manière de juger de la réception des travaux publiés est de s’intéresser aux historiens universitaires. Car, si aucun ne participe à l’encadrement de la recherche de Serge Choumoff – seul le non-professionnel Jacques Delarue est impliqué –, l’instinct de protection constaté pour la réception de la thèse d’Olga Wormser-Migot s’observe à nouveau dans la non-réception de la brochure de l’ancien déporté.

On pourrait s’intéresser à la réception du second Ravensbrück de Germaine Tillion, mais il n’est pas uniquement centré sur la question des chambres à gaz et sur l’erreur d’Olga Wormser-Migot. Le silence sur la controverse serait néanmoins à souligner. Le texte de Serge Choumoff est une réponse sur ce thème précis, et sa réception est d’autant plus éclairante que son auteur est un ancien déporté non universitaire.

Or, le texte n’est reçu dans les revues scientifiques que par un compte rendu tardif de Joseph Billig, en 1976[27]. Rappelant les différents cas de gazages (d’abord dans le cadre du génocide des Juifs, pour l’euthanasie des malades mentaux, enfin « pour la suppression d’internés rendus invalides par les conditions atroces de la vie et du travail concentrationnaires »), il montre que Serge Choumoff a « minutieusement » reposé le problème des chambres à gaz dans les camps de l’Ouest et le lien existant entre les anciens centres d’euthanasie et le système concentrationnaire. Mais il juge qu’il ne l’a pas fait sans des « passages polémiques », retenant l’idée que, pour certains déportés, « le “gazage” lui-même ne peut pas être séparé, dans leur souvenir, de la structure du régime sous lequel ils ont vécu ».

Répondant à une thèse de doctorat, Serge Choumoff est soucieux d’obtenir d’autres réceptions scientifiques. Sa correspondance montre que les historiens sollicités ont choisi de ne pas s’inscrire dans le débat, tout en donnant parfois raison à l’ancien déporté. Certains saluent son travail. Ainsi, Pierre Renouvin, membre du jury de la thèse, lui écrit dès après la parution de sa brochure que « cette étude ne peut laisser aucun doute sur la portée de l’erreur commise [...]. Cette démonstration était nécessaire »[28]. Une éminente figure de l’école historique française, tout en convenant de la « bourde » du jury et s’affirmant prête à s’associer à « toute autre forme de protestation contre cette interprétation concernant Mauthausen et aussi l’évocation de la psychanalyse »[29], reste sur sa réserve, au nom du respect des spécialités de l’université :

« Je ne suis pas spécialiste d’histoire contemporaine et n’ai donc – selon nos règles universitaires – pas qualité pour intervenir officiellement dans le débat que votre protestation devrait susciter. »[30]

D’autres s’agacent. Un historien répond ainsi à Serge Choumoff, « qu’exerçant un métier écrasant, avec 20 000 pages de thèses et de mémoires à lire par an, recevant vingt à trente lettres et deux ou trois livres ou tirés à part par jour, et n’ayant pas de secrétaire », il ne peut rendre compte de tous les travaux historiques publiés. Et, abordant l’erreur, il écrit :

« J’ai toutes les raisons de croire que dans ce débat, c’est vous qui avez raison […] Mais je ne suis pas assez spécialiste pour faire une étude critique de la question et me consacrer à une campagne de presse pour établir la vérité, laquelle dans notre domaine n’a pas la netteté qu’elle revêt dans les sciences. »[31]

La réception est intéressante en ce qu’elle illustre le problème de l’expertise des historiens face à des questions qui ne relèvent pas stricto sensu de leur spécialité et montre la variation dans le temps du rôle social de l’historien : l’affaire Faurisson verra au contraire l’implication d’historiens universitaires « non spécialistes ». Surtout, le manque de réaction et de soutien, outre qu’il illustre la frontière entre historiens amateurs et professionnels, montre qu’en ce début des années 1970 le problème des chambres à gaz dans les camps de l’Ouest ne constitue pas un enjeu majeur.

