Indépendamment des commémorations du centenaire de la Grande Guerre dont le programme accaparera, 25 ans après le bicentenaire de 1789, la scène médiatique tout au long de l’année 2014, l’on constate depuis quelques années déjà un retour en force de la Première Guerre mondiale, aussi bien sur le plan historiographique qu’au niveau de la mémoire collective. Jusqu’ici, on aurait dit que se vérifiait le dicton d’après lequel toute histoire contemporaine commence par la « dernière catastrophe », en l’occurrence la Seconde Guerre mondiale. Observant ce retour en force de la Grande Guerre, on serait tenté de dire que cette sentence s’inverse, opérant d’ailleurs un certain retour à la première formulation d’un « plus jamais ça » après la Grande Guerre, et que l’histoire contemporaine commencerait désormais avec « la première catastrophe » de 1914-1918. Un tel diagnostic vous semble-t-il pertinent ? À quoi attribuez-vous ce mouvement de retour, antérieur aux « mobilisations commémoratives » en cours ?[1]
Nicolas Mariot (N. M.) : Vous parlez d’« un retour en force de la Première Guerre mondiale aussi bien sur le plan historiographique qu’au niveau de la mémoire collective ». Personnellement, je pense que ce « retour » est beaucoup plus marqué au niveau de la mémoire collective que sur le plan historiographique : l’historiographie de la Première Guerre mondiale représente en effet un tout petit nombre de gens ; même si l’on compte l’étranger – les chercheurs américains, australiens, britanniques, allemands, etc. –, c’est un milieu historiographique assez restreint. Nous avons pu commencer à mesurer un peu la chose, avec André Loez, au sein du séminaire dont nous nous occupons, « L’ordinaire de la guerre » (ENS Lyon, avec Sylvain Bertschy, François Buton, Boris Gobille, Philippe Olivera et Emmanuelle Picard[2]), en regardant systématiquement les publications liées au centenaire. De juin à décembre 2013, on s’aperçoit que, finalement, il y a assez peu de travaux neufs historiographiquement parlant – et la situation n’a pas significativement changé depuis décembre. Il y a énormément de rééditions, beaucoup d’éditions de beaux livres, de rééditions de témoignages. Nous avons aussi des synthèses générales, mais qui n’apportent pas grand-chose de neuf ou, en tout cas, simplement à la marge pourrait-on dire. En revanche, du point de vue des enquêtes historiques neuves et originales, il y a peu de livres marquants. Bref, je ne pense pas qu’on puisse parler d’un « retour en force » de la Grande Guerre sur le plan proprement historiographique ; cela viendra peut-être.
André Loez (A. L.) : La situation s’est quand même modifiée par rapport aux années 1980, où le champ était très restreint, avec moins d’une dizaine d’historiens qui travaillaient à l’université sur la question. Depuis, il y a quand même eu des recrutements, des lieux où l’histoire de la Première Guerre se discute et s’élabore de façon plus intense. Mais c’est vrai : le phénomène demeure moins important que dans le champ la Seconde Guerre mondiale. En France, il y a à la fois l’histoire de la Résistance, l’histoire de l’Occupation, l’histoire de la Shoah et l’histoire militaire proprement dite ; donc il y a quatre champs à part entière qui constituent un champ plus large. Ce n’est pas encore vrai pour la Première Guerre.
N. M. : Si on vient à comparer avec la seule historiographie de la Shoah, la comparaison est tout simplement impossible. La masse des publications sur l’historiographie de la Shoah est sans commune mesure avec ce qui peut paraître sur la Grande Guerre ; c’est vrai également si l’on compare avec le bicentenaire de 1789, étudié sous ce regard par Steven Kaplan (Adieu 89, Fayard, 1993). Peut-être les choses vont-elles changer ; mais, pour le moment, il y a relativement peu de discussions historiographiques de fond, exception faite des débats autour du livre de Christopher Clark, Les Somnambules. Été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre (Flammarion, 2013).
A. L. : On commence à avoir des éléments pour comprendre ce retour de 14-18 depuis la fin des années 1980-début des années 1990. Jusqu’aux années 1980, la Seconde Guerre mondiale avait contribué à éloigner le souvenir de la Grande Guerre : la deuxième écrasait la première. C’est moins vrai depuis les années 1990, en tout cas en France. Tous les indicateurs le montrent : le nombre des publications s’est considérablement accru et les commémorations prennent de plus en plus d’importance, tout particulièrement depuis celle du 80e anniversaire de 1998. Celle-ci a vraiment été un moment intense, marqué par des discours politiques importants, dont celui de Lionel Jospin, à Craonne, sur la question des fusillés. Plus largement, l’intérêt social pour la Grande Guerre est de plus en plus fort. Nicolas Offenstadt montre dans son ouvrage 14-18 aujourd’hui (Odile Jacob, 2010) que les chanteurs de rock, les auteurs de BD, etc., s’emparent de 14-18 de manière plus forte qu’auparavant. Il y a là l’expression d’un intérêt mémoriel incontestable. Plusieurs raisons y ont sans doute contribué, qu’on peut essayer de résumer, sans qu’on dispose encore de véritables enquêtes sur la question.
Cela tient d’abord au contexte général : une perte des horizons collectifs avec la chute du mur de Berlin, l’absence de projet mobilisateur en dehors du projet européen, lequel, avant de s’essouffler, a été dans les années 1980-1990 une occasion de se pencher sur ce « suicide de l’Europe » qu’aurait été la Grande Guerre, cette catastrophe inaugurale du XXe siècle. Travailler sur 14-18 était une manière de se raccrocher à ce questionnement sur une Europe en voie d’intégration, dépassant les anciennes rivalités. Dans ces mêmes années 1990, il n’y a pas que la construction européenne qui favorise un regard rétrospectif sur 14-18, il y a aussi la guerre en Yougoslavie, qui a remis Sarajevo et la question des nationalismes au cœur de l’actualité. Dans certains cas, ce regain d’intérêt pour 14-18 s’explique aussi par des éléments plus singuliers, se rapportant à des questions mémorielles spécifiques. On peut penser aux pays de l’Est par exemple : dans ces pays, se tourner vers la mémoire de la Grande Guerre, c’était aussi une façon de se détourner de la mémoire communiste, de mettre en valeur d’autres éléments et d’autres événements du passé. On pense à la Pologne, à la République tchèque : des éléments qu’aussi bien l’occupation nazie que l’expérience soviétique avaient refoulés, voire écrasés ; or, c’était bien là des éléments très importants dans la constitution même de ces États-nations.
Et puis il y a un élément supplémentaire, que l’on voit bien en France, qui ressortit d’une forme de patrimonialisation de l’histoire : on se projette vers le passé parce qu’il peut avoir quelque chose de rassurant, quelque chose d’édifiant, au moment même où les projets collectifs, les projets d’avenir, sont de plus en plus incertains, difficilement pensables. Se rapporter au passé permet de se retrouver dans une communauté enfin « unie », « comme en 14 », veut-on croire.
J’ajouterais quelque chose qui me semble très important : la différence sur ce plan entre les deux mémoires, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et la mémoire de la Grande Guerre. La mémoire familiale de la Seconde Guerre mondiale n’est pas facile à porter, car lorsqu’on se rapporte à ses ascendances familiales, il arrive d’y trouver quelques résistants, mais on peut aussi trouver des gens qui ont été des collaborateurs, des attentistes, des compromis par manque de courage et d’autres comportements peu avouables. Avec la mémoire de la Grande Guerre, c’est tout l’opposé : tout le monde peut s’y projeter, tout le monde peut trouver un ancêtre poilu, et donc un héros ou une victime suivant le point de vue adopté, mais en tout cas un ancêtre valorisé.
La scolarisation obligatoire a également eu un effet particulièrement sensible sur la formation de la mémoire de la Grande Guerre. Comme tout le monde, ou presque, savait écrire et lire, les familles disposent aujourd’hui souvent de quelques documents, d’objets et de traces multiples laissés par un grand-parent. Avec la diffusion des nouvelles technologies et la numérisation des documents, les descendants peuvent reconstituer de véritables parcours ; il y en a même qui vont créer des sites internet sur leurs aïeuls.
N. M. : Oui, l’infrastructure technologique joue un rôle fondamental. Internet a révolutionné les choses. Avant, évidemment, il y avait déjà des collectionneurs, notamment d’objets de la Grande Guerre ; ça existait, simplement les gens gardaient ça chez eux, dans leur grenier, ou leur réservaient éventuellement une salle spéciale. Là, la différence avec internet est fondamentale : aujourd’hui, n’importe qui, sans beaucoup de moyens, peut mettre sur pied son site avec ses données ; il y a beaucoup de passionnés qui font des choses absolument incroyables. Internet est parfaitement adapté au côté sériel des sources de la Grande Guerre, ce qui est moins évident en ce qui concerne les sources de la Seconde Guerre mondiale.
A. L. : Sans oublier, pour expliquer ce développement mémoriel, un effet centenaire indéniable dans tous les pays concernés, avec tout ce que cela implique aussi en termes d’enjeux économiques : le tourisme de mémoire est très important pour les régions de l’ancien front, qui toutes rénovent leurs musées, modernisent leur parc hôtelier, créent des monuments, etc. Cela représente des retombées matérielles et économiques loin d’être négligeables.
