Retour au Moyen Âge », « nouveau Moyen Âge », « retour du Moyen Âge », ces expressions, et leurs variations et dérivées – sous des formes verbales telles que « revenir au Moyen Âge » et « renvoyer au Moyen Âge » ou d’unités lexicales légèrement différentes comme « prochain Moyen Âge », « futur Moyen Âge » – sont très en vogue pour décrire et dénoncer des maux et problèmes du présent ou de l’avenir. Des personnalités politiques de tous bords, des organisations et des institutions diverses, des intellectuels médiatiques, des universitaires, des journalistes, des quidams de divers niveaux culturels y recourent. Avec elles, on glose sur la géopolitique, l’économie, les conflits, les questions de société, mais aussi sur les sujets les plus triviaux. Des bandes dessinées d’anticipation, des romans et des films de science fiction les mettent en scène. Ces usages disparates véhiculent l’idée, vécue comme une crainte, d’un retour à certains traits, réels, exagérés ou carrément légendaires, du Moyen Âge, et plus précisément de ses débuts – les invasions barbares – et de sa fin – la grande crise du XIVe siècle. Dans leurs versions les plus extrêmes, ces vocables annoncent des catastrophes d’ampleur avec un recul durable et radical des modes de vie. Cet article n’étudie ni les façons dont les sociétés se sont souvenues et se souviennent du Moyen Âge ou s’y réfèrent[1] ni l’ensemble des idées de retour de cette période. Il propose une réflexion sur quelques usages problématiques de la « formule »[2] « nouveau Moyen Âge » et de ses apparentées.
Pendant l’entre-deux-guerres : des formules omniprésentes et au-dessus des clivages politiques pour dénoncer les menaces contre la modernité
Pendant l’entre-deux-guerres, ces expressions péjoratives médiévales étaient encore plus actives qu’aujourd’hui. Dans les journaux et revues, dans les discours politiques, dans les essais et les romans, etc., elles dénonçaient une grande variété de maux, présents, potentiels ou futurs, tels que le recul des libertés, la montée d’idéologies dangereuses et de l’antisémitisme, les risques d’un ralentissement du progrès, voire d’une dégradation des conditions de vie. Signe indéniable de leur popularité parmi les gauches, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA), créé au lendemain des violences antiparlementaires du 6 février 1934, l’intégra dans son manifeste fondateur titré « Aux travailleurs » : « Camarades, sous couleur de révolution nationale, on nous prépare un nouveau Moyen Âge. »
Communes aux voix de gauche, ces formules péjoratives œuvraient aussi à droite comme le montrent ces trois variations sur le même thème. En 1919, l’écrivain royaliste, future forte plume de l’antisémitisme, Georges Batault, avertit : « Le bolchevisme ou maximalisme pose des problèmes d’ordre international que le monde doit résoudre sous peine de sombrer dans la barbarie d’une sorte de nouveau moyen âge. »[3] Dix ans plus tard, un journaliste explique : « Il y a des mystiques destructrices qui, si elles s’imposaient au monde, le plongeraient pour longtemps dans la nuit. Le communisme en est une […]. S’il triomphait, on reverrait sur la terre un nouveau Moyen Âge. »[4] En 1931, Edmond Giscard d’Estaing s’inquiète : l’URSS va bientôt vendre des produits à bas prix au monde. Aussi, ce pays, « qui a déjà provoqué une effrayante dégradation de la civilisation intellectuelle et morale », va ajouter « le trouble d’éléments qui font rétrograder le progrès économique jusqu’aux conditions les plus précaires d’une humanité misérable ». En conséquence, la « Russie tend à nous ramener à ce nouveau moyen âge qui assombrit l’Europe orientale. L’organisme capitaliste est, sans exagération et à proprement parler, le rempart qui protège le peuple contre la contagion de la détresse et de la faim. »[5] Pour ces trois auteurs, l’URSS peut entraîner un « nouveau Moyen Âge », entendu ici comme une régression des libertés et des conditions de vie. Mais, de l’autre côté de l’échiquier politique, la même expression célèbre l’URSS comme seule barrière contre les méfaits du capitalisme. Ainsi, un hebdomadaire du Parti communiste écrit :
« En octobre 1917, la Révolution russe a sauvé le monde du chaos. […] De nouveau, après dix ans, le monde se trouve devant la guerre. D’un côté les bourgeois, les possédants qui veulent affermir leur pouvoir, asservir le monde entier, renverser la Russie des Soviets, plonger dans l’esclavage, l’abrutissement et la misère tous les travailleurs du monde, dans l’enfer d’un nouveau Moyen Âge. […] De l’autre, la Révolution des Soviets qui a résisté à tous les assauts et qui, patiemment, construit le socialisme. »[6]
Ubiquistes, les formules péjoratives médiévales ne sont donc pas ancrées à une identité politique. Elles dépassent les clivages idéologiques et expriment de part et d’autre l’anathème. Elles se connectent à l’image négative du Moyen Âge forgée par les humanistes, renforcée par les Lumières puis l’école laïque. Déjà actives au XIXe siècle, ces formules atteignent leur acmé dans l’entre-deux-guerres. Certains considèrent alors que leur usage gêne l’analyse sereine de l’actualité[7]. D’autres s’en agacent, tel ce journaliste : « Dans le nouveau moyen âge qu’une mode littéraire plus faite de snobisme réactionnaire que de réelle intellectualité, s’efforce de nous imposer »[8], dont le commentaire pointe un sens différent de celui qui dénonce des situations ou orientations jugées mauvaises : le « nouveau Moyen Âge » peut aussi exprimer des espérances.