Confrontée à cette non-prise en compte du travail de Serge Choumoff par des revues scientifiques et afin de donner plus de visibilité à cette recherche, l’amicale de Mauthausen remet en 1974 le dossier à Christian Bernadac, qui prépare alors sa trilogie sur le complexe autrichien. Le journaliste vilipende l’historienne, en raison de son erreur sur les chambres à gaz de Mauthausen et de Ravensbrück et de son attitude face aux déportés. Tout en soulignant l’« audience confidentielle »[32] de la thèse, il fait part de son inquiétude et consacre dans Les 186 Marches un chapitre particulier sur « les chambres à gaz », résumant les conclusions de Serge Choumoff, ainsi largement diffusées, mais en direction d’un lectorat non-spécialisé peu à même de comprendre les enjeux de cette affaire.

En définitive, l’erreur d’Olga Wormser-Migot n’est pas devenue un enjeu historiographique important dans les années suivant la soutenance de la thèse. Les positions initiales de l’historienne et de ses détracteurs sont restées figées et les autres acteurs du champ de la recherche historique sont demeurés à l’écart d’une controverse délicate, ignorant pour l’essentiel les recherches nées de la polémique.

Disqualification puis requalification de l’œuvre d’Olga Wormser-Migot par cette erreur

Le cas de l’erreur d’Olga Wormser-Migot est particulier, car elle est demeurée un enjeu historiographique et mémoriel des années après sa commission. Quelles furent les conséquences de cette erreur pour la place d’Olga Wormser-Migot dans l’historiographie de la déportation ?

Une disqualification immédiate ?

« Elle espérait que cette thèse lui ouvrirait les portes de l’université. Une affirmation erronée, celle de l’inexistence de chambres à gaz dans les camps de l’Ouest, lui valut l’ire de certains déportés », écrit dans un raccourci ambigu Annette Wieviorka, qui cible le texte publié par Serge Choumoff dans Le Monde en juin 1969, « assassinant définitivement l’ouvrage dans sa totalité, ce dont Olga Wormser-Migot ne se remit jamais »[33]. Cette thèse d’une disqualification immédiate ne tient guère.

Il faudrait revenir en détail sur la solitude professionnelle de l’historienne après 1969. Certes, « dans ses mémoires, Olga Wormser-Migot qualifie d’“enfer” cette période de l’après-thèse »[34], mais elle conserve de nombreux soutiens. Les sentiments de l’historienne et sa situation dans le champ de l’histoire sont deux domaines différents, mais il est étonnant de s’en tenir au seul premier aspect. En février 1974, l’historienne reprend ainsi contact avec le Réseau du souvenir, après quelques mois de « silence »[35]. Au même moment, lors d’une réunion de la Commission Déportation, le CH2GM lui confie la tâche de réfléchir à un article méthodologique sur la Statistique des déportés[36]. Sa participation à l’Histoire des Juifs en France, les deux volumes L’ère des camps et L’ère concentrationnaire, et même ses publications dans Historia, datant tous de la période de la polémique, témoignent d’une historienne non exclue du champ de l’édition. En mars 1975, elle participe aux États-Unis à un colloque sur le génocide, aux côtés des meilleurs spécialistes. Dans le livre qu’elle signe avec Vercors en 1979 contre les négationnistes, elle décrit ainsi son imposant réseau amical et professionnel :

« Je ne peux nommer tous ceux avec lesquels je lutte contre les “révisionnistes” et les falsificateurs, tous mes amis historiens, philosophes, sociologues, écrivains ; tous les spécialistes de la “solution finale” et des camps nazis, Billig ou Wellers, Poliakov ou Steinberg, Rutkowski ou Borwicz, les anciens des camps dont les souvenirs me hantent, Semprun ou Charlotte Delbo, Gilbert-Dreyfus ou Anne-Marie Bauer, Louis Martin-Chauffier ou Jean Cayrol, Desnos ou Fondane, Robert Antelme ou Anna Langfuss, ou des milliers d’autres et tous ceux qui luttent contre le racisme et la prescription des crimes de guerre. Ils se reconnaîtront. »[37]

Sur le fait ensuite que cette polémique empêcha l’historienne d’assouvir ses ambitions universitaires, on ne saurait répondre sans savoir si elle fut candidate à la liste d’aptitude. Comme l’écrit Sylvie Lindeperg, Olga Wormser-Migot, âgée de 56 ans au moment de sa soutenance et non agrégée, n’était pas forcément en position d’être recrutée[38].