N. M. : Notons aussi la disparition du service militaire : je pense qu’elle a pu jouer un rôle important chez certains hommes qui ont connu le service militaire, qui peuvent en avoir une forme de nostalgie, la camaraderie des chambrées, etc. En faisant l’histoire du régiment du grand-père, de l’arrière-grand-père, il se joue peut-être aussi quelque chose de cet ordre, me semble-t-il.
Sur le plan proprement historiographique, peut-on parler de nouvelles approches et/ou d’un renouveau significatif de la recherche historique sur des thématiques classiques, notamment en ce qui concerne les « causes » de la Grande Guerre, les buts de guerre des puissances impliquées, de l’Allemagne impériale en particulier (on songe ici à l’« Affaire Fritz Fischer » au début des années 1960), l’impérialisme comme cadre conceptuel de cette première conflagration européenne et internationale, etc. ? De l’extérieur tout au moins, on a l’impression que depuis de nombreuses années déjà l’historiographie a, en quelque sorte, déserté ce type de questions (explication et compréhension des causes des événements et de leur contexte) au cœur de la première historiographie de la Grande Guerre dans les années 1920 et 1930 (Pierre Renouvin, Jules Isaac), puis reformulées dans les années 1960-1970 (Fritz Fischer, Jacques Droz) et 1980 (Gerd Krumeich, Georges-Henri Soutou[3]), au profit de l’étude des représentations, des expériences, et des traces que le passé a léguées au présent et des usages multiples qu’en font nos contemporains – dans une sorte de « présentisme » enflé – en ce sens que le présent génère, hier comme aujourd’hui, le passé qui lui convient le mieux. Cette tendance se confirme-t-elle dans l’historiographie récente de la Grande Guerre ?
A. L. : Il faut nuancer un tout petit peu. Ce délaissement des recherches et des discussions sur les causes de la Grande Guerre, notamment sur le plan de l’histoire diplomatique, a été très vrai dans l’historiographie française ; il l’est moins dans le monde anglo-saxon : dans les années 1990-2000, à l’étranger, on s’intéresse à nouveau fortement à toutes ces questions liées aux causes du conflit, comme le montrent les nombreuses études biographiques sur des acteurs majeurs de la crise en 1914, comme les généraux von Moltke et von Hötzendorf. Cela dit, c’est vrai, le questionnement est peut-être moins fort que dans les années 1960, à l’époque de la controverse Fischer, puisque ce dernier, en insistant sur les tensions propres à la société allemande avant la guerre, remettait frontalement en cause les habitudes de l’histoire diplomatique et le traditionnel « primat de la politique extérieure » (Primat der Außenpolitik) dans ses analyses[4].
Cela s’explique partiellement par le relatif consensus établi entre-temps parmi les historiens, à la fois sur le mécanisme global qui avait provoqué la guerre et sur la responsabilité plus forte, à l’intérieur de ce mécanisme global, de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Aujourd’hui, ce consensus est remis en cause par quelques travaux récents qui opèrent un retour aux problématiques des origines, des causes et des buts de la Grande Guerre : des travaux qui suscitent de nouveaux débats et controverses. Signalons en ce sens trois ouvrages : Gerd Krumeich, Le Feu aux poudres. Qui a déclenché la guerre en 1914 ? (à paraître chez Belin), sur l’été 1914 ; Margaret MacMillan, Vers la Grande Guerre : comment l’Europe a renoncé à la paix (Autrement, 2014) ; et enfin Christopher Clark, Les Somnambules, que nous venons d’évoquer et qui fait tout particulièrement débat. Il a été vendu à 200 000 exemplaires en Allemagne et à plus de 20 000 en France : un vrai succès éditorial ! Le trait commun aux ouvrages de MacMillan et de Clark, c’est leur présentisme, c’est-à-dire qu’ils offrent une relecture des causes de la guerre à travers le prisme des préoccupations contemporaines. MacMillan, par exemple, a publié récemment dans le New York Times un article où elle compare directement la situation de 1914 avec le contexte actuel, celui de 2014. Comme en 1914, on se trouverait aujourd’hui à la veille d’une grande déflagration en raison de l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles puissances, face à un vieux monde taraudé par des querelles internes : c’est assez peu convaincant, mais les parallèles hier-aujourd’hui sont tracés. Clark adopte aussi une perspective présentiste. Selon lui, le « terrorisme politique » demeure notre horizon, comme en 1914 avec l’attentat de Sarajevo. Cela lui permet de recentrer l’analyse sur la Serbie, en disant que les événements des années 1990, en Serbie et dans l’ex-Yougoslavie, nous obligent à regarder à nouveaux frais le rôle et la responsabilité de la Serbie dans le déclenchement de la Grande Guerre. Au total, toutes ces analyses ne me semblent pas complètement abouties : ces histoires, très événementielles et narratives, ne prennent en effet pas en charge les questions fondamentales de l’historiographie classique, celles des structures sociales, des structures politiques, des forces économiques, de l’impérialisme comme cause ou non de la guerre, etc.
Avec une exception toutefois : les travaux de Christophe Charle, notamment son livre La Crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d’histoire sociale comparée (Seuil, 2001). Il consacre deux chapitres aux causes de la guerre, où il réexamine notamment la pertinence de la thèse de Lénine, souvent décriée, sur l’impérialisme comme cause de la guerre ; il la discute et insiste surtout sur les facteurs sociaux pouvant conduire à la guerre. C’est bien là que réside l’intérêt de ce type d’historiographie ; elle ne s’enferme pas dans une simple discussion sur les enjeux diplomatiques, mais tente précisément d’en réexaminer et approfondir le périmètre en y intégrant un questionnement sur les positions sociales des acteurs – être un diplomate, être un homme d’État, etc. – ainsi que sur les éléments culturels. Je pense ici aux travaux d’une historienne allemande, Ute Frevert, qui a travaillé sur la masculinité militaire en Allemagne (L’armée, école de la masculinité. Le cas de l’Allemagne au XIXe siècle, L’Harmattan, 2000). Elle montre l’importance et la complexité de ce qu’était à l’époque l’ethos militaire, fondant en partie, on le sait, la cohésion des groupes sociaux militaires, mais représentant également, plus largement, un élément culturel impliquant certaines attitudes autoritaires, un rapport particulier au commandement, à la hiérarchie et à l’honneur, toutes choses qui ont une importance cruciale lors des crises diplomatiques.
Au bilan, si l’historiographie actuelle tend à nouveau à s’emparer de la question des causes de la Grande Guerre, elle ne le fait pas toujours avec la profondeur nécessaire ; les contributions interrogeant les structures sociales produisant les décisions, et autres logiques politiques, économiques et culturelles qui ont engendré la Grande Guerre, demeurent marginales.
Quelles sont les « responsabilités » en la matière de l’histoire culturelle et de l’histoire sociale, dominant le champ 1914-1918 depuis les années 1990 ? Depuis les années 1990, les controverses entre historiens de 1914-1918 notamment, en focalisant les débats sur la confrontation expériences/représentations, et sur l’entre-deux-guerres (totalitarismes/pacifisme), n’ont-elles pas eu pour effet d’éclipser la question des causes de la guerre d’un point de vue politique ?
N. M. : Si, à coup sûr, très clairement. Mais il n’y a pas à s’en offusquer. Cela tient simplement aux questions de recherche qui sont soulevées. De façon générale, l’historiographie de la Grande Guerre en France a été dominée, depuis 25 ans, par l’impulsion donnée par les historiens regroupés autour de l’Historial de Péronne. Si l’on pense aux travaux de Stéphane Audoin-Rouzeau par exemple, il le dit lui-même, son objectif est de faire une anthropologie historique de la violence de guerre ; c’est ce qui l’intéresse fondamentalement, la manière dont les corps sont mus, transformés, bouleversés par la violence. Il est du coup loin des questions sur les origines politiques de la Grande Guerre, mais on ne peut pas le lui reprocher. En France, le débat s’est tout particulièrement focalisé sur les questions liées à la ténacité des soldats, à la place de la violence, notamment la violence au corps à corps, etc. Dans ces conditions, bien évidemment, les questions des origines, des causes et des buts de guerre sont logiquement délaissées.
A. L. : On retrouve néanmoins ces questions en filigrane au cœur du thème de la « brutalisation », qui est très fort chez les historiens français qui ont repris à leur compte cette notion, au départ élaborée, de façon encore assez prudente, par George L. Mosse (Fallen Soldiers. Reshaping the Memory of the World Wars, New York et Oxford, Oxford University Press, 1990[5]). Ce terme leur sert avant tout à expliquer les violences de l’entre-deux-guerres, qui auraient été commises par d’anciens combattants devenus « brutaux » et accoutumés à la violence en 14-18. Mais pour le conflit lui-même, cela revient à suggérer que les combattants ont été les véritables responsables de la violence et de la brutalité de la guerre, position qui, finalement, aboutit à exonérer les dirigeants de leurs responsabilités, dédouanant ainsi ceux qui ont contribué au déclenchement et à la poursuite de la guerre. On évacue par là même toute la chaîne hiérarchique du commandement, c’est-à-dire la structure politique qui, précisément, permet le déploiement de cette violence. En faisant de la violence interpersonnelle et collective la clé de l’explication de la guerre, on finit par dépolitiser les origines et les causes de la guerre elle-même.