Des formules qui servent alors aussi pour critiquer la modernité et exprimer la volonté d’un retour au passé
En 1927, paraît au « Roseau d’or », collection d’accointance catholique et de sympathie maurrassienne, l’essai qui donnera, par son titre – Un nouveau Moyen Âge[9] –, le plus de retentissement à l’expression. Nicolas Berdiaev, philosophe russe, souhaite ce nouveau Moyen Âge, non restauration de l’ancien, mais passage à une ère vraiment dirigée vers le transcendant et l’au-delà. Des siècles d’humanisme éloigné du christianisme ont rompu le lien unissant l’homme à Dieu, l’ont entraîné vers des idéologies, une société et des événements qui l’ont débilité. Heureusement, de nombreux symptômes, pénibles, marquent l’usure, l’échec et la disparition prochaine de l’humanisme et de ses réalisations délétères. Les chrétiens doivent se battre pour faire advenir ce changement, car d’autres concurrents s’empressent de prendre la place bientôt laissée vacante par l’humanisme : les superstitions de toutes sortes et les religions politiques, mauvaises et dangereuses, fascisme[10] et communisme. Ce « nouveau Moyen Âge » suscitera « un surrationalisme de type médiéval » nécessaire pour bâtir un « type religieux plus élevé », un système « démotique […] pas du tout démocratique »[11], une société chrétienne.
Orthodoxe, mais grand lecteur d’écrivains catholiques français du XIXe et du début XXe siècles désireux de renouer avec l’intensité spirituelle du Moyen Âge, Berdiaev, parfaitement francophone, devient, quand il s’installe dans la capitale en 1925, une figure intellectuelle parisienne. Il n’était ni le premier ni le dernier à user positivement de cette formule. Ainsi, quand le maurrassien Henri Massis, dans sa Défense de l’Occident, publié également en 1927 dans le Roseau d’or qu’il codirige, en appelle à « l’idéal du moyen âge » contre « l’idéal moderne »[12] pour défendre la civilisation chrétienne et occidentale contre le poison de l’Orient qui s’incarne dans l’idéalisme germanique et le mysticisme slave dégénéré en bolchevisme, il fait allusion au nouveau Moyen Âge de Berdiaev, mais renvoie surtout à un article d’Achille Mestre paru en juillet 1925 dans une revue de la constellation maurassienne (La Revue fédéraliste). Le célèbre professeur à la faculté de droit de Paris réitère l’idée de « demander une leçon » au Moyen Âge dans Le Figaro peu après. Reprenant une image peut-être biblique (Daniel 4 : 10-17) et surtout barrésienne[13], il compare la France « à un arbre splendide qui ombrageait le monde et qui abritait les oiseaux du ciel » mais qui a perdu sa splendeur par les méfaits de la modernité. Il ne désespère cependant pas car divers signes indiquent que « nous marchons vers une sorte de nouveau moyen âge, vers une ère qui s'accommodera mieux des complexités de l'histoire et qui n'aura plus la superstition de la construction classique », une époque capable de refonder les liens sociaux et familiaux, de restimuler l’intelligence, car tendue vers « l’Universel »[14].
En bref, dans les années 1920, portées par le néo-thomisme, de nombreuses plumes catholiques, désireuses de conjurer la décadence et de surmonter la crise spirituelle, intellectuelle et morale, recourent largement à ces formules. Par elles, sans tout à fait y mettre le même sens, ces intellectuels « rêvent de restaurer un "nouveau Moyen Âge", aspiration signifiant soit retour à l’unité spirituelle d’une Chrétienté sous l’autorité d’une théocratie pontificale soit unité temporelle autour d’un Empire d’origine romaine à prétention universelle »[15] . Dans cet apogée des formules « nouveau Moyen Âge » et apparentées, leur ambivalence apparaît radicale. Les uns s’en servent pour dire qu’autrefois était supérieur à aujourd’hui et qu’il faut y revenir, ou au minimum s’en inspirer afin de sortir de la décadence, du marasme. Les autres y recourent pour brandir un repoussoir et annoncer une catastrophe à venir. Avec elles, les défenseurs de la modernité dénoncent les menaces qu’ils voient fondre, tandis que ses pourfendeurs clament leur espoir de libérer la civilisation de la déliquescence inhérente à la modernité.