Au sein du monde déporté, après « l’assassinat » prétendument perpétré par Serge Choumoff, Olga Wormser-Migot a conservé le soutien de déportés influents, dont les dirigeants de la FNDIRP, en premier lieu Marie-Elisa Nordmann-Cohen. La fédération a donné une large place aux « thèses capitales »[39] d’Olga Wormser-Migot après la soutenance et tu la réaction de Serge Choumoff. À l’inverse, les travaux et interventions publiques d’Olga Wormser-Migot sont signalés par Le Patriote résistant pendant toute la polémique. De même, au Réseau du souvenir, dont l’historienne est membre depuis 1957, ni l’erreur ni la polémique ne sont évoquées[40]. Les liens n’ont donc été que partiellement rompus avec les anciens déportés. En revanche, il est vrai que l’autre grande fédération de déportés, l’UNADIF-FNDIR, vilipende l’attitude de l’historienne[41] et que les ponts sont coupés avec l’ADIR.

Ces réactions contrastées s’expliquent probablement par les liens amicaux et politiques de l’historienne avec des membres des principaux groupements d’anciens déportés. Ces éléments nuancent l’analyse de Sylvie Lindeperg qui écrit que « du jour au lendemain, Olga se trouve coupée de sa base, mise à l’index par une partie du milieu déporté qu’elle considère comme sa seconde famille »[42], sans préciser qu’une autre « partie », non négligeable, l’a soutenue.

Une erreur devenue embarrassante (1978-1979)

Le fait que la perception d’une erreur évolue selon les groupes sociaux et à l’intérieur de ces groupes sociaux a été précédemment montré. Le cas de l’erreur étudiée ici illustre également le fait que cette perception évolue en fonction du contexte. L’affaire Faurisson, qui démarre véritablement à la fin de l’année 1978, démonétise en partie la thèse d’Olga
Wormser-Migot, exclusivement en raison de cette erreur utilisée par le négationniste, et confère à Serge Choumoff une reconnaissance cherchée en vain pendant plusieurs années.

Au début de l’affaire, il est pourtant reconnu à Olga Wormser-Migot un rôle d’experte – indice supplémentaire de sa non-éviction. Lorsque Le Monde commet la « bourde monumentale »[43] de publier le texte de Robert Faurisson – « Le problème des chambres à gaz » ou « la rumeur d’Auschwitz » – niant l’existence des chambres à gaz, le quotidien propose un dossier contradictoire, avec un article de Georges Wellers et un texte de l’historienne[44]. Tous deux sont présentés par le journal comme des spécialistes, et il est signalé qu’Olga Wormser-Migot « a soutenu une thèse et publié un ouvrage sur les camps de concentration qui font autorité », sans allusion à la polémique ouverte en 1969. Le quotidien et l’historienne ne répondent pas au fait, pourtant surprenant pour le lecteur, que Robert Faurisson utilise dans le titre de sa tribune le titre du paragraphe de la thèse – « Le problème des chambres à gaz » – consacré à celles de l’Ouest, en la citant en référence.

Olga Wormser-Migot prolonge cet engagement contre les négationnistes par un livre, signé avec Vercors, Assez mentir ! Elle y rappelle notamment qu’elle avait été citée comme témoin à l’un des procès de Paul Rassinier, aux côtés de ses amies de l’époque, anciennes déportées à Ravensbrück[45]. Elle revient aussi sur ses contacts avec Faurisson en 1977-1978, pour mieux réaffirmer sa position de 1968 sur les chambres à gaz des camps de l’Ouest et occulter la polémique qui l’a suivie[46].

