La chute du mur de Berlin et la dissolution des régimes communistes d’Europe ont été perçues comme des césures historiques significatives. Pour certains, ces événements ont marqué la fin d’une ère ; pour d’autres, ils indiquaient même la fin de l’histoire[1]. Si cette seconde affirmation s’est certes révélée fausse, il n’en demeure pas moins qu’on a profondément senti, lors de la dernière décennie du XXe siècle, qu’une époque était révolue et que le moment était venu d’écrire, ou de réécrire, l’histoire récente.
L’Allemagne a été tout particulièrement touchée par ce changement de paradigme à la fois historique et historiographique[2]. La fin de la guerre froide a en effet entraîné un profond chamboulement pour ce pays qui en avait été le premier théâtre : après plus de quarante ans de division, la République démocratique allemande (RDA) de l’Est et la République fédérale d’Allemagne (RFA) de l’Ouest étaient réunifiées au sein d’un même État. L’intégration des 16 millions de citoyens de l’ex-RDA à la démocratie libérale fédérale devenait alors un enjeu national prioritaire. Cette situation inédite a stimulé l’intérêt des sphères publique, politique et académique pour le passé de la RDA.
Dans ce contexte effervescent, l’histoire de l’Allemagne de l’Est a été étudiée et réinterprétée à la lumière du modèle totalitaire. Or, le totalitarisme était critiqué par l’historiographie depuis la fin des années 1960. Son retour après 1989 apparaît donc surprenant et laisse place à des questions. Pour quelles raisons ce concept jugé dépassé a-t-il refait surface ? Par qui a-t-il été remis au goût du jour, et dans quels buts ? En analysant le discours et le vocabulaire des acteurs politiques et des historiens partisans de ce modèle dans la première moitié de la décennie 1990, on comprend que le totalitarisme est alors devenu utile, servant à désigner la RDA communiste comme la représentante de l’échec et du « mal ». Ce récit historique négatif devait discréditer cet État afin de promouvoir une nouvelle identité nationale commune pour l’Allemagne, basée sur la démocratie libérale triomphante. Dans ce contexte, la politique et l’histoire professionnelle se sont l’une et l’autre étroitement influencées.
Le paradigme totalitaire avant 1989
Le paradigme totalitaire avait d’abord connu son heure de gloire au cours des années 1950. La théorie inspirée des travaux d’Hannah Arendt[3] et de Carl Friedrich et Zbigniew Brzezinski[4] selon laquelle les États totalitaires s’approprient de façon monopolistique le contrôle étatique et social était profitable à l’anticommunisme de la jeune guerre froide[5]. En désignant les pays du bloc socialiste comme des dictatures totalitaires – au même titre que l’Allemagne nazie que l’on venait de vaincre et qui avait été le paroxysme du « mal » –, l’Occident libéral liait le fascisme et le communisme au sein d’une même catégorie « antidémocratique ». Cela justifiait que l’on se tourne contre l’ennemi soviétique, qui restait la seule menace totalitaire après 1945[6].
Pour l’Allemagne de l’Ouest, géographiquement placée à l’avant-garde du combat anticommuniste, ce modèle d’explication put représenter une certaine rédemption : en se positionnant contre la seule incarnation encore vivante du totalitarisme, la RFA s’inscrivait du côté du bien et s’insérait dans le bloc démocratique sans avoir à questionner directement son passé nazi[7]. Elle se distinguait du même coup de la RDA socialiste, qui restait dans le camp totalitaire et qui, par ailleurs, n’obtenait aucune reconnaissance de la part du gouvernement ouest-allemand alors mené par la conservatrice Christlich Demokratische Union Deutschlands (CDU, Union chrétienne-démocrate) de Konrad Adenauer. Le vocabulaire utilisé au sujet de l’Est était associé au « mal » totalitaire. Ainsi, en 1961, Adenauer assurait détenir « la preuve irréfutable qu’en dépit de seize années du régime de terreur exercé par les fonctionnaires communistes dans la zone [soviétique], plus de 90 % des Allemands qui y vivent rejettent le régime qui les opprime »[8]. Dans le domaine académique, les quelques études rédigées au sujet de la RDA la décrivaient également selon les termes du totalitarisme[9].