Le nouveau Moyen Âge au temps des dictatures et du fracas des armes
L’ambivalence fut encore plus forte dans les années trente et la Seconde Guerre. Ce « néomédiévalisme de l’intelligence catholique de la fin des années vingt recouvre […] des interprétations bien différentes de “la primauté du spirituel”. S’il se veut d’abord une réaction au libéralisme et au laïcisme, il se présente aussi, au moins en puissance, comme un garde-fou contre les tentations totalitaires de la décennie à venir. »[16] Le garde-fou ne tint pas. Le nazisme, dans sa rhétorique, ses pratiques et ses projets, prôna le retour au Moyen Âge[17] et valorisa « les prétendus héritages germaniques venus du Moyen Âge » dans un « médiévalisme » « anti-chrétien »[18]. De nombreux opposants dénoncèrent le nouveau Moyen Âge nazi ou fasciste, en particulier dans leurs dimensions antisémites[19]. Exemple surprenant, mais indice du partage de cette formule pour condamner l’inacceptable, sous le titre « Retour au moyen âge », la revue de presse de L’Humanité du 15 novembre 1938 reprend, non pour les critiquer mais pour les approuver, des extraits d’un article en première page du Figaro de la veille où Wladimir d’Ormesson condamnait la « violence odieuse » contre les Juifs et la désignait comme un « retour aux plus fanatiques excès du moyen âge »[20] .Dans le même temps, des intellectuels, catholiques et autres, en France et ailleurs, supportaient les régimes totalitaires et se réjouissaient de les voir travailler à un nouveau Moyen Âge. Ainsi, au Québec, dans une revue à l’orientation politique fascisante, un auteur partisan d’un curieux syncrétisme – « J’admire Lénine, Mussolini, Hitler, Kémal » – loue le « soviétisme russe » qui a réussi à faire « du fascisme au carré, ou plutôt du corporatisme, du socialisme intégral, de l’économie dirigée » et annonce que l’ « évolution simultanée et parallèle du soviétisme et du fascisme finira nécessairement par produire la courbe qui rattachera à un même vertex Mussolini et Lénine – les deux fanaux rouges d'un nouveau Moyen Âge »[21] .
En bref, alors que de nombreux opposants jetaient l’anathème sur les régimes nazis et fascistes comme parangons d’un retour au Moyen Âge désastreux pour les libertés et la civilisation, leurs propagandes et certains de leurs soutiens annonçaient avec joie leur volonté de renouer avec le Moyen Âge. Dans ces conditions, quelques-uns de ceux qui avaient usé de ces formules se firent prudents. Par exemple, dans les années 1920, Jacques Maritain, alors lié aux milieux maurassiens et coéditeur de Berdiaev au Roseau d’or qui devint un habitué de sa maison de Meudon, avait largement employé l’expression[22], en précisant toujours qu’il souhaitait non un retour matériel ou politique au Moyen Âge mais « s’inspirer de ses principes »[23] . En août 1928 encore, dans une conférence donnée à Constance devant le congrès de l’Association des universitaires catholiques allemands, il évoquait ses conversations sur l’avenir de la civilisation occidentale avec Berdiaev et le philosophe Peter Wust et souhaitait un retour vers un nouveau Moyen Âge, « où l’unité et l’universalité de la culture chrétienne seraient retrouvées, et étendues cette fois à l’univers tout entier »[24]. Mais, en 1937, il préféra abandonner la formule :
« On a pu appeler un “nouveau Moyen Âge” l’âge au seuil duquel nous nous trouvons. Mais ce mot peut faire illusion. Il conviendrait plutôt de l’appeler un troisième âge […], du troisième âge de notre ère de civilisation, on pourrait à peine dire qu’il a commencé, mais plutôt que nous assistons […] aux lointaines préparations qui l’annoncent […] on peut penser que ce troisième âge assisterait d’abord à la liquidation générale de l’humanisme post-médiéval, et nul ne sait combien de siècles il durerait ensuite. Nous ne l’imaginons nullement comme un âge d’or, à la façon de certaines rêveries millénaristes. L’homme y resterait ce qu’il est, mais il resterait sous un régime temporel, un ciel historique nouveau destiné à décliner aussi à la fin […] ; et c’est seulement sous ce régime que commencerait de s’épanouir l’humanisme intégral, l’humanisme de l’Incarnation […] et qui ne comporterait d’autre théocratie que celle du divin amour. »[25]
Dans son plaidoyer pour une nouvelle chrétienté, profane et séculière, ou laïque, le philosophe renonce à une expression qui a pris des tonalités trop réactionnaires et favorables aux régimes totalitaires. D’ailleurs, dans « L’impossible antisémitisme », défendant comme un acquis irrévocable l’émancipation des Juifs par la Révolution française, il s’oppose à tout retour en arrière vers une ségrégation de type « ghetto » et défend « un pluralisme fondé sur la dignité des personnes humaines » contre « l’absurde parodie médiévaliste hitlérienne »[26] .