Cela ne veut pas dire qu’il faille « re-politiser » l’étude de la guerre au sens ancien, celui de l’histoire parlementaire de la IIIe République par exemple, ou encore du questionnement sur la « trahison » de l’Internationale socialiste. Évidemment, c’est une question qui a taraudé tout le mouvement ouvrier, socialiste et communiste, toute la gauche au lendemain de 1914 et bien après : comment expliquer le ralliement massif des partis et mouvements ouvriers aux Unions sacrées ? Pourquoi les minorités dissidentes ont-elles été si faibles, et si facilement réduites au silence, au début de la guerre du moins ? Ce questionnement, qui jusqu’aux années 1960 et 1970 avait une résonance politique directe et immédiate, peut sans doute aujourd’hui être relié à des interrogations plus larges, au-delà de l’histoire propre du mouvement ouvrier.
Selon moi, s’il doit y avoir un renouveau de l’histoire politique de la Grande Guerre, c’est dans le sens d’une histoire de la forme État, de l’État-nation à l’ouest à l’État multinational à l’est. C’est au nom de ces États qu’ont été commises les violences de guerre, et ces violences ont été possibles parce que, précisément, les populations ont été au cœur d’un processus de nationalisation et d’étatisation des sociétés. Le renouveau pourrait venir du croisement des travaux des historiens de la guerre avec ceux des historiens de l’État, comme Gérard Noiriel, des chercheurs qui travaillent sur l’identification des populations et sur l’État comme forme historique de structuration des sociétés. Il y a des travaux dans cette direction, mais cela reste encore embryonnaire.
N. M. : Pour revenir à la question de la « brutalisation », on peut dire que cette focalisation exclusive sur la violence de guerre va de pair avec l’effacement du rôle et de la place de l’État dans la compréhension de la guerre. Non seulement on refoule la question des origines et des causes de la guerre, mais on brouille aussi la réponse à la question de savoir qui est responsable de la violence de guerre, aussi bien pendant la guerre que dans l’après-guerre. En évacuant le rôle de l’État en tant qu’instance organisatrice de la société, on dilue les responsabilités et on les renvoie finalement à ceux du front.
Y aurait-il de nouveaux travaux qui attesteraient de ce renouveau de l’histoire politique de la guerre, travaux qui auraient comme focale l’État, sa place et son rôle dans le phénomène guerrier ?
A. L. : Ce n’est pas un hasard si j’ai évoqué cela. Le CRID 14-18 organise en effet fin octobre 2014 un colloque dont le thème est précisément « La mise en guerre de l’État en 14-18 ». Nous essaierons de comprendre de quelle manière, pour l’État, la guerre est à la fois un moment d’affirmation et la manifestation d’une crise. Il y a des États qui ne parviennent pas à faire la guerre ou à la mener victorieusement et qui sont de ce fait même profondément délégitimés. Cette délégitimation de l’instance étatique par la guerre laisse libre cours, dans l’après-guerre justement, au déploiement d’un esprit belliqueux et à toutes sortes de violences. Ce n’est pas un hasard si c’est en Italie, en Allemagne et en Russie que se déploient les violences que l’on sait dans l’entre-deux-guerres. Ces violences ne s’expliquent pas uniquement par la fameuse « brutalisation » des rapports sociaux dans le creuset de la guerre ; elles s’expliquent également par la mise en échec de l’État par la guerre elle-même. L’État délégitimé, dessaisi de son monopole sur la violence, certains groupes sociaux peuvent se la réapproprier et la réinvestir ailleurs. Certes, c’est une lecture très rapide que je propose ici, mais je pense que c’est une piste que l’on doit creuser ; peut-être que le colloque n’ira pas jusque-là, mais l’on doit quoi qu’il en soit remettre cette question au centre de nos travaux. On ne peut plus faire l’histoire de la guerre comme si celle-ci était le fait des individus, le fait de leur volonté, suspendus à leurs idéaux et à leurs convictions. Cette histoire – l’histoire de la guerre –, c’est avant tout l’histoire d’États qui s’opposent et d’États qui mobilisent et organisent des hommes pour la faire.
Pour prolonger sur cette question de l’État, il me semble que la notion de « guerre juste » est aujourd’hui plus que jamais d’actualité[6]. Il s’agit là d’une question à l’interface entre l’histoire, les sciences politiques et le droit, notamment le droit des gens.
N. M. : C’est un thème effectivement très important, central en science politique mais qui n’a, on peut le dire, qu’une existence très marginale dans le champ historiographique. Pourquoi ? Pour une raison assez simple : la littérature, contemporaine de 14-18, sur la « guerre juste » relève de la littérature de propagande et doit être traitée, analysée en tant que telle. Il est étonnant de voir à quel point ces thématiques de la « guerre juste », de la « guerre pour le droit » et de la « guerre pour la civilisation » ont été portées par les plus grands universitaires du moment, par des sommités du Collège de France, par des gens comme le mathématicien Jacques Hadamard, le sociologue Émile Durkheim, l’historien Ernest Lavisse, le philosophe Henri Bergson, pour ne citer que ceux-là. C’est une question fondamentale qui, je pense, mériterait d’être retravaillée en profondeur. D’un certain point de vue, on sait énormément de choses sur l’engagement guerrier de ceux qui sont restés à l’arrière, les artistes, les intellectuels, les universitaires, etc., et sous un autre point de vue, il me semble qu’on est loin d’avoir tiré toutes les conséquences de cet engagement qui, je trouve, est tout à fait fascinant. Je voudrais personnellement travailler et avancer sur cette piste-là. Il faut s’interroger sur ce qui a été fondamentalement le travail de propagande de ces grands intellectuels, sur le sens qu’ils ont donné à leur « jusqu’au-boutisme » en faveur de la « guerre juste », de la « guerre pour le droit », etc. Si ce travail a été en partie négligé, c’est aussi parce qu’il est très difficile, je crois, à des universitaires en place de se dire : ce sont finalement mes collègues de l’époque qui se sont lancés dans un travail aussi approfondi, et tard dans la guerre, pour justifier celle-ci en quelque sorte envers et contre tout… À cet égard, le cas de Durkheim est très intéressant. À la mort de son élève Robert Hertz, la femme de celui-ci l’invite à venir lire les lettres du front de son mari. Le professeur de sociologie s’étonne alors de ce qu’elles « sentent le Barrès ». Il est en quelque sorte choqué que son élève puisse parler en bons termes de l’ennemi politique d’hier. En un sens pourtant, c’est là la conséquence logique, et en partie inévitable, de son engagement plein et entier dans la guerre, tel qu’il est justifié par le maître dans ses Lettres à tous les Français. Vivre l’élan d’août 1914, c’est accepter d’être aux côtés de Barrès et, sauf à renier ses propres motivations, partager avec lui la plupart des « bonnes raisons » de faire la guerre. En ce sens, il est surprenant de constater à quel point Durkheim semble rester aveugle aux conséquences de sa mobilisation de papier sur les soldats qui, comme Robert Hertz et bien d’autres jeunes lettrés de l’époque, partent avec au cœur l’idée que la guerre est, bien plus qu’une obligation défensive, une mission pour faire triompher les valeurs de la mère patrie.
A. L. : Et il est frappant de constater que certains prolongements de cette rhétorique de la « guerre juste » sont encore actifs, outre-Manche en particulier. Là-bas, l’approche du centenaire a suscité une polémique sur la manière de commémorer la Grande Guerre, parce qu’il y a un certain nombre de dirigeants politiques et d’historiens qui considèrent que cette guerre doit être commémorée, non pas comme une tragédie universelle ou une absurdité, mais bien comme une « guerre juste », une guerre qu’il fallait faire. Il faudrait par conséquent rendre hommage aux morts d’abord parce qu’ils sont tombés au nom d’une cause légitime. Cette position est défendue par des historiens conservateurs, comme Gary Sheffield, pour qui la guerre était juste parce qu’il s’agissait de se défendre contre le militarisme allemand, et sa brutalité en Europe occupée[7]. Même si les « atrocités allemandes » de 1914 sont désormais bien documentées (John Horne, Alan Kramer, 1914. Les Atrocités allemandes, Tallandier, 2011), une telle lecture de la Grande Guerre comme affrontement moralement justifié pour l’un des deux camps en présence me semble personnellement très difficile à tenir : tous les belligérants ont transgressé le droit international, ne serait-ce que par l’usage des gaz ou le mauvais traitement des prisonniers[8], par exemple. Plutôt que de s’accrocher à la conception de tel ou tel État dans son « bon droit » en 14-18, il est plus intéressant à mes yeux de chercher à comprendre pourquoi la période de l’après-guerre est une occasion manquée pour apporter des réponses juridiques à la violence de guerre, avec les procès des criminels de guerre allemands qui tournent à la farce à Leipzig en 1921.
En scrutant les diverses manifestations à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, y compris sur le plan historiographique, on a l’impression qu’elles nous apprennent davantage sur les inquiétudes du présent et sur les recompositions idéologiques qui taraudent nos sociétés que sur la guerre elle-même. Tout donne à penser que le souvenir de celle-ci est désormais instrumentalisé afin de porter secours, à la fois, à l’affirmation des identités nationales souffrantes – chaque nation s’efforçant de tirer la couverture à soi en faisant valoir la prégnance d’un « Pro Patria Mori » généralisé dans toutes les sociétés impliquées dans le conflit – et à la construction sociopolitique d’une Europe sur le modèle paradigmatique de la réconciliation franco-allemande. Comme si les métadiscours historiques sur la Grande Guerre, notamment ceux qui ont trait aux représentations mémorielles, prenaient le pas sur le discours historique pour culminer dans une sorte de théologie politique tendant précisément à évacuer la Première Guerre mondiale comme fait politique. Qu’en pensez-vous ?