Pourtant, l’affaire Faurisson est le moment d’une disqualification majeure pour l’historienne. Celle-ci n’est pas explicite comme dans le texte de Serge Choumoff, mais sa violence symbolique n’en est pas moins forte. En effet, l’affaire Faurisson signe la fin de la position de retrait des historiens universitaires observée précédemment. S’il est incontestable que les propos de Faurisson en 1978 sont incomparables aux assertions d’Olga Wormser-Migot en 1968, l’engagement des historiens universitaires est cette fois remarquable. Cette intervention publique prend la forme d’une tribune collective[47] de 34 « historiens français venus d’horizons divers », spécialistes de toutes les périodes, publiée dans Le Monde le 21 février 1979. Or, Olga Wormser-Migot n’est pas associée à cette réaction. Surtout, la « courte bibliographie » fournie à la fin de l’article ignore sa thèse. L’omission est volontaire, la bibliographie étant présentée à Serge Choumoff par un des signataires comme une « prise de position contre la thèse d’Olga Wormser-Migot »[48]. De surcroît, le Ravensbrück de Germaine Tillion et le Mauthausen de Michel de Boüard – soit deux travaux évoquant les chambres à gaz – figurent dans la bibliographie, mais pas la brochure de Serge Choumoff. Enfin, deux travaux d’Olga Wormser-Migot sont mentionnés[49], mais dans la rubrique « Témoignages et documents », et non dans les « Analyses historiques et sociologiques », manière de ramener l’historienne à la dimension mémorialiste de son œuvre.

Parallèlement à cette disqualification symbolique, on observe, peut-être selon le phénomène classique des vases communicants, une revalorisation du travail de Serge Choumoff, qui obtient enfin la reconnaissance recherchée. Ainsi, sa brochure est l’objet d’un compte rendu signé par André Kaspi dans Le Monde juif[50], sept ans après sa publication. Dans Les Assassins de la mémoire, Pierre Vidal-Naquet explique qu’il ne voit « aucune raison de mettre en doute l’existence [des chambres à gaz] de Ravensbrück, du Struthof, de Mauthausen » et, pour cette dernière, renvoie à la « démonstration » de Serge Choumoff qui « réfute de façon convaincante les quelques pages écrites à ce sujet par O. Wormser-Migot ». Il ajoute que cette démonstration a « convaincu des historiens comme P. Renouvin et J.-B. Duroselle »[51]. Surtout, de nouveaux travaux approfondissent la première édition de 1972 et confèrent à Serge Choumoff une place dans l’historiographie des gazages[52]. Fort de ce capital scientifique, il ne manque jamais une occasion de critiquer la thèse d’Olga Wormser-Migot.

Cependant, rien n’indique que cette affaire ait durablement modifié la place d’Olga Wormser-Migot dans l’historiographie de la déportation. L’analyse de la bibliographie sur le sujet publiée dans les années 1980-1990 montre que sa thèse est régulièrement citée par les spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, sans que l’erreur sur les chambres à gaz soit mentionnée ou discutée. On évitera ici d’évoquer la moindre omerta : sans doute cette situation s’explique-t-elle avant tout par la volonté de ne pas entretenir une confusion entre cette erreur et la négation générale des chambres à gaz par Faurisson et ses disciples, amalgame irrecevable, d’ailleurs parfois pratiqué par Serge Choumoff[53].

Une requalification par l’erreur ?

Le décès d’Olga Wormser-Migot marque une inflexion dans la perception de cette erreur, puisque c’est dans l’hommage nécrologique qu’elle rend à l’historienne qu’Annette Wieviorka propose pour la première fois cette analyse de l’affaire : « Pourtant au-delà de l’erreur […], Olga Wormser-Migot avait vu juste »[54]. Il ne s’agit pas là d’une affirmation liée à la nature particulière de l’exercice nécrologique, mais d’une position de fond, répétée ensuite dans des travaux scientifiques, Sylvie Lindeperg adoptant la même lecture de l’erreur dans son ouvrage sur Nuit et Brouillard. Les deux chercheuses tendent ainsi à une réhabilitation du parcours et de l’œuvre de leur aînée :

« L’historienne a donc bel et bien commis une erreur, même si la distinction qu’elle établit demeure tout à fait pertinente. Elle a par ailleurs pris très nettement ses distances à l’égard des témoignages, dont elle formule une critique parfois sévère en même temps qu’elle note avec perspicacité l’entrée en force dans les récits de déportés du thème de la chambre à gaz. Elle a enfin l’intuition d’une concurrence des mémoires qui trouvera sa pleine amplitude à partir des années 1980, mais qu’elle contribue déjà involontairement à aviver. »[55]

L’historienne aurait donc eu raison sur l’essentiel. Les processus constitutifs du système concentrationnaire et du génocide des Juifs étant différents, l’erreur sur les chambres à gaz dans les camps de l’Ouest – ceux du système, opposés aux centres de mise à mort de l’Est – permet de clarifier la situation et de pointer les exagérations des anciens déportés résistants et politiques qui cherchent à s’approprier une chambre à gaz symbole du génocide : Olga Wormser-Migot laisse penser que celle-ci est, par définition, réservée aux Juifs[56].