L’ambivalence gagna encore en intensité durant la Seconde Guerre. On n’en finirait pas de citer des opposants et résistants au nazisme dénonçant l’avènement des valeurs nazies en des termes similaires aux tracts trouvés dans des établissements parisiens ou saisis sur des élèves en mai 1942 :
« Les boches renouvelant dans l’étoile jaune des Juifs la sonnette des lépreux tiennent certainement à nous prouver qu’ils sont capables de réaliser dans les faits ce “Moyen Âge” qu’ils prônent tant dans leur propagande. Etudiants, nous ne laisserons pas déshonorer notre pays par ces mesures médiévales. »[27]
Et pourtant, Hitler lui-même craignait un retour au Moyen Âge : « Hitler ne cesse depuis Mein Kampf de prophétiser la fin de toute civilisation humaine en cas de victoire du judéo-bolchevisme […] Hitler prophétise une nuit de mille ans comparable à la nuit médiévale qui a frappé l’Europe après la fin du monde antique. Hitler n’a rien d’un amateur de Walter Scott : le Moyen Âge constitue à ses yeux une régression culturelle inouïe, un âge obscurantiste et oppressant après la clarté de la culture, du paganisme et de l’humanisme antique, qui ne préfigure qu’imparfaitement ce qui guette l’Europe en cas de victoire de la bestialité soviétique. »[28]
Au début du XXIe siècle, de rares usages positifs de ces formules subsistent
Il existe toujours des usages positifs des formules médiévales. En voici deux. Convaincu de l’échec du projet de l’humanisme exclusif athée qui, « incapable de répondre à la question de la légitimité de l’homme » et de dire « pourquoi il est bon qu’il y ait des hommes sur la terre », a entraîné l’humanité vers des idées destructrices et des menaces totales[29], Rémi Brague souhaite un « retour au Moyen Âge ». Ce philosophe et universitaire revendique le « goût de la provocation » [30] de la formule dont il connaît le potentiel répulsif constamment exploité par des « plumitifs » et autres « imbéciles », bienheureux de lui accoler l’adjectif « réactionnaire » sans argumenter. Il ne renie pas certains aspects de la modernité et ne veut pas un retour aux conditions du Moyen Âge qui, sans être celles dénoncées par ses pires détracteurs, n’incitent guère à la nostalgie. Mais il désire renouer avec « la vision du monde » de ce temps, donc remettre à une place prééminente le supra-humain et le divin. Cette solution est « inévitable » si l’humanité veut sortir de son impasse destructrice et prendre un « nouveau départ »[31] . En 2013, un roman, signé par un médiéviste russe, mettant en scène un homme saint de la fin du XVe siècle, a obtenu un grand succès en Russie et ailleurs (traduit en plus de quinze langues)[32]. L’atmosphère spiritualiste a beaucoup plu aux milieux conservateurs russes et américains, mais aussi à des sensibilités plus libérales qui l’ont lu comme une exaltation du contre-courant. Certains l’ont associé au désir d’un « nouveau Moyen Âge », entendu comme un renouveau spirituel chrétien[33].
Le recours à ces formules dans un sens positif est cependant aujourd’hui très marginal, juste le fait de groupes ou auteurs minoritaires, nationalistes, conservateurs, ultra écologistes, chrétiens ou de religiosités singulières. Le basculement vers un usage péjoratif quasi unilatéral doit certainement beaucoup au discrédit durable que le nazisme et Vichy ont jeté sur les usages positifs du « nouveau Moyen Âge » et de ses apparentées, ainsi qu’au recul de l’influence du catholicisme et à l’éloignement des conditions de vie et des mentalités du vrai Moyen Âge à cause de la modernisation.
Le nouveau Moyen Âge dans les discours actuels d’analyse : un usage répandu, problématique et ambigu
Le corpus analysé jusqu’ici comporte avant tout des textes et propos d’opinion. Terminons par des discours qui affirment étudier de façon neutre l’actualité.
En 1993, Alain Minc, dans Le nouveau Moyen Âge, propose un diagnostic du présent et des perspectives sur l’avenir. Avec la chute du Mur de Berlin, l’humanité s’engage vers un « nouveau Moyen Âge », c’est-à-dire un monde totalement déstructuré, en proie au tribalisme, aux crises, sans centre, où se développent des « zones grises » dominées par les mafias et la corruption, où vivent de plus en plus d’exclus, où la raison recule au profit d’idéologies primaires, de superstitions et de peurs ancestrales, où les souverainetés s’effilochent et les structures s’effacent, où l’émiettement et le désordre gagnent[34]. Jacques Delors commenta : « un de nos plus brillants essayistes […] lance une expression qui pourrait bien connaître le succès : celle du “nouveau Moyen Âge”, dans lequel nous serions entrés depuis la chute du communisme. La formule frappe parce que, sous la plume de Minc, elle revêt une connotation péjorative – trop péjorative à mon sens, mais passons, ce serait un autre débat. »[35] Dans une conférence à la Sorbonne le 18 janvier 1994, Jacques Derrida, qui avait apprécié l’essai, déclara que parmi les trois motifs « secondaires » pour lesquels il était « obligé d’objecter », mais sur lesquels il ne s’étendrait pas, figurait : « la référence au Moyen Âge, la rhétorique très subtile d’Alain Minc à ce sujet, une rhétorique dans l’usage de cette référence qui le met sans doute à l’abri de certaines objections d’historiens mais non peut-être de toute objection »[36]. Le philosophe avait oublié que Jacques Le Goff n’avait pas laissé passer et avait pris la suite des réserves de Jacques Delors[37]. Tout en reconnaissant de « l’intérêt » au livre, l’historien déplorait qu’un « esprit de la qualité d’Alain Minc » ne tienne aucun compte des travaux qui, sans en négliger « les ombres et faiblesses », ont largement rectifié l’image unilatérale d’un Moyen Âge « période catastrophique ». Le pire lui paraissait que cette expression ne saisit pas notre époque par un prudent comparatisme mais « ferme […] la compréhension de l’essentiel de ce qu’elle est, et qui est spécifique », car « [r]ecourir à une formule qui est d'autant plus frappante qu'elle est facile et profite de la mode que connaît un Moyen Âge toujours englué dans les ignorances d’antan, c’est remplacer un effort d’analyse original nécessaire à la compréhension de notre temps par un slogan démagogique »[38].
