N°10 / Nouvelles recherches sur les déportations et les camps

Le centre de rassemblement Caserne Dossin pour les juifs et tsiganes de Belgique déportés vers Auschwitz (1942-1944)

Jacques Aron

Résumé

Laurence Schram, Dossin. L’antichambre d’Auschwitz, Bruxelles, Ed.Racine, 2017, 352 p.,19,95 €.

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Transmettre la mémoire des crimes du nazisme est à peu près reconnu aujourd’hui comme un devoir civique de nos démocraties européennes. Malgré cela, et à l’heure où disparaissent les derniers témoins des événements tragiques qui ont succédé à la Première Guerre mondiale, l’accomplissement de ce devoir mémoriel resterait malaisé, si nos pédagogues – parents, enseignants, gouvernants, associations de la société civile, etc. – ne recevaient l’aide permanente d’historiens sérieux et documentés, qui, par un travail objectif de longue haleine, complètent peu à peu l’image que nous pouvons nous faire de la réalité de ces crimes.

Aussi est-ce avec la reconnaissance qu’elle mérite, que nous aimerions attirer l’attention sur cette étude exemplaire d’un chaînon « banal » de la machine génocidaire. L’auteure y fait la synthèse des années de recherches qu’elle a consacrées au Centre de rassemblement (SS-Sammellager) des Juifs et des Tsiganes de Belgique en partance pour Auschwitz. Laurence Schram, chercheuse principale au Musée Juif de la Résistance et de la Déportation, devenu depuis Kazerne Dossin, à Mechelen (Malines) en Belgique, y poursuit de manière remarquable la voie tracée par Maxime Steinberg, pionnier de cette matière historique dans de nombreux ouvrages qui font à présent autorité.

En dehors de tout esprit partisan ou polémique, l’historienne se contente de laisser parler les innombrables documents et témoignages du quotidien d’un lieu de transit qui, pour la grande majorité des victimes, n’aura duré que le temps de former un convoi d’environ 1000 personnes destinées pour une part à la mise au travail forcé, pour une autre à l’assassinat immédiat.

Pour l’essentiel, cette mission est remplie par des SS, assistés de collaborateurs belges, dans une ancienne caserne isolée pour la circonstance, bien qu’elle se situe dans un quartier populaire de la ville, non loin du centre et du siège de l’Archevêché du pays.

Dans leur ensemble, les faits sont déjà éloquents : ce sont 25.273 Juifs et 354 Tsiganes, des bébés aux vieillards, qui transiteront, de l’été 1942 à l’automne 1944, par cette « antichambre d’Auschwitz » ; 15.700 (62%) seront éliminés à leur arrivée, le reste sera mis « au travail ». 1218 Juifs et 33 Tsiganes seulement survivront jusqu’en 1945. Ce sombre bilan de l’application de la « Solution finale de la Question juive » et du racisme nazi représente à lui seul environ la moitié de toutes les victimes de la guerre en Belgique, toutes causes confondues.

Ce n’est évidemment pas ce décompte macabre qui constitue la profonde originalité de l’étude, mais la description systématique des mécanismes d’humiliation et de déshumanisation, à l’occasion de sadisme et de cruauté, qui attendent les détenus dès leur entrée en ce lieu. Il ne s’agit pour la plupart d’entre eux, ni de Belges (moins de 10% des Juifs possèdent cette nationalité) ni de résistants, raison principale pour laquelle il fallut environ 35 ans après la capitulation du Reich, pour que soient enfin reconnues comme telles de simples victimes d’une barbarie arbitraire. Sans dramatiser inutilement leur situation, on peut considérer avec le recul dont nous disposons, que le nombre de ces victimes aurait été bien plus élevé encore si une série de circonstances locales ne s’y étaient opposées. Les priorités de la guerre se situent sur le front de l’Est et les autorités militaires se montrent constamment soucieuses d’une occupation « à moindre coût ». Elles réagissent au moindre frémissement de lopinion, et seul lisolement dune grande quantité de réfugiés récents, apatrides ou de diverses nationalités explique le succès des premières rafles et le ralentissement progressif des suivantes. La résistance passive et active s’organise, avec aussi ses formes spécifiques au milieu concerné. Le livre nous montre bien toute la disparité des situations individuelles, l’éventail des réactions et motivations, tant des victimes que de leurs bourreaux dans leurs engagements de toutes natures, religieuse, politique, idéologique ou simplement existentielles.

L’œuvre de Laurence Schram est pionnière en la matière et sera certainement suivie d’études comparables sur les Centres de rassemblement que l’occupant avait ouverts dans d’autres pays. On pense évidemment à Westerbork (Pays-Bas) ou à Drancy. Mais il en est encore d’autres qu’il importe à présent de sortir de l’oubli, simples rouages d’une économie de guerre totale annoncée et soigneusement programmée.

Bien que la prétendue « Question juive » ne puisse se limiter à l’addition de ces études de cas, celles-ci, quand elles sont menées avec une telle sobriété et une telle rigueur, sont à nos yeux l’apport le plus précieux pour combattre, dès leurs moindres signes, toutes les velléités de pouvoirs autoritaires exploitant sans scrupules les disparités et inégalités sociales, avec une stratégie toujours recommencée : isoler et culpabiliser les victimes, boucs émissaires des tensions sociales irrésolues.

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L'Europe en enfer

Yves Lescure

Ian Kershaw, L’Europe en enfer (1914-1949), éd. du Seuil, 2016, 640 p., 26 €.

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