La polémique qui suit est considérée tout aussi qualifiante que l’erreur elle-même et tend à élever Olga Wormser-Migot au rang de martyr de la profession :

« Sa tragique mésaventure illustre les risques du métier, la quête incertaine de la vérité, la difficulté d’écrire l’histoire sous la surveillance des témoins, la solitude enfin de ceux qui font œuvre pionnière. »[57]

La démonstration ne s’embarrasse pas de nuances lorsqu’Annette Wieviorka estime que « mise à l’index après la soutenance de sa thèse, la totalité de son travail fut alors invalidée. La mémoire a triomphé. »[58] Est-il nécessaire de préciser que nous ne partageons pas cette opinion, ne serait-ce que parce que l’on peine à saisir en quoi le rétablissement d’une vérité historique illustrerait le triomphe de la mémoire ?

Conclusion

Doit-on, par souci de réflexivité, situer notre propre étude dans la logique de disqualification/requalification qui a été jusque-là à l’œuvre dans l’analyse de l’erreur d’Olga Wormser-Migot depuis 1968 ? Peut-être soupçonnera-t-on dans notre propos une volonté de « redisqualification » de l’historienne ou – ce qui reviendrait au même – un projet de requalification de ses détracteurs. Si telle était la réception de ce texte, notre objectif ne serait pas atteint. Nous avons considéré cette erreur comme un angle d’observation du fonctionnement du champ historique de 1968 à nos jours et de l’historiographie du système concentrationnaire et du génocide.

Les dynamiques mises en évidence nous semblent nettes. Une première phase se caractérise par la volonté des historiens de métier de ne pas entrer dans ce qui est perçu comme une polémique mémorielle, alors qu’il s’agit en premier lieu d’une controverse scientifique. Ensuite, la nécessité fait foi et l’entrée en scène des négationnistes apparaît comme un facteur déterminant du changement de position des historiens quant à leur rôle d’expert sur l’histoire en général, en ne se limitant plus à leur domaine d’activité. Dès lors, la rectification de l’erreur d’Olga Wormser-Migot devient un important acquis pour l’historiographie de l’univers concentrationnaire nazi – et la tentative de présenter cette erreur comme une « erreur qualifiante » demeurera probablement comme l’une des figures paradoxales des résistances de certains chercheurs à accepter les controverses, surtout lorsqu’elles émanent d’acteurs situés hors du champ des historiens de métier. Enfin, notre étude met en lumière un phénomène jusque-là peu analysé, soit le fait que la mémoire de la discipline historique, saisie ici dans le cas d’une thèse et de son auteur, connaît aussi de fortes fluctuations. La mémoire de l’histoire s’avère un champ d’étude aussi porteur de sens que l’histoire de la mémoire.

 

 


[1] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », un film dans l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2007 (le dernier chapitre, « Le tombeau d’Olga » est largement centré sur l’erreur) ; Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg, Univers concentrationnaire et génocide, Paris, Fayard, 2008 ; Thomas Fontaine, Bertrand Hamelin, « Olga Wormser-Migot dans l’histoire », in Béatrice Fleury et Jacques Walter (dir.), Qualifier des lieux de détention et de massacre, 3 : Figures emblématiques, mobilisations collectives, Nancy, Presses universitaires de Nancy, « Questions de communication », série actes 9, 2010, pp. 211-230.

[2] Thomas Fontaine, Bertrand Hamelin, « Olga Wormser-Migot dans l’histoire », op. cit.

[3] Revue d’histoire moderne et contemporaine, octobre-décembre 1970, t. XVII, pp. 1026-1028.

[4] Pierre Souyri, « Olga Wormser-Migot, Le système concentrationnaire nazi (1933-1945) », Annales ESC, 1971, vol. 26, n° 1, pp. 50-51, cit. p. 51.