A. L. : Je ne partage pas entièrement cette analyse, car le champ historiographique est à mon avis suffisamment diversifié pour échapper en grande partie à cette tendance réductrice, qu’on voit bien dans le champ politique français. Il suffit de regarder le livre que Jean-François Copé, très investi sur ce plan depuis la réalisation du gros musée de Meaux, a publié sur la bataille de la Marne (La Bataille de la Marne, Tallandier, 2013, en collaboration avec Frédéric Guelton). Son message est clair : un sursaut français est toujours possible, il suffit d’expliquer au peuple les difficultés qu’il aura à affronter, comme en 14… Je ne suis pas sûr que ce genre d’instrumentalisation puisse réussir parce que, après tout, ce qui est frappant avec la mémoire de la Grande Guerre, c’est qu’elle appartient à tout le monde et qu’elle ne peut de ce fait être dictée d’en haut. On le voit bien d’ailleurs avec les actions prévues pour le centenaire : il n’y a pas de pilotage global et directif des commémorations. Certes, l’État organisera des actions, mais il y a surtout des choses qui viennent des régions, des départements, des enseignants qui montent des expositions, des artistes, etc. Autrement dit, je pense que personne ne peut s’approprier la mémoire de cette guerre de façon exclusive, dans un sens purement patriotique par exemple. Bien sûr, de tels discours ne manqueront pas, comme celui de François Hollande, le 7 novembre dernier lorsqu’il a donné le départ des commémorations du centenaire : ce fut un discours patriotique très classique, promouvant la nation comme ce qui rassemble et permet de défendre des valeurs, appelant à une mobilisation générale dans des batailles désormais économiques, en n’oubliant pas de mentionner la paix et la réconciliation. Tout cela est connu et banal, même si on aurait pu attendre d’un président issu du PS une attention bien plus forte à Jaurès, par exemple. Le risque, bien évidemment, c’est d’effacer l’une des principales dimensions de 14-18, à savoir le déchaînement du nationalisme : aujourd’hui, l’on passe ainsi généralement sur les outrances et les violences du nationalisme de guerre pour conserver une version « soft » du patriotisme, doublée d’appels lénifiants à la réconciliation. Le nationalisme et ses excès représentent ainsi de véritables angles morts de la réflexion.
N. M. : Il y a aussi une autre chose que je trouve frappante pour ce qui est des commémorations du centenaire de 14-18 : l’emprise des États et l’absence d’un véritable projet commémoratif transnational. C’est un phénomène tout à fait majeur. Je pensais, sans doute un peu naïvement, que la Commission européenne, par exemple, trouverait là une occasion rare et un peu extraordinaire pour mettre en place un véritable dispositif symbolique à même de faire valoir la légitimité politique du projet européen, précisément en tant que dépassement des nationalismes. Finalement, il n’y a rien, ou très peu de chose. C’est étonnant. Même le projet de la grande collecte Europeana, qui a conduit à numériser des documents pour une bibliothèque virtuelle européenne, est, de mon point de vue, décevant : mal préparé, il sera difficilement utilisable, je crois, par les historiens. Il me semble que c’est là une triste occasion manquée, pour la politique scientifique européenne, de donner à voir son potentiel transnational. Je ne sais pas ce que cela va donner à terme ; peut-être le projet peut-il encore s’améliorer, nous ne sommes tout compte fait qu’au début du centenaire de 14-18. Ceci étant, je reste quand même extrêmement frappé par la pauvreté, voire l’absence de discours commémoratif européen en la matière.
Ce « Pro Patria Mori » – pour reprendre le fameux titre du texte d’E. Kantorowicz –, correspondait-il, en 14-18, à un état d’esprit collectif ou ne concernait-il que les mentalités et les convictions de certaines catégories seulement de combattants et de civils ? Surtout peut-être, si « la Grande Guerre demeure une ressource du présent »[9], que nous dit cette mise en avant du « consentement » à la guerre sur notre société actuelle[10] ? Au bilan, la notion de « consentement » semble en effet inaugurer les lectures idéologiques du XXe siècle guerrier en termes d’adhésion des peuples. Cela ne revient-il pas à rendre les peuples responsables – coupables ? – des grandes catastrophes du XXe siècle, se demande Frédéric Rousseau dans le présent volume ?
N. M. : Le simple fait que la formule « Pro Patria Mori » soit en latin, langue étrangère à l’écrasante majorité de la population française et européenne, témoigne de l’inadéquation de ce type d’explications. André, moi-même et bien d’autres l’avons montré : pour beaucoup de soldats, pour ne pas dire pour la quasi-totalité d’entre eux, la guerre n’est pas un engagement, c’est une chose obligatoire qui ne se discute pas. On est convoqué dans le régiment où on a fait son service militaire, puis on est mobilisé, on reçoit sa feuille de route et puis l’on part combattre : la guerre est là, et c’est tout. La question : « Est-ce que je pars ? / Est-ce que je ne pars pas ? » n’a aucun sens en 14-18 face à la pression sociale à laquelle sont soumis les soldats, en France et en Allemagne tout au moins.
A. L. : Ce qui n’empêche pas qu’il ait existé des individus enthousiastes à l’idée de partir, et qui se seraient engagés si le service n’avait pas été obligatoire. C’est d’ailleurs le cas en Grande Bretagne, en 1914, où les engagements volontaires ont été nombreux. Mais cette question du consentement dépasse de loin la simple question historiographique : elle est aussi anthropologique. Dans quelle mesure les actes humains sont-ils motivés sur le plan individuel, décidés en conscience de leurs implications ? À quel point sont-ils conditionnés collectivement, déterminés par l’environnement social ? Il y a des chercheurs qui disent qu’il y a « consentement » à la guerre ; au sein du CRID 14-18, nous sommes particulièrement critiques par rapport à cette notion. Est-ce que l’on considère qu’on agit parce que l’on est conscient des enjeux de ses actes ou bien qu’on agit aussi par routine, par habitude, parce qu’on y est poussé par toute une série de déterminations sociales ? Personnellement, la dernière proposition correspond assez nettement avec ma vision du monde, avec ma manière de penser l’histoire et les actes sociaux. Mais il y a aussi la vision inverse, qui consiste à penser l’histoire comme un enchaînement d’actions motivées de manière rationnelle. C’est la vision du monde de certains économistes par exemple, ainsi que celle d’historiens culturalistes qui pensent que les actions humaines sont déterminées par les identités et la culture. À mon sens, ces façons de penser l’histoire produisent des fictions, en tout cas des choses qui ne tiennent pas lorsqu’on les confronte à la complexité des contextes des époques considérées.
Ce même débat ne pourrait-il pas se transposer dans d’autres types de conflits armés où l’on trouve des lectures similaires ? Je pense par exemple à la guerre française d’Indochine. Là aussi on cherche à comprendre la combativité, la ténacité des combattants vietnamiens en mettant en avant leur fanatisme, leurs convictions, leurs croyances, etc., et l’échec du corps expéditionnaire français en soulignant son manque de motivation. Cette lecture anthropologique et idéologique du « consentement » à la guerre dépasse ainsi largement le champ de la Grande Guerre.
A. L. : C’est possible, mais c’est une historiographie que je ne connais pas. En tout cas, pour sortir du cadre de ce débat qui est essentiellement franco-français, il est nécessaire de confronter le cas français avec d’autres expériences de guerre. Le rapport de la France avec la Grande Guerre est marqué par la prégnance du modèle de l’État-nation et d’un patriotisme défensif profondément enraciné par l’école de la IIIe République. Mais il y a toutes sortes d’autres nations impliquées dans le conflit. Il y a, entres autres, la nation italienne, beaucoup plus récente, où la plupart des conscrits sont encore des paysans, peu voire jamais scolarisés, pour lesquels les enjeux nationaux – l’historiographie italienne l’a bien montré – sont des enjeux totalement abstraits, qui n’évoquent rien. Et que dire de l’Empire austro-hongrois ? C’est une armée composée de treize ou quatorze nationalités, ce qui n’implique pas pour autant une absence de loyauté vis-à-vis de l’empire. La loyauté envers l’État est un ressort important, mais elle n’est pas forcément pensée sur un mode conscient, certainement pas, de manière systématique, sur un mode national. Cela veut dire qu’il y a de multiples ressorts derrière la mobilisation, l’adhésion et la ténacité des combattants, des ressorts qu’il convient de penser hors des catégories traditionnelles du national, de l’État-nation à la française, du combattant volontaire ou de l’involontaire.