Ce modèle fut cependant mis de côté dans l’étude des États communistes dès la fin des années 1960[10]. La détente internationale entre l’Est et l’Ouest et l’élection d’un gouvernement social-démocrate (SPD, Sozialdemokratische Partei Deutschlands) en RFA contribuèrent à la réorientation du discours que portait l’Allemagne fédérale sur la RDA. Dès son élection en 1969, le SPD de Willy Brandt entreprit en effet une Ostpolitik qui devait favoriser de meilleures relations avec le bloc socialiste[11]. Brandt estimait que « 20 ans après la fondation de la République fédérale d’Allemagne et de la RDA, […] nous devons tenter de coexister et de coopérer de façon cordiale »[12] .Le vocabulaire utilisé par Brandt au sujet de l’Allemagne de l’Est était ainsi bien différent de celui d’Adenauer.
Mais ce n’est pas tout ce qui explique le rejet des thèses totalitaires, un phénomène qui se percevait d’ailleurs dans le monde académique occidental en général. L’opposition à l’impérialisme américain dans les cercles intellectuels de la New Left, l’essor des sciences sociales structuralistes et la conscience grandissante de l’exceptionnalité des crimes nazis stimulèrent l’abandon du totalitarisme[13]. On jugeait ce concept trop statique pour témoigner des dynamiques sociales et politiques, et ce même au sein de régimes dictatoriaux[14]. En RFA, plusieurs chercheurs remirent ainsi en question l’utilisation des mots « totalitaire » et « dictature » pour traiter de la RDA[15], leur préférant des thèses structurelles traitant d’un processus d’industrialisation et de modernisation alternative. Des historiens issus de ce courant, tels que Jürgen Kocka, Peter Christian Ludz et Gert-Joachim Glaessner, obtinrent une grande visibilité dans la sphère académique[16]. Bien sûr, d’autres chercheurs poursuivirent des analyses totalitaires, mais ce modèle ne fut plus dominant.
1989 : une histoire à réécrire
La recherche sur la RDA demeurait néanmoins peu populaire avant 1989, puisqu’il était difficile d’accéder aux archives de l’Allemagne de l’Est[17]. Cette situation se transforme cependant rapidement après l’ouverture du mur de Berlin. Un fort engouement pour l’histoire est-allemande se répand alors qu’on juge nécessaire de revoir le paradigme qui avait dominé l’historiographie depuis la fin des années 1960[18].
Les études socio-structurelles produites entre 1970 et 1989 présentaient généralement la RDA comme l’État socialiste le plus stable et le plus économiquement fructueux[19]. Les événements de 1989 semblent pourtant prouver le contraire : entre le 1er janvier et le 9 novembre, plus de 225 000 Allemands de l’Est fuient la RDA, et des manifestations illégales envahissent dès septembre les rues du pays[20]. Des centaines de milliers de citoyens réclament l’ouverture des frontières, un pluralisme démocratique et l’accès à de meilleures conditions socio-économiques[21]. Le Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED, Parti socialiste unifié) tente d’abord d’ignorer la colère des manifestants ou de la réprimer violemment. Abandonné par Moscou qui refuse d’intervenir en Allemagne de l’Est, le parti n’arrive toutefois pas à assurer son pouvoir et le maintien de l’État[22]. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’ouvre et, rapidement, plusieurs citoyens de l’Est revendiquent la réunification de l’Allemagne.
On comprend alors que le régime communiste est-allemand n’était pas aussi stable qu’on l’avait cru. Par ailleurs, les problèmes économiques de la RDA éclatent au grand jour[23], ce qui contredit encore une fois les analyses des années 1970 et 1980. Les historiens structuralistes de la RFA sont dès lors accusés d’avoir été complaisants envers le SED et de ne pas avoir prévu l’échec de l’État socialiste. Le juriste Jens Hacker, par exemple, soutient qu’en produisant des thèses erronées sur la stabilité de la RDA, ces chercheurs ont été les « apologistes et les complices du régime du SED à l’Ouest »[24]. Des historiens conservateurs formulent également ce genre d’accusations : Klaus Schröder et Jochen Staadt dénoncent « l’aveuglement et la complaisance d’une génération de chercheurs de gauche » [25] tandis que Klaus Hornung leur reproche d’avoir fermé les yeux sur la réalité[26]. L’histoire socio-structurelle s’en trouvera discréditée pendant quelques années, et le récit sur la RDA révisé.