Dans cette polémique, le plus important n’est pas la dénonciation – récurrente[39] – de la reprise de clichés éculés bien qu’invalidés par la science historique, mais la critique du danger intellectuel de recourir à une analogie trompeuse pour analyser l’actuel. En effet, recourir aux formules « nouveau Moyen Âge » et ses apparentées pour qualifier un phénomène ou une situation risque d’entraîner la confusion et d’empêcher la compréhension tant elles charrient de stéréotypes et de représentations[40]. De la même façon, des spécialistes de sciences humaines ont reproché l’usage de termes médiévaux pour parler de sociétés traditionnelles non-occidentales car ce vocabulaire trop marqué ne pouvait que manquer leurs spécificités[41] et d’autres ont expliqué que qualifier de « moyen-âgeux » les exactions et idées des fanatiques islamistes ne pouvaient que passer à côté de leurs réalités[42].
Dans sa première page, Alain Minc rappelait que l’idée d’un « nouveau Moyen Âge » n’était « étrangement pas neuve et Berdiaev se l’était, en son temps, appropriée ». La référence est surprenante car les deux auteurs utilisent la formule pour désigner un changement considérable mais ne lui donnent absolument pas le même sens. Minc redoute ce nouveau Moyen Âge puisqu’il s’attaque à des valeurs qu’il faut défendre – humanisme, raison, héritage des Lumières, état-nation – alors que Berdiaev le désire car il redonnera à l’humanité une société capable de renouer avec le divin en remplaçant ces valeurs néfastes. Minc était plutôt dans la mouvance des études en relations internationales. Un an plus tôt, interrogé sur la chute du bloc communiste, le politologue Pierre Hassner avait donné au « nouveau Moyen Âge » un sens qu’on retrouvera chez beaucoup : une époque chaotique, où la scène d’un monde sans centre est partagée par de multiples acteurs[43]. Mais la formule circulait depuis longtemps dans des exposés académiques. L’initiateur est probablement Arnold Wolfers de l’université de Yale, qui avança en 1962 l’idée d’une « sorte de “new medievalism” » – les guillemets sont de l’auteur – pour mieux saisir les récents changements dans le champ international[44] car, comme à l’époque médiévale, les situations complexes de diverses questions internationales tendent vers un effacement des lignes de démarcation entre politique intérieure et politique étrangère. En 1977, Hedley Bull, titulaire d’une chaire d’études des relations internationales à Oxford, creuse le concept. L’idée de « New Medievalism » n’apparaît que dans la troisième partie – prospective – de The Anarchical Society. Il y examine des « chemins alternatifs à l’ordre mondial », en particulier la fin d’un système fondé sur les états-nations. Il utilise alors le conditionnel et reste prudent : « Si les États modernes devaient partager leur autorité sur leurs citoyens et leur aptitude à commander leurs loyautés, d’une part avec les autorités régionales et mondiales et d’autre part avec des autorités sub-étatiques et sub-nationales à un point tel que le concept de souveraineté cesserait d’être applicable, alors l’on pourrait dire qu’une forme néo-médiévale d’ordre politique a émergé. »[45] Il envisage de dangereuses conséquences – « si cela ressemblait au précédent de la chrétienté occidentale, cela contiendrait plus d’insécurité et de violence continues et ubiquistes qu’il y en a dans le système des États modernes » [46] – non sur le ton de la prophétie mais avec la réserve de l’hypothèse de travail. Un peu plus loin, il décrit cinq caractéristiques de la politique mondiale contemporaine qui tendraient à dessiner la tendance au remplacement du « système des États » par « une réincarnation séculière du système d’autorité entremêlée ou segmentée qui caractérisait la chrétienté médiévale » : « l’intégration régionale des États », « la désintégration des États », « le rétablissement de la violence internationale privée », « les organisations transnationales » et « l’unification technologique du monde » [47].