N. M. : Concernant ce type de problèmes de causalité historique, j’aime bien mentionner l’enquête menée par Omer Bartov dans son livre, L’Armée d’Hitler. La Wehrmacht, les nazis et la guerre (Hachette, 1999). Il montre, de façon très convaincante, me semble-t-il, que la perception qu’ont pu avoir les soldats de la Wehrmacht de leurs ennemis sur le front de l’Est durant la Deuxième Guerre mondiale, notamment des juifs, mais aussi des combattants de l’armée rouge et des partisans soviétiques, devait finalement moins à leurs souvenirs ou à ce qu’on avait pu leur transmettre de l’expérience 14-18 qu’au décalage qu’ils ont pu constater sur le terrain entre, d’une part, ce que proclamait la propagande antisémite de l’entre-deux-guerres et notamment le journal Stürmer, et, de l’autre, leur propre découverte des conditions d’existence de ces populations. Ce que montre très bien Bartov, c’est que le caractère absolument inouï, terrible, des politiques guerrières menées sur le front de l’Est, tant par l’armée allemande que par l’armée soviétique, c’est-à-dire une politique de la terre brûlée, laissait derrière elle des populations civiles dans un état de dénuement total, réduites à la famine pure et simple, fait que de nombreux soldats allemands vont écrire à leur famille, qu’en réalité ces populations sont dans un état d’« animalisation » pire que ce que raconte la propagande nazie. Je pense que ce genre d’enquête nous aide beaucoup mieux à comprendre les comportements de la Wehrmacht à l’Est, notamment le processus d’animalisation de l’ennemi et l’extrême violence appliquée au traitement des civils, à commencer bien sûr par les populations juives, que le postulat d’une prétendue réactivation des souvenirs de la Grande Guerre dans l’esprit de l’armée hitlérienne. La démarche me paraît convaincante parce que l’historien montre comment la réalité du terrain sur le front à l’Est, au sens très concret du terme, conduit à une sorte de confirmation improbable des thèmes de la propagande nazie. Ce sont les politiques militaires de « terre brûlée » chez les deux belligérants qui conduisent à donner corps aux représentations lues ou vues dans la presse. Celles-ci n’agissent pas par elles-mêmes, « toutes seules », mais sont en quelque sorte tragiquement « validées » in situ. Il me semble que cette manière de « faire jouer » l’hypothèse du rôle de la propagande antérieure est une manière éclairante et heuristique d’aborder le problème de la causalité entre « avant et après », si l’on veut résumer ainsi le lien.
A. L. : Je compléterais la réponse de Nicolas Mariot sur deux points. D’abord, le terme « comparaison » me paraît compliqué : la démarche consistant à comparer deux événements consécutifs est en effet difficilement tenable en cela précisément que le rapport de causalité entre les deux événements bloque quelque part la démarche comparative. Ceci dit, deux domaines pourraient s’avérer assez féconds en termes d’approches croisées. Le premier porte sur la mémoire de la Première Guerre mondiale durant la Seconde et sur la trajectoire des acteurs de la Grande Guerre dans la Deuxième Guerre mondiale. Ces trajectoires sont très diverses : d’anciens généraux, comme Pétain, deviennent des « sauveurs », des figures d’autorité en raison du capital symbolique amassé pendant la Grande Guerre ; certains anciens combattants deviennent des résistants, comme Marc Bloch, etc. ; d’autres au contraire rejoignent les rangs des miliciens et des fascistes, comme Joseph Darnand et bien d’autres, pour rester dans le seul cas français. De fait, chacun investit de façon différente son expérience de la Grande Guerre. Ce qui est intéressant, c’est la manière dont la mémoire de la Première Guerre mondiale sature les comportements et les pensées des acteurs de la Seconde Guerre mondiale. On le voit, par exemple, avec Hitler qui insiste pour que l’armistice du 22 juin 1940 soit signé dans le même wagon que celui employé en 1918. Il y a aussi toute la politique des autorités allemandes d’occupation, encore très peu étudiée, qui d’un côté interdit que l’on touche aux monuments aux morts français de 14-18 et de l’autre tente de contrôler les mémoires de la Grande Guerre qui pouvaient leur poser problème. La gestion mémorielle de la Grande Guerre est en effet au cœur même de la Seconde Guerre mondiale ; significatif à cet égard est l’épisode du défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax : la mémoire de la Grande Guerre est réinvestie par les résistants pour légitimer leur combat. Il me semble que toutes ces correspondances pratiques entre les deux guerres mériteraient d’être davantage étudiées de façon systématique.
Le deuxième lieu où l’approche croisée des deux guerres me paraît particulièrement pertinente est le terrain colonial. Ces deux guerres mettent en effet aux prises des métropoles européennes – plus le Japon et les États-Unis évidemment – disposant de colonies sur lesquelles les effets de la guerre sont également importants, à la fois en termes de mobilisation et de déstabilisation, de délégitimation de la domination coloniale. Ces effets sont largement comparables, mais ils sont généralement étudiés de manière séparée alors qu’ils mériteraient un traitement global. La Grande Guerre fragiliserait les empires coloniaux et la Seconde Guerre mondiale sonnerait le glas du colonialisme et préparerait la décolonisation ; mais nous manquons d’enquêtes englobant, sur un même territoire colonial, 1914-1918 et 1939-1945, afin de pouvoir considérer, ensemble, les effets des deux conflits. Pour l’Algérie, nous avons la grande thèse de Gilbert Meynier (L’Algérie révélée. La Première Guerre mondiale et le premier quart du XXe siècle, Droz, 1981, bientôt rééditée) et il est à espérer que d’autres enquêtes verront le jour afin de compléter le tableau, et ainsi pouvoir disposer d’une vue globale sur les effets et logiques des deux guerres dans les espaces coloniaux.
En définitive, quelles sont les différences, sur plan idéologique, entre les deux conflagrations mondiales ?
A. L. : Là encore, il n’y a pas de réponse simple. D’abord, la Grande Guerre a opposé aussi bien des États-nations que des États multinationaux ; à la fin de la guerre, elle a même vu apparaître un État d’un genre nouveau, révolutionnaire, la Russie bolchevique qui s’est retirée du jeu mais qui a continué de peser sur la situation. Autrement dit, la fin de la Grande Guerre introduit une dimension idéologique extrêmement forte, avec la révolution russe qui exerce d’emblée une puissante attraction/répulsion, et qui nourrit nombre d’espoirs et d’attentes en Europe et à travers le monde. Et puis, vous avez de l’autre côté le wilsonisme, entendu comme une autre manière de penser la fin de la guerre, de penser l’espoir d’un monde meilleur avec notamment l’autodétermination des peuples. Vous avez enfin l’émergence des nationalismes, avec des objectifs d’annexion de territoires, etc. Des nationalismes à l’internationalisme, de la révolution à la contre-révolution, les dimensions idéologiques sont donc déjà très présentes dans et à la suite de la Grande Guerre. Avec la Seconde Guerre mondiale, nous avons bien évidemment une dimension idéologique supplémentaire, avec le fascisme, le nazisme, l’antifascisme et la Résistance.
À ce propos, il est intéressant de souligner les différences dans les manières de commémorer les deux guerres. On voit bien comment, en France, le centenaire de 1914 se conjugue assez difficilement avec le 70e anniversaire de 1944 parce que, d’un côté, le centenaire de 1914 conduit à une réconciliation avec l’ennemi allemand d’hier, tandis que le 70e anniversaire de 1944 interdit évidemment de se réconcilier avec l’ennemi nazi du temps passé. Là, ce n’est pas tellement sur le plan de l’histoire que les choses sont difficiles à penser, c’est plutôt sur le plan de la coordination des politiques mémorielles.
N. M. : Idéologiquement, ce qui sépare profondément les deux guerres, c’est incontestablement la spécificité du nazisme. La Weltanschauung, la vision nazie du monde, complètement racialisée, est tout de même une spécificité très forte, sans même évoquer le génocide qui lui est intimement lié. Je crois qu’il faut maintenir solidement cette distinction, quoi qu’on puisse penser du militarisme allemand durant la Grande Guerre. Il faut maintenir fortement cette distinction, cette spécificité du nazisme.
L’historiographie contemporaine a particulièrement insisté ces dernières années sur la dimension idéologique de la Première Guerre mondiale, « croisade » de la civilisation contre la barbarie, en un appel du pied, tout à la fois, aux champs de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre froide. Dans le monde de l’après-guerre froide, 1914-1918 annoncerait tout à la fois une première victoire des démocraties occidentales, en l’occurrence sur l’ancien régime (Francis Fukuyama), et la génération de ses nouveaux ennemis au travers de la révolution bolchevique et du nazisme déjà en germe dans l’expérience et la défaite allemande de 1914-1918. Ainsi la Première Guerre mondiale composerait-elle la situation initiale du roman de ce XXe siècle d’horreurs ; position « disputée » par certains spécialistes du champ colonial voyant dans les idéologies colonialistes et les guerres de conquête et de pacification coloniales d’autres matrices du racisme contemporain, jusqu’à son expression la plus radicale dans le nazisme[11]. Qu’ont selon vous à « gagner » les différentes historiographies à ce genre de rapprochements ? Ces confrontations sont-elles par essence condamnées à animer des espaces de controverses n’apportant finalement rien de plus à la connaissance historique[12] ?