[5] Léon Poliakov, « Olga Wormser-Migot, Le système concentrationnaire nazi (1933-1945) », Annales ESC, 1972, vol. 27, n° 2, pp. 513-519., cit. p. 513.

[6] Service historique de la Défense, BAVCC, boîte 171 (ancienne cotation), procès-verbal de la réunion du 4 décembre 1969 de la commission Déportation du CH2GM.

[7] Wanda Kiedrzynska, « Une thèse sur le système concentrationnaire nazi », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 83, juillet 1971, p. 99.

[8] Pierre Sorlin, Le Monde, 3 mai 1969.

[9] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », op. cit., pp. 251 et 249.

[10] Bulletin de l’amicale de Mauthausen, février 1969, n° 143, p. 5.

[11] Archives nationales, 72 AJ 2168, bulletin n° 20 du Réseau du souvenir, décembre 1968.

[12] Voix et Visages (journal de l’ADIR), n° 116, novembre-décembre 1968.

[13] Voix et Visages, n° 117, janvier-février 1969.

[14] Témoignage aux auteurs, décembre 2007.

[15] Archives Serge Choumoff, lettre d’Émile Valley à Serge Choumoff, 2 juin 1969.

[16] Une approche génétique de ce texte a été rendue possible grâce à ces archives.

[17] Archives Serge Choumoff, procès-verbal dactylographié de la réunion.

[18] Pierre-Serge Choumoff, Les chambres à gaz de Mauthausen. La vérité historique, rétablie par P.-S. Choumoff, à la demande de l’amicale de Mauthausen, Paris, Amicale des déportés et familles de disparus du camp de concentration de Mauthausen, 1972.

[19] Germaine Tillion, Ravensbrück, Paris, Seuil, 1973, pp. 10 et 12.

[20] Comme cela est rappelé dans le n° 141 de Voix et Visages, janvier-février 1974, avec ce titre principal : « La chambre à gaz de Ravensbrück » ; en dessous, les portraits de Germaine et Madeleine Tambour, gazées à Ravensbrück.

[21] Germaine Tillion, Ravensbrück, op. cit., p. 7.

[22] Jacques Delarue a relu au printemps 1972 le manuscrit élaboré par Serge Choumoff. « C’est un travail de chartiste et d’enquêteur soucieux de la vérité », lui écrit-il dans une lettre du 3 mai 1972. Archives Serge Choumoff.

[23] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », op. cit., pp. 255-256.

[24] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », op. cit., pp. 255-256.

[25] Bulletin de l’amicale de Mauthausen, n° 169, décembre 1973.

[26] Voix et Visages, n° 142, mars-avril 1974.

[27] Joseph Billig, « Les chambres à gaz dans les camps », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 101, janvier 1976, pp. 121-123.

[28] Archives Serge Choumoff, lettre de Pierre Renouvin à l’amicale de Mauthausen, 17 janvier 1973.

[29] L’historien en question est un spécialiste d’histoire des mentalités.

[30] Archives Serge Choumoff, lettre à Serge Choumoff, 18 janvier 1973.

[31] Ibid., lettre à Serge Choumoff du 16 décembre 1974. C’est l’auteur de la lettre qui souligne.

[32] Christian Bernadac, Les 186 Marches, Paris, France-Empire, 1974, p. 230.

[33] Annette Wieviorka, « Olga Wormser-Migot, une historienne de la déportation », Le Monde, 8 août 2002.

[34] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », op. cit., p. 257.

[35] Dans cette lettre au R. P. Riquet, le président de l’association, elle impute ce silence « à des causes variées sur lesquelles [elle] préfère ne pas [s]’appesantir désormais ». AN, 72 AJ/2155.

[36] AN, 72 AJ/679, procès-verbal de la réunion du 4 février 1974.

[37] Vercors, Olga Wormser-Migot, Assez mentir !, Paris, Ramsay, 1979, p. 33.

[38] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », op. cit., p. 251.

[39] Le Patriote résistant, n° 350 et n° 351, décembre 1968 et janvier 1969.

[40] Notamment dans le bulletin de l’association, voir AN, 72 AJ/2168.