Décédé en 1985, Hedley Bull n’a pas pu voir le franc succès de son concept, sa reprise et ses applications – mais souvent avec moins de prudence que lui – pour expliquer qu’à la simplicité de la Guerre froide ont succédé la confusion et l’éparpillement des dangers : rôle des mafias, effondrement des États dans certaines parties du monde, origine et fonctionnement de l’Union européenne, etc. Surtout, il n’a pas pu agréer ou contrer ce que certains jugent comme des détournements de sa pensée. Le médiéviste Bruce Holsinger a avancé que les néoconservateurs américains ont utilisé abusivement son « New Medievalism » [48]. Pour eux, les terroristes et les groupes islamistes sont médiévaux car tribaux, sous-développés, barbares, fanatiques et ultra-violents. Les Think Tanks conservateurs, le département d’État et particulièrement Donald Rumsfeld mettent en avant le caractère médiéval de leurs ennemis, moins pour s’insurger contre leur obscurantisme que pour qualifier leur capacité d’intervention transnationale où ils agissent astucieusement à la manière des groupes de maraudeurs du Moyen Âge en embuscade. Ces organisations rejettent l’État et relèvent de ces organisations internationales criminelles qui entraînent le monde dans un scenario néomédiéval semant le chaos. Conséquences : puisque ces ennemis sont dans le Moyen Âge, l’Amérique ne peut les combattre efficacement qu’en abandonnant le droit international et l’État de droit d’aujourd’hui ; recourir contre eux à des moyens que notre époque condamne – « guerre préventive », détention arbitraire, torture, etc. – n’est pas illégitime.
De ce parcours, il apparaît que ces formules médiévales ne sont pas d’anodins tics de langage. Capables de participer à tout et son contraire, parfois outils rhétoriques pour des idées et des groupes opposés, elles se révèlent extrêmement complexes, ambiguës, récupérables et ambivalentes. Leur généalogie trouble et longue les ont affublées de significations et fonctions variées, certaines très persistantes, d’autres moins visibles aujourd’hui, mais qui affleurent toujours et peuvent resurgir. Pourvues de forts ressorts rhétoriques, elles font réagir, elles rassemblent, elles divisent et, à certains moments, elles ont servi de signes de ralliement ou d’identification, voire de slogans.
Eric. J. Hobsbawm constatait que « les historiens de métier […] sont démunis face à ceux qui choisissent de croire au mythe historique »[49]. La prégnance de ces formules en dépit des dénégations des historiens renvoient à leur nature. Elles se sont développées, et ont prospéré, à partir de mythes construits et entretenus sur cette période, et, pour une part, relèvent de cette catégorie. Et s’il existe des usages conscients, volontaires, intentionnels de ces expressions, assurément elles ont acquis une certaine autonomie qui fait qu’elles échappent largement à ceux qui y recourent.
[1] Voir Tommaso Di Carpegna Falconieri, Médiéval et militant. Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015 (1re éd. en italien, 2012).
[2] Définie comme « un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire », in Alice Krieg-Planque, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, p. 7.
[3] Georges Batault, « Le “bolchevisme” et la Suisse », Mercure de France, 16 janvier 1919, p. 356.
[4] Eugène Le Breton, « “Europe, ma patrie !” », L’Ouest-Éclair, 18 mai 1929, p. 1.
[5] Ed. Giscard d’Estaing, « L’ours en cotte bleue », Journal des débats politiques et littéraires, 26 mai 1931, pp. 1-2.
[6] « Il y a dix ans ! », La Provence ouvrière et paysanne, 5 novembre 1927, p. 4.
[7] « C’est une question qui commence à se poser un peu trop souvent à l’attention de nos contemporains. On la retrouve dans la conclusion de presque tous les ouvrages de politique, et il y a déjà longtemps que la littérature s’en est emparée. Mais, cette question si actuelle, on n’aime pas beaucoup l’examiner en elle-même ; on préfère généralement accuser ses adversaires, quels qu’ils soient, de préparer ce moyen âge horrifique et vague, auquel tant de gens croient déjà sans s’en douter », Arnaud Dandieu, « Allons-nous vers un moyen âge », Le Monde nouveau, 15 avril 1925, p. 141.
[8] A.-L. Bittard, « Chronique du vieux-neuf. Fénelon contemporain », Le Radical, 28 septembre 1930, p. 7.
[9] Nicolas Berdiaeff, Un nouveau Moyen Age. Réflexions sur les destinées de la Russie et de l’Europe, Paris, Plon, 1927 (1re éd. à Berlin, en russe, en 1924). Aujourd’hui, l’orthographe « Berdiaev » est plus courante.
[10] Berdiaev admire le vitalisme du fascisme, le voit comme un des signes de l’avènement d’un nouveau Moyen Âge car basé sur le « principe de la force » et le « sursaut vital des groupes sociaux » (ibid., p. 121), mais il le considère comme un concurrent des institutions chrétiennes.
[11] Ibid., p. 97, 141 et 156. Souligné par l’auteur. Pour Berdiaev, le suffrage universel n’exprime pas les aspirations du peuple, mais les agitations provisoires des masses ; la nature du pouvoir fait qu’il s’exerce toujours par quelques-uns, même dans les démocraties représentatives ; la représentation par des unions professionnelles, corporatives, économiques et spirituelles est souhaitable.
[12] Henri Massis, Défense de l’Occident, Paris, Plon, 1927, p. 256.