A. L. : Une remarque générale : ce type de grandes comparaisons, à l’échelle du XXe siècle et même plus, sont sans doute intéressantes, mais très problématiques aussi. C’est la démarche d’Enzo Traverso dans certains de ses travaux (La Violence nazie. Une généalogie européenne, La Fabrique, 2002 ; À feu et à sang. De la guerre civile européenne, Stock, 2007 ; L’Histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle, La Découverte, 2011). On y trouve certes des éléments stimulants, on apprend plein des choses, notamment sur une bibliographie qu’on connaît souvent mal ; mais c’est en même temps tellement surplombant, tellement loin du terrain et des sources que ça reste à mon sens peu probant. C’est suggestif mais pas démonstratif : Traverso ne démontre ainsi rien sur l’origine des violences et leur processus. Afin de rendre fécond ce genre de grand questionnement, je plaiderais donc plutôt pour l’articulation du macro et du micro, avec des enquêtes de terrain extrêmement serrées et documentées. Il nous faut des études locales, sur des territoires précis d’expérience de violences intenses ou d’occupations, comme à Lemberg/Lvów/L’viv en Galicie (Christoph Mick, Kriegserfahrungen in einer multiethnischen Stadt. Lemberg 1914-1947, Wiesbaden, Harrassowitz, 2010), par exemple : cela me semble plus opératoire. Au-dessus, le niveau le plus pertinent est celui des études régionales, comme celle (contestable sur bien des points) de Timothy Snyder, Terres de sang. L’Europe entre Hitler et Staline (Gallimard, 2012), ou l’ouvrage collectif dirigé par Omer Bartov et Eric D. Weitz, Shatterzone of Empires : Coexistence and Violence in the German, Habsburg, Russian, and Ottoman Borderlands (Indiana University Press, 2013). L’idée centrale de ces ouvrages, c’est qu’il y a une logique globale au premier XXe siècle qui est l’effondrement des confins impériaux, de l’Autriche-Hongrie à l’Empire ottoman, de l’Empire russe à celui de l’Allemagne. Ces zones de confins sont des zones de violences extrêmes parce que c’est précisément là que les empires se désagrègent dans la première moitié du XXe siècle. C’est là, me semble-t-il, une perspective de recherche très stimulante, qui demande à être explorée sérieusement, une fois encore avec des enquêtes de terrain concrètes, afin de rendre possible des démonstrations. Sinon, le prisme global qui consisterait à dire qu’il y a des violences coloniales, que ces violences coloniales peuvent être comparées aux violences de la Grande Guerre, qu’elles-mêmes peuvent être comparées avec celles de la Seconde Guerre mondiale et avec celles du génocide, ne nous fait guère avancer.
Il y a quand même quelques enquêtes de terrain sur les conquêtes coloniales…
A. L. : Oui, mais la question c’est comment on les relie. Là, le travail d’Isabel Hull sur le comportement de l’armée allemande dans sa conquête coloniale de l’Afrique (Absolute Destruction, Military Culture and the Practices of War in Imperial Germany, Cornell, 2004) est intéressant. C’est une des rares enquêtes démontrant que c’est le type même d’enseignement des écoles militaires allemandes qui prépare à la fois aux massacres coloniaux et aux combats dans la Grande Guerre. Toute la difficulté consiste précisément à faire ce type de liens ; pour ma part, je ne pense pas qu’on puisse séparer la Grande Guerre de l’avant-guerre de la conquête coloniale. À mon avis, un des éléments explicatifs des causes de la Grande Guerre et des guerres de l’avant-guerre, les conflits balkaniques notamment, c’est qu’il y a une forme d’épuisement de la conquête coloniale. Le jeu du partage colonial est quasiment achevé et il n’y a plus beaucoup d’espaces à coloniser. La dynamique impérialiste ne disparaît pas pour autant, mais son enjeu se recentre sur l’Europe elle-même.
Durant les trois dernières décennies, les recherches historiques sur la Seconde Guerre mondiale ont connu des développements extraordinaires, accompagnés de débats riches et féconds, aussi bien sur le plan archivistique et empirique que sur le plan de l’interprétation. Certes, très souvent, l’étude et l’interprétation des crimes nazis – crimes politiques, génocides, crimes de guerre, etc. – occupent une place centrale au sein de ces développements ; il n’empêche qu’à travers l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale, c’est une relecture de fond de l’ensemble de l’histoire du XXe siècle qui est mise en œuvre, voire même, une relecture de fond en comble de la modernité elle-même – notamment en raison des moyens scientifiques et technologiques que mobilisa cette guerre d’anéantissement. Dans ce cadre général, il y a eu un moment où tout donnait à penser que cet impact massif de la Seconde Guerre mondiale avait fini par rejeter la Grande Guerre dans l’ombre, à la fois sur plan historiographique et sur celui de la mémoire collective. Toutefois, eu égard aux grandes discussions des dernières décennies sur 14-18, cette impression s’est avérée plutôt erronée. Pensez-vous cependant que les avancées de la recherche sur la Seconde Guerre mondiale ont été de nature à influencer et à redynamiser les recherches sur la Grande Guerre, voire à réorienter leurs questionnements ? L’étude de la Seconde Guerre mondiale a en outre magistralement brisé les clivages disciplinaires par l’intervention de la plupart des sciences humaines et sociales (sociologie, sciences politiques, anthropologie, etc.). Observe-t-on un mouvement similaire sur le terrain des études de la Grande Guerre ?
A. L. : À mon sens, dans le débat historiographique, pas tellement. D’ailleurs, il est frappant de voir qu’il y a des controverses qui pourraient être pensées dans les mêmes termes, dans le champ de la Première Guerre mondiale et dans celui de la Seconde, mais qui ne le sont pas. Notamment tout le travail qui a été fait sur l’Occupation entre 1940 et 1944, toute la question de l’accommodement, de la résistance, des attitudes face à l’occupation : toute cette série de questions aurait pu être réinvestie par l’historiographie de la Grande Guerre sur la ténacité des combattants, de même que la réflexion autour des attitudes face au nazisme, la distinction entre « Widerstand » et « Resistenz » proposée par Martin Broszat, par exemple[13]. Accommodement à la guerre, adhésion, opposition, résistance, enthousiasme, etc. : toutes ces catégories sont assez peu mobilisées de manière comparative par l’historiographie des deux guerres, exception faite des travaux de Frédéric Rousseau. En dehors de cette dimension, on ne peut pas dire qu’il y ait eu d’importation de concepts, de manières d’approcher la guerre, d’un champ vers l’autre. Personnellement, je ne vois pas tellement de liens entre les débats sur la Seconde Guerre mondiale et les débats sur la Grande Guerre, même si, intellectuellement, leurs différents enjeux mériteraient certainement d’être posés ensemble.
N. M. : Une toute petite illustration sur ce point. Philippe Salson a soutenu une thèse, il y a peu, sur l’occupation allemande de l’Aisne pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918 : les années grises. L’expérience des civils dans l’Aisne occupée, 2013). Il y avait dans son jury de thèse Laurent Douzou, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et particulièrement de la Résistance. Il était tout à fait frappé de voir à quel point les liens entre les deux historiographies étaient peu développés, alors qu’il y aurait un grand intérêt à ce que les chercheurs travaillant sur l’occupation allemande pendant la Première Guerre mondiale lisent les travaux de leurs collègues travaillant sur la Seconde, et réciproquement. On comprend ainsi pourquoi Laurent Douzou, lors de cette soutenance, a pu parfois avoir l’impression que l’on réinventait l’eau chaude à propos de l’occupation allemande durant la Grande Guerre, alors que certaines de ces questions étaient déjà fort bien balisées et labourées pour la Seconde Guerre mondiale, dans des termes parfois très proches ou, au contraire, relativement éloignés.
Depuis les travaux de George L. Mosse et de façon indirecte depuis la périodisation du XXe siècle proposée par Eric J. Hobsbawm – sans parler des travaux d’Ernst Nolte –, la Première Guerre mondiale est souvent perçue et posée comme la « matrice » du XXe siècle. Toute une série de concepts ont été avancés, comme par exemple la « brutalisation » des rapports sociopolitiques, la « culture de guerre »[14], etc., afin d’expliquer le processus de radicalisation de la violence dans l’entre-deux-guerres, processus qui culmina dans le paroxysme de la Seconde Guerre mondiale avec comme point d’acmé les crimes nazis. La Grande Guerre aurait ainsi créé, par elle-même, toutes les conditions nécessaires et suffisantes d’une guerre civile généralisée dont l’aboutissement final serait le nazisme. Les récents travaux de l’historien britannique Thomas Weber (La Première Guerre d’Hitler, Perrin, 2010) s’inscrivent tout à fait en porte-à-faux par rapport à cette perspective. Comment vous situez-vous personnellement dans ce qui apparaît être désormais l’épicentre de grands conflits d’interprétation de la Grande Guerre ? La guerre détermine-t-elle les lignes de force des développements à venir ? Le petit caporal était-il déjà, dans le creuset de la Grande Guerre, un Hitler en puissance ? Et si l’on récuse cette interprétation qui fait valoir sous le signe de la catastrophe annoncée plutôt les continuités que les discontinuités entre les deux guerres, quelle autre approche faut-il privilégier pour mieux comprendre les spécificités de l’entre-deux-guerres allemand ?