Intégrer le passé est-allemand dans le récit national
Cette réécriture apparaît d’autant plus nécessaire que le régime ouest-allemand, alors mené par la CDU du chancelier Helmut Kohl, cherche à acquérir une légitimité auprès des citoyens de l’ex-RDA. Il importe en effet d’éduquer rapidement les Allemands de l’Est à la démocratie fédérale, puisque la réunification allemande se fait sous la forme d’une intégration sans qu’une nouvelle constitution ne soit produite ou que les structures de l’Ouest ne soient adaptées[27].
L’une des stratégies adoptées à cette fin sera de délégitimer la RDA afin de prouver la supériorité du modèle libéral occidental. Des politiciens de l’Ouest, mais également des députés issus des rares milieux dissidents anticommunistes de l’Est, promeuvent en ce sens un récit au sein duquel la RDA est l’incarnation du mal et de l’échec, en opposition avec la République fédérale représentant la liberté et le succès. On répète qu’alors que la RFA a su devenir un État de droit, l’Allemagne de l’Est est restée après 1945 un Unrechtsstaat, un « État de non-droit » répressif[28]. Les discours officiels de la coalition gouvernementale conservatrice-libérale mobilisent particulièrement ces termes. Par exemple, le chancelier Kohl célèbre la population est-allemande qui « a brisé les chaînes d’un régime d’injustice (Unrechtsstaat) par la voie d’une révolution pacifique »[29] . Porteuse du Recht, la RFA a le devoir d’indiquer le bon « chemin vers la justice […]. Elle doit offrir les bonnes réponses aux questions concernant les causes et les conséquences de l’État de non-droit du SED, ce qui permettra la réhabilitation de ses victimes »[30]. Cela justifie notamment que les institutions, les manières et le personnel de l’Ouest soient imposés à l’Est lors du processus de réunification[31].
Ce récit sur l’Allemagne de l’Est « mauvaise » et « injuste » met en scène des personnages divisés en trois groupes : les héros, les victimes et les vilains[32]. Tout au long de la décennie 1990, on catégorise donc les citoyens de l’ex-RDA, leur attribuant une identité unique parmi ces trois possibilités. L’un des principaux vilains de ce discours négatif est la Stasi. La police politique secrète de l’Allemagne de l’Est est désignée comme l’incarnation suprême du mal qui gangrénait la RDA, une image sans doute stimulée par l’ouverture publique de ses archives décrétée par le Bundestag en janvier 1992[33]. L’objectif de la Loi sur les Archives de la Stasi est clair, il s’agit « d’assurer et promouvoir l’élucidation (Aufarbeitung) historique, politique et juridique des activités de la police d’État est-allemande » [34]. Joachim Gauck, qui est nommé à la tête de l’organisation chargée de la gestion et de la diffusion de ces documents, déclare qu’avec « l’aide de ces dossiers, les historiens seront capables de décrire le véritable processus de domination » qu’avait bâti le SED[35]. Dès le début de l’année 1992, les médias font par ailleurs leurs choux gras des révélations contenues dans ces archives, que l’on accepte de facto comme véridiques[36]. On estime donc pouvoir trouver dans ces documents une vérité historique sur la RDA et également pouvoir y identifier les individus complices du « mal ». À ce moment, l’histoire de l’Allemagne de l’Est semble se résumer à la Stasi.
C’est dans ce contexte que les termes du totalitarisme refont surface. Le discours au sujet de la RDA rappelle alors celui des années 1950. En comparaison avec le modèle libéral désigné comme étant supérieur, l’Allemagne socialiste est peinte en termes négatifs à l’aide d’expressions associées au mal, à la terreur et à la violence[37]. Les mots « totalitaire » et « totalitarisme » apparaissent ainsi de façon répétée dans la presse[38]. On utilise également ces concepts dans la sphère politique, comme en témoigne le discours d’Helmut Kohl devant le Conseil américain sur l’Allemagne en juin 1990. Kohl assure alors à ses auditeurs qu’une « économie de marché qui a fait ses preuves remplacera désormais l’économie planifiée qui avait été imposée par un régime totalitaire en RDA » et que plus jamais son pays ne sombrera dans une dérive dictatoriale. Il insiste : « les extrémistes de droite ou de gauche n’y