[41] Maurice Braun, « De la nécessité de supprimer les légendes de l’histoire de la déportation » Le Déporté, n° 293, février-mars 1973.

[42] Sylvie Lindeperg, « Nuit et brouillard », op. cit., p. 257. L’usage du simple prénom « Olga » participe du caractère foncièrement commémoratif du propos de Sylvie Lindeperg, d’autant qu’il s’accompagne de la dénomination de « Choumoff » (sans prénom) pour désigner le contradicteur de l’historienne.

[43] Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, « Le jour où Le Monde a publié la tribune de Faurisson », Le Monde, 21 août 2012, pp. 12-13, cit. p. 13.

[44] Georges Wellers, « Abondance de preuves », Le Monde, 29 décembre 1978 ; Olga Wormser-Migot, « La solution finale », Le Monde, 30 décembre 1978. Voir Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris, Seuil, 2000, pp. 235-237.

[45] Vercors, Olga Wormser-Migot, Assez mentir !, op. cit., pp. 76-77.

[46] Ibid., pp. 78-79.

[47] « La politique hitlérienne d’extermination : une déclaration d’historiens », Le Monde, 21 février 1979, p. 23.

[48] Archives Serge Choumoff, lettre à Serge Choumoff, 21 avril 1979.

[49] Olga Wormser et Henri Michel (textes choisis et présentés par), Tragédie de la déportation, 1940-1945, Témoignages de survivants des camps de concentration allemands, Paris, Hachette, 1954 ; et La Déportation, brochure pédagogique parue en 1964 ; auxquels s’ajoute la référence à sa participation à l’écriture de Nuit et brouillard.

[50] Le Monde juif, 35e année, n° 94, avril-juin 1979, p. 72

[51] Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1987, p. 193. Il évoque toutefois les « scories » de histoire de la déportation : « La mythomanie a joué son rôle ainsi que la propagande, parfois aussi une certaine concurrence entre non-Juifs et Juifs, jadis analysée par O. Wormser-Migot, les premiers revendiquant l’égalité dans la souffrance avec les seconds. » Ibid., pp. 149-150.

[52] Serge Choumoff est à l’initiative du collectif, qui publie, sous la direction d’Eugen Kogon, Hermann Langbein et Adalbert Rückerl, d’abord en allemand en 1983 puis l’année suivante en français, Les Chambres à gaz secret d’État, Paris, Points-Seuil, 2000. Il résuma ses nouveaux acquis sur les gazages à Mauthausen dans deux articles édités en 1986 dans le Monde juif, nos 123 et 124. Germaine Tillion les reprit en annexe dans la troisième édition de son Ravensbrück, avec également un texte sur les gazages à Hartheim (Paris, Points-Seuil, 1988, p. 361-465). En 2000, Serge Choumoff synthétise ses acquis dans Les Assassinats nationaux-socialistes par gaz en territoire autrichien, 1940-1945, Vienne, Bundesministerium für Inneres, 2000. Voir Thomas Fontaine, « Un témoin-historien en quête de légitimité », à paraître dans les actes du colloque « Témoins et témoignages », organisé par la FMD en décembre 2012.

[53] Ainsi, lorsqu’il écrivit : « Cette thèse influença d’ailleurs certains auteurs, dits justement “négationnistes”, qui n’hésitèrent pas à étendre la négation de la chambre à gaz de Mauthausen aux chambres à gaz d’Auschwitz ». Pierre-Serge Choumoff, Les Assassinats nationaux-socialistes par gaz en territoire autrichien, 1940-1945, op. cit., p. 15.

[54] Annette Wieviorka, « Olga Wormser-Migot, une historienne de la déportation », art. cit

[55] Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg, Univers concentrationnaire et génocide, op. cit., p. 36.

[56] Olga Wormser-Migot, Le Système concentrationnaire nazi, op. cit., p. 160.

[57] Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg, Univers concentrationnaire et génocide, op. cit., p. 38.

[58] Annette Wieviorka, « Conclusion », in Tal Bruttmann, Laurent Joly, Annette Wieviorka (dir), Qu’est-ce
qu’un déporté ? Histoire et mémoires des déportations de la Seconde Guerre mondiale, Paris, CNRS, 2009, pp. 403-411, cit. pp. 408-409.

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