A. L. : C’est la grande question de la « matrice » : continuité, discontinuité ? J’aurais deux éléments de réponse. Le premier, c’est que ce questionnement est relativement récent, l’idée que la Grande Guerre est la matrice du XXe siècle date en fait des années 1980-1990 et de l’effondrement de l’Union soviétique. Se découpe ainsi une séquence 1914-1989/91 qui paraît cohérente en elle-même. C’est la périodisation d’Eric J. Hobsbawm que vous évoquez dans votre question (L’Âge des extrêmes. Histoire du court XXe siècle, Bruxelles, Complexe/Le Monde diplomatique, 1999). C’est aussi le livre d’Arno Mayer sur La « Solution finale » dans l’histoire (La Découverte, 1990), qui parle de la guerre de trente ans du XXe siècle. Bref, c’est dans les années 1980 que commence à s’inscrire cette réflexion-là ; elle n’a ainsi pas toujours été évidente. La périodisation qui a longtemps prévalu, plus évidente, est celle de 1870-1918, parce que 1918, en France en particulier, c’est le retour de l’Alsace-Lorraine, c’est la clôture d’un cycle historique, celui de l’ère des nationalismes, et le passage à l’ère des fascismes. Cette historicité-là demande aujourd’hui à être travaillée, à être repensée. Aujourd’hui le découpage qui prévaut, c’est : 1914 inaugure un siècle d’horreurs, de catastrophes. Mais est-ce aussi simple et évident ? Une chose me paraît claire, c’est que, du point de vue de l’expérience des Occidentaux, disons des Européens, en 1914-1918, la confrontation avec la guerre change radicalement d’ampleur. Ce n’est pas forcément la violence de la guerre qui change de nature, les guerres coloniales étaient très violentes de même que celles de Napoléon Ier, mais bien l’ampleur de la confrontation, celle de millions de gens avec la guerre. Mais cette confrontation de masse ne produit pas à mon sens d’effets automatiques. Sous ce rapport, c’est ce que la guerre laisse en héritage qui est important ; comme tout héritage, celui-ci est inventorié, approprié, valorisé, de différentes manières par les acteurs et les groupes sociaux. Pour moi, la Grande Guerre lègue un champ de forces, autour de la question de la guerre et de la paix. Il y a des gens qui vont valoriser des éléments du côté de la guerre : ils seront bellicistes en connaissance de cause. Or, c’est très différent d’être belliciste en 1920 et en 1910. En 1910, on trouve encore des gens pour dire naïvement que la guerre est belle ; ils imaginent des charges à la baïonnette en rase campagne, etc. Ceux qui le sont en 1920, le sont en connaissance de cause : ils ont compris que la violence de guerre pouvait être un élément de grande efficacité, qu’elle pouvait être une incroyable technique de mobilisation pour atteindre un certain nombre d’objectifs. Les fascistes, les nazis, les bolcheviques, sont des groupes qui ont tiré ces leçons-là de la guerre et qui ont valorisé cet héritage. Et puis, à côté, il y a des gens qui ont fait un inventaire différent de ce même héritage de la Grande Guerre : ce sont les pacifistes. Pour les pacifistes, la guerre devient le mal absolu, le mal radical à combattre, à éliminer. Autrement dit, la Grande Guerre lègue un lourd héritage, un champ de forces qui mêle les registres belliciste et pacifiste, et à travers eux deux principaux enjeux : la guerre et la révolution. Les deux sont en effet à penser ensemble, de manière très forte. Les mouvements fascistes et nazis sont contre-révolutionnaires, ils tournent leurs armes contre le danger révolutionnaire ; c’est d’ailleurs l’un des principaux éléments présidant à leur naissance et leur développement. Évidemment, c’est l’inverse du côté des bolcheviques. Ils utilisent la violence révolutionnaire à la fois pour se défendre et pour réduire leurs ennemis. À mon sens, ce que lègue la guerre, c’est une forme de centralité de la violence, non pas pour chaque individu, mais comme répertoire des possibles dans lequel on vient puiser des éléments soit pour s’approprier la violence, soit pour la rejeter.
N. M. : On peut avancer aussi une autre idée : la possibilité de la guerre, l’horizon d’une guerre comme potentialité demeure présente, du moins dans les pays d’Europe occidentale, jusqu’à la guerre d’Algérie, y compris donc pour la génération née en 1940, celle de mon père parti dans le cadre de son service militaire. En Europe occidentale, je pense que cette possibilité de la guerre n’est plus dans l’horizon des générations d’après 1940. Pour moi, l’idée de devoir partir un jour à la guerre est de l’ordre de l’impossible ; la chose était naturellement différente pour les générations précédentes de l’après-Grande Guerre.
A. L. : Il y a un livre qui montre bien cette démilitarisation de l’Europe après 1945, notamment du fait du parapluie nucléaire américain qui a permis la démilitarisation des esprits et des sociétés, les deux allant de pair. C’est celui d’un historien américain, James J. Sheehan, (Where Have All the Soldiers Gone ? The Transformation of Modern Europe, Houghton Mifflin Company, 2008). Avant 1914, il montre bien que la société, y compris la société politique, se représentait comme une société militaire : les dirigeants posaient en uniforme, les revues militaires et paramilitaires étaient de grands moments de sociabilité. Aujourd’hui, même s'il attire encore du monde, le 14 Juillet n’a plus la même ampleur qu'à l’époque. Dans une bourgade de province, le passage de la troupe était un moment intense où la société se donnait elle-même à voir comme une société militaire ; cela a effectivement disparu après la démobilisation, cette fois réussie en 1945, alors qu’elle avait été en partie ratée après 1918.
Les recherches sur la Seconde Guerre mondiale ont remis en discussion, souvent à nouveaux frais, l’antique question du « témoignage » comme source, comme document historique. Controverses et polémiques se sont multipliées jusqu’à saturation – d’autant plus que derrière cette question se profilait aussi celle des rapports entre « histoire » et « mémoire ». Or, cette question du témoin et du témoignage a été au centre des préoccupations des historiens de la Grande Guerre, au moins depuis les travaux exemplaires de Jean Norton Cru[15] 15. Peut-on attendre de cette percolation des deux conflits mondiaux sur la question du « statut » du témoignage quelques avancées significatives sur le plan de la recherche historique ?
A. L. : Là encore, c’est une question compliquée, comme toutes les bonnes questions. Les témoignages de la Grande Guerre et les témoignages de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas tout à fait de même nature. Pour la Seconde Guerre mondiale nous avons, d’une part, des témoignages écrits et rédigés sur le moment même et, d’autre part, une masse de matériaux testimoniaux rédigés ex-post, récits, souvenirs, etc. Pour la Grande Guerre, ce sont les nombreux témoignages, lettres et journaux rédigés au moment même qui tiennent une place privilégiée ; nous avons en revanche peu de témoignages oraux ou filmés, comme pour la Seconde Guerre mondiale avec le travail de la Fondation dite « Spielberg ». Non seulement ils sont de nature différente, mais nous leur posons également des questions différentes. Pour la Seconde Guerre mondiale, il s’agit, pour la majeure partie, de témoignages de victimes – de la déportation, de la répression politique, du génocide, etc. Pour la Grande Guerre, nous avons certes des témoignages de victimes, des victimes civiles des occupations ou des bombardements, mais l’essentiel du corpus est constitué de témoignages de combattants.
N. M. : Au Mémorial de Caen, ou plutôt au centre d’histoire associé au Mémorial, a été mis en place, il y a trois ou quatre ans, un projet visant à constituer une énorme banque de données de témoignages de la Seconde Guerre mondiale, tous types de témoins confondus – déportés politiques, déportés raciaux, résistants, mais aussi civils ayant produit des témoignages sur Vichy et l’Occupation. Ils ont accompli d’importants efforts afin d’aller chercher des témoignages rares, édités à compte d’auteur, recueillis par les associations de rescapés, etc., et établi des fiches biographiques aussi détaillées que possible. Tout cela constituera évidemment une masse énorme de données ; ils annoncent pouvoir saisir, d’ici fin 2014, les dix premières années, de 1943 à 1953, si je ne me trompe pas. Du coup, ils se sont intéressés à ce qui se faisait en matière de témoignages dans le champ 14-18, autour notamment du véritable « monument » que représente le travail de Jean Norton Cru. Je pense qu’il y a là matière à établir une collaboration plus étroite entre spécialistes des deux guerres car, à partir d’une telle banque de données sur la Seconde Guerre mondiale, notamment, l’on pourra opérer d’utiles rapprochements avec les témoignages de la Grande Guerre.
A. L. : Il y a une conséquence importante à tout cela, c’est qu’en raison même de cette massification des corpus documentaires, il n’est plus possible d’écrire l’histoire de la même manière qu’on le faisait il y a une ou deux décennies à peine, c’est-à-dire en travaillant seul sur son bureau, avec une bonne centaine de livres et de documents. Cela ne sera plus faisable ; il va falloir procéder à de larges enquêtes collectives, menées par des équipes qui travailleront sur de vastes corpus et, parallèlement, développer des projets plus individuels fondés sur des corpus très ciblés, établis sur des critères précis et rigoureusement indexés. Dans un cas comme dans l’autre, on ne peut plus considérer les témoignages comme des matériaux dans lesquels on viendrait piocher et que l’on échantillonnerait afin de construire nos histoires de la guerre. Ces méthodologies ne sont plus tenables ; autrement dit, cette massification des corpus de témoignages, impliquant un renouvellement des outils de traitement, change radicalement la manière de « faire » l’histoire. On ne peut plus continuer à appliquer la méthode du « ciseau et de la colle », construisant plus ou moins adroitement nos raisonnements en mettant bout à bout des extraits de témoignages ; les outils dont nous disposons désormais permettent de travailler à une autre échelle. Pour la Grande Guerre, il y a par exemple le site du CRID, qui pilote et héberge depuis quelques années un dictionnaire collectif des témoins (www.crid1418.org/temoins/), devenu un livre (Rémy Cazals (dir.), 500 témoins de la Grande Guerre, Éd. Midi-pyrénéennes/EDHISTO, 2013), et appelé encore à prendre de l’ampleur. Ces nouveaux outils permettent un traitement plus systématique et un usage mieux raisonné des témoignages, ce qui n’était pas forcément possible il y a à peine cinq ans ou dix ans. Ce genre de travail, particulièrement difficile à mener, représente un défi majeur ; mais c’est aujourd’hui devenu une véritable obligation.