[13] Maurice Barrès, Les Déracinés, Paris, Fasquelle, 1897, pp. 198-200.
[14] Achille Mestre, « élégie sur un arbre malade », Le Figaro, 31 mai 1926, p. 1.
[15] Albert Kechichian, Les Croix-de-feu à l’âge des fascismes : Travail Famille Patrie, Paris, Champ Vallon, 2006, p. 23.
[16] Philippe Chenaux, Entre Maurras et Maritain. Une génération intellectuelle catholique (1920-1930), Paris, Cerf, 1999, p. 197.
[17] Voir François Perroux, Des mythes hitlériens à l’Europe allemande, Lyon, Bosc Frères, M. & L. Riou, 1935. La section « Nouveau moyen-âge » étudie les conceptions économiques du régime : « Une école préconise le retour délibéré aux formes de production et d’échange pré-capitalistes. Lorsque ces formes régnaient, la communauté nationale était plus unie, la nation démographiquement plus forte et plus indépendante. Un Nouveau Moyen-Age, tel est donc […] le mot d’ordre que lancent quelques économistes […]. A cette tendance se rattache la politique de réagrarisation et de protection de la paysannerie pratiquée par le troisième Reich », François Perroux, Des mythes hitlériens à l’Europe allemande, Paris, Librairie générale de droit et jurisprudence, 1940, pp. 182-183. Cette réédition augmentée de 1940 finira sur la liste Otto.
[18] Joseph Morsel, L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat… Réflexions sur les finalités de l’Histoire du Moyen Âge destinées à une société dans laquelle même les étudiants d’histoire s’interrogent, LAMOP–Paris 1, 2007, pp. 51-52. (http://lamop.univ-paris1.fr/W3/JosephMorsel/Sportdecombat.pdf).
[19] Dans la presse d’exil des antifascistes italiens au lendemain des lois antisémites de 1938 « [t]ous les courants ou presque parlent de retour au moyen-âge, les anarchistes usant d’images en fait comparables », in Éric Vial, « Les antifascistes italiens en exil en France face aux lois antisémites mussoliniennes de 1938 », Cahiers de la Méditerranée, N° 61, 2000, p. 230.
[20] « Retour au Moyen âge », L’Humanité, 15 novembre 1938, p. 4 qui cite le « P. S. » de l’article « Discipline nationale » de Wladimir d’Ormesson, Le Figaro, 13 novembre 1938, p. 1. En juin 1938, le chimiste Harold C. Urey, président de la Fédération de l’université Columbia pour la démocratie et la liberté intellectuelle, accompagne l’appel à des collèges et universités des états-Unis demandant d’accueillir gratuitement des étudiants fuyant les pays totalitaires d’une lettre qui indique qu’ils sont chassés de « pays qui paraissent retourner à un nouveau moyen-âge de l'esprit », « Pour les étudiants chassés par les fascismes », L’Humanité, 19 juin 1938, p. 4. Une pétition de la même organisation déclare : « Such brutality has been unparalled since the Middle Ages », in « Students, Faculty Flay Nazi Terror As 1000 Sign Petition To President », Columbia Daily Spectator, Vol. LXII, n° 34, 15 nov. 1938, p. 1.
[21] Jean-Louis Gagnon, « Politique », Vivre, 16 avril 1935, p. 2. Cinquante ans après, l’auteur décrira son parcours : « Je suis né à droite, maurrassien et nationaliste. La crise économique et la guerre civile d’Espagne m’ont fait basculer à gauche. La dictature du prolétariat et la nature antidémocratique du socialisme m’ont conduit au libéralisme, comme l’ethnocentrisme de tous les nationalismes m’a convaincu que seul le fédéralisme offre […] à tous les hommes, le moyen de vivre dans la dignité et la paix », Jean-Louis Gagnon, Les apostasies. T. I. Les Coqs de village, Montréal, La Presse, 1985, p. 17.
[22] Jacques Maritain, Antimoderne, Paris, édition de la Revue des jeunes, 1922, p. 194.
[23] Jacques Maritain, Primauté du spirituel, Paris, Plon, 1927, cité d’après Œuvres complètes, t. 3, Fribourg éditions universitaires, Paris, éd. Saint-Paul, 1985, pp. 853-854.
[24] Jacques Maritain, « Saint Thomas et l’unité de la culture chrétienne », La vie intellectuelle, oct. 1928, pp. 71-72.
[25] Jacques Maritain, Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle chrétienté, Paris, Fernand Aubier, 1936, pp. 259-260.
[26] Jacques Maritain, « L’impossible antisémitisme », dans Daniel-Rops (éd.), Les Juifs, Paris, Plon, 1937, repris dans Jacques Maritain, L’impossible antisémitisme, Paris, Desclée de Brouwer, 1994, p. 97.
[27] Documents des Archives nationales (AJ 16 7116-7118) cités par Alain Wagneur, Des milliers de places vides, Arles, Actes Sud, 2014, p. 42.
[28] Johann Chapoutot, « Comment meurt un Empire : le nazisme, l’Antiquité et le mythe », Revue historique, 2008/3 (n° 647), pp. 668-669 qui renvoie à « des propos privés d’Hitler rapportés par Goebbels, in Joseph Goebbels, Tagebuch, 8 avril 1941 », donc au début de la campagne de Russie.
[29] Rémi Brague, Le propre de l’homme. Sur une légitimité menacée, Paris, Flammarion, 2013, pp. 35-37, 42.
[30] Ibid., p. 248. Voir aussi Rémi Brague, Modérément moderne, Paris, Flammarion, 2014, p. 10.
[31] Ibid. pp. 186-189.
[32] Evguéni Vodolazkine, Les quatre vies d’Arséni, Paris, Fayard, 2015.
[33] Voir par exemple les articles de Rod Dreher sur le site du bimensuel The American Conservative : « For a New Middle Age », 29 june 2015 (sur Berdiaev) ; « The End of Our Time », 17 nov. 2015 ; « People Need Other Things To Live By », 2 dec. 2015.
[34] Alain Minc, Le nouveau Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1993.
[35] Jacques Delors, « L’avenir invisible », Le Monde, 7 novembre 1993.
[36] Jacques Derrida, « Penser ce qui vient », in René Major (dir.), Derrida pour les temps à venir, Paris, Stock, 2007, pp. 33-34.
[37] Jacques Le Goff, « Les vieux habits du Moyen Age », Le Monde, 20 nov.1993, p. 2. Les inventaires des archives de Jacques Delors mentionnent « Lettre et projet de commentaire de l’historien Jacques Le Goff au sujet de l’article de Jacques Delors et de l’ouvrage d’Alain Minc (07/11) », voir http://archives.eui.eu/en/fonds/240074?item=JD-04.01.06-1807
[38] Avis similaire du médiéviste Pierre Monnet : « A. Minc […] ne voit pas qu’une fausse conception du Moyen Age engage en dernier lieu une fausse conception de la modernité ? », « Conclusions », in Jean Claude Schmitt, Otto Gerhard Oexle, (sous la dir. de), Les tendances actuelles de l’histoire médiévale en France et en Allemagne, Paris, publications de la Sorbonne, 2002, n° 19, p. 630.
[39] Jacques Le Goff (« Les fantasmes de Jacques Attali », Libération, 15 mai 2000) fut plus virulent avec Jacques Attali quand ce dernier utilisa la formule (« La nouvelle économie est par nature anticapitaliste », Libération, 5 mai 2000). L’essayiste répliqua que le « plus grand médiéviste français » avait mal lu son article et jouait au mauvais « douanier » des savoirs et enfonça le clou : « La science française crève de ces ridicules défenses de territoires [...]. On y retrouve là le pire du Moyen Age, celui de la Sorbonne et de ses docteurs rancis, confondant le savoir avec la préservation obstinée des dogmes, envoyant au bûcher tous les vagabonds de la pensée » (« Moyen âge : défense d’entrer », Libération, 23 mai 2000). Pour un usage récent de la formule, voir Jacques Attali, « Un planétaire Moyen âge », L’Express, 7 avril 2014, p. 146.
[40] Ou être utilisé à des fins très éloignées de la pensée de l’auteur. Voir par exemple, pour Minc, le site Colmar régionaliste, qui déclare : « Ce blog ne fait pas de pub mais le livre d’Alain Minc intitulé Le nouveau Moyen âge me semble une bonne analyse de l’évolution de notre monde » avant de peindre de façon très xénophobe l’actualité : http://colmardabord.hautetfort.com/archive/2014/06/30/a-colmar-aussi-le-retour-au-moyen-age-se-fait-sentir-5401675.html et http://colmardabord.hautetfort.com/archive/2014/12/28/2014-l-annee-du-retour-au-moyen-age-5521547.html.
[41] Jean-Pierre Chrétien, « Vocabulaire et concepts tirés de la féodalité occidentale et administration indirecte en Afrique orientale », in Daniel Nordman et Jean-Pierre Raison (éd.), Sciences de l’homme et conquête coloniale, Paris, Presses de l’ENS, 1980, pp. 47-64.
[42] Voir par exemple : John Terry, « L’état islamique, ce n’est pas le Moyen Age », Slate, 5 mars 2015, http://www.slate.fr/story/98557/etat-islamique-daech-moyen-age
[43] « Nous entrons dans un nouveau Moyen âge », entretien avec Pierre Hassner, Le Monde, 27 oct.1992, p. 2.
[44] Arnold Wolfers, Discord and Collaboration: Essays on International Politics, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1962, p. 242.
[45] Hedley Bull, The Anarchical Society. A Study of Order in World Politics, London, McMillan, 1977, pp. 254-255.
[46] Ibid., p. 255.
[47] Ibid., pp. 264-276.
[48] Bruce Holsinger, Neomedievalism, Neoconservatism, and the War on Terror, Chicago, Prickly Paradigm Press, 2007, en particulier pp. 55-79.
[49] Eric J. Hobsbawm, « L’historien entre la quête d’universalité et la quête d’identité », Diogène, oct-déc. 1994, n° 168, pp. 57, 62.