Pour ce qui est des témoignages de la Seconde Guerre mondiale, et singulièrement des témoignages de résistants et de déportés, la majeure partie des historiens s’est montrée assez, voire fermement hostile à leur prise en compte dans l’écriture de l’histoire. Ils ont même dénoncé, à plusieurs reprises, « la dictature du témoignage », la « tyrannie de la mémoire ». Est-ce aussi le cas dans le champ historiographique de la Grande Guerre ?
A. L. : Il y a eu un débat, notamment autour du livre de Stéphane Audoin-Rouzeau et d’Annette Becker, 14-18, retrouver la guerre (Gallimard, 2000). Ces derniers ont, à un moment donné de leurs travaux, également dénoncé cette « dictature du témoignage » dans le champ de la Grande Guerre. Selon eux, les témoins chercheraient à imposer à l’historien leur vision de l’histoire, qui est une vision erronée parce qu’ils ont pu gommer un certain nombre d’éléments de leur expérience, notamment ceux qui ont trait à la violence de guerre. Cela ne tient vraiment pas la route. On ne peut postuler a priori, surtout pour les témoignages rédigés sur le moment même et qui n’étaient pas destinés à être publiés, cette volonté délibérée d’éluder, d’occulter les violences commises. Et puis, ce serait absolument absurde, pour l’historien, de se priver de cet extraordinaire gisement documentaire. Il suffit de lui appliquer les règles habituelles de la critique historique : la critique interne et la critique externe. En fait, le refus de prendre en compte les témoignages procède en partie d’un soupçon à l’encontre du témoin : on a observé cela de manière très forte dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec les multiples remises en cause de l’histoire de la Résistance. Le fait, par exemple, que les témoignages des époux Aubrac aient été à ce point passés au crible afin de pointer la moindre contradiction, et de voir derrière eux de possibles traîtres, pour Raymond Aubrac et Jean Moulin des agents communistes, etc., est particulièrement significatif. Personnellement, c’est un type d’approche dans lequel je ne me reconnais pas ; je pense qu’il ne faut pas opposer les « témoignages » et les « archives », les deux s’éclairent mutuellement et il n’y a pas de vérité supérieure de l’archive par rapport au témoignage. Aujourd’hui, cependant, assez peu de gens défendraient l’idée qu’il faille se passer des témoignages pour écrire l’histoire ; même ceux qui parlent de « dictature du témoignage » ont travaillé sur des témoignages, ils en ont même préfacé quelques-uns !
N. M. : Le grand paradoxe avec la Seconde Guerre mondiale, c’est que cette critique du témoignage comme source non fiable a été portée, en partie tout au moins, par Daniel Cordier qui est lui-même un témoin. Au début des années 1980, dans un colloque demeuré célèbre, il avait déclaré que les témoins se trompaient, qu’il fallait arrêter de s’intéresser à leur parole, et que la seule manière d’écrire sérieusement l’histoire de la Résistance, et plus largement de la Seconde Guerre mondiale, c’était de faire une histoire à partir d’archives. Cette position-là, heureusement, est désormais minée.
A. L. : Récemment, on a pu retrouver ce questionnement à propos du livre de Claude Barbier sur le maquis des Glières (Le Maquis de Glières. Mythe et réalité, Perrin/Ministère de la Défense, 2014). C’est un livre qui met complètement à l’écart la parole des témoins, des maquisards. Il raconte ce qui s’est passé aux Glières, en mars 1943, sans donner la parole aux témoins alors même que des témoignages sur ces événements ont été portés et publiés immédiatement après la guerre. La justification, qui n’est pas explicite dans le livre, paraît néanmoins claire : les témoins peuvent se tromper, la mémoire est faillible alors que les archives, elles, nous donnent des informations justes et précises. Mais comment, dans ces conditions, écrire l’histoire d’un maquis qui, par définition, ne produit pas d’archives ? Les seules archives dont l’historien peut disposer sont des archives allemandes, qui apportent beaucoup d’informations utiles sur les effectifs des miliciens français et des soldats de la Wehrmacht, l’horaire de l’attaque, le plan de bataille, etc., mais qui donnent d’abord le point de vue des assaillants ! Ces archives ne nous disent rien des maquisards et de leur expérience, des bombardements de l’aviation, de l’artillerie, etc. ; or ils ont témoigné et publié leur témoignages juste après la guerre (Glières, « Vivre ou mourir », consultable sur www.70ansliberationhautesavoie.fr, préfacé par Jean-Louis Crémieux-Brilhac, correspondant de l’Institut). Si on ne restitue pas cette dimension, celle de l’expérience, on passe à côté de ce qu’a été le maquis de Glières.
C’est également le cas pour l’expérience concentrationnaire. L’histoire de cette expérience serait impossible sans les témoignages.
A. L. : Absolument. Le livre de Christopher R. Browning, notamment, À l’intérieur d’un camp de travail nazi. Récits des survivants : mémoire et histoire (Les Belles Lettres, 2010), serait impossible, impensable.
N. M. : C’était même tout le sens de la démarche de Browning : écrire l’histoire d’un camp pour lequel il n’existe aucune archive, mais même pas deux feuilles de papier ! Tout le livre repose donc sur le recoupement critique des points de vue des 292 témoins disponibles, recueillis en plusieurs strates chronologiques et contextuelles : de l’immédiat après-guerre aux années récentes, en passant par les témoignages recueillis au début des années 1970 lors du procès de Walter Becker à Hambourg. À la différence du travail d’un Saul Friedländer, qui ne mobilise des témoignages de victimes et de témoins (correspondances, journaux intimes, etc.) que s’ils sont contemporains des événements (L’Allemagne nazie et les Juifs, t. 2, Les années d’extermination, 1939-1945, Seuil, 2008), l’histoire du camp de Starachowice comme les nombreux travaux menés à partir de ce type de sources reposent sur des récits qui sont essentiellement ceux, livrés après coup, de survivants. Cette spécificité, résultante mécanique, faut-il le rappeler, du caractère meurtrier de l’événement, n’est pas sans conséquences pour l’analyse. Comme le montre avec force le travail mené par Michael Pollak récemment réédité en poche (L’Expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Seuil, « Points essais », 2014), les témoignages des victimes de la Shoah donnent d’abord à voir et à penser, bien plus que les trajectoires de la persécution, les modes et les caractéristiques de la survie. Il est en effet difficile sinon impossible pour l’analyste, comme pour le témoin, de se déprendre de la « fin de l’histoire » dans des récits qui se construisent nécessairement comme des représentations des « bons » ou des « mauvais » choix, de la naïveté des uns face à la lucidité des autres, ou encore de la chance, arguments qui sont autant de questions qui taraudent les survivants. Pour autant, malgré ces traits particuliers, problématiques parce qu’ils tendent à individualiser et à « désocialiser » les histoires des internés, les témoignages des survivants restent évidemment tout à fait indispensables à notre connaissance des « expériences concentrationnaires ».
[1] L'interview a eu lieu le 14 mars 2014 à la Fondation pour la mémoire de la déportation, Paris.
[2] Voir François Buton, André Loez, Nicolas Mariot et Philippe Olivera, « L’ordinaire de la guerre », Marseille, Agone, n° 53, 2014.
[3] Voir notamment Antoine Prost et Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, « Points histoire », 2004.
[4] Pour une évocation détaillée de cette controverse, lire Annika Mombauer, The Origins of the First World War: Controversies and Consensus, Londres, Longman, 2002.
[5] Traduit en français sous le titre : De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999.
[6] Voir par exemple Céline Jouin, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Paris, Vrin/EHESS, 2013.
[7] Lire sa prise de position en ligne sur le site historique de la BBC : http://www.historyextra.com/feature/gary-sheffield-first-world-war-debate-german-victory-would-have-been-disaster-britain.
[8] Heather Jones, Violence Against Prisoners of War in the First World War: Britain, France and Germany, 1914-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
[9] Nicolas Offenstadt, 14-18 aujourd’hui. La Grande Guerre dans la France contemporaine, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 154.
[10] Sur France Inter, par exemple, la célébration du centenaire de la Grande Guerre s’est récemment accompagnée d’un appel à réfléchir sur ce que signifie « s’engager aujourd’hui ».
[11] Voir par exemple les controverses autour de l’ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005.
[12] Comme l’a bien montré Romain Bertrand à propos de la controverse autour de la question coloniale dans les années 2000. Voir Romain Bertrand, Mémoires d’empire. La controverse autour du « fait colonial », Bellecombe-en-Bauges, Croquant, « Savoir/Agir », 2006.
[13] Pour une présentation de ces catégories et les débats qu’elles soulèvent, voir Michael Kissener, « les formes d’opposition et de résistance au national-socialisme en Allemagne », in François Marcot et Didier Musiedlak (dir.), Les Résistances, miroirs des régimes d’oppression. Allemagne, Italie, France, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, pp. 19-30.
[14] Voir André Loez (avec la collaboration de Nicolas Offenstadt), Petit répertoire critique des concepts de la Grande Guerre, CRID 14-18. [En ligne], URL : crid1418.org/espace_scientifique/textes/conceptsgg_01.ht, mis en ligne en décembre 2005.
[15] Jean Norton Cru, Témoins, préface et postface de Frédéric Rousseau, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2006 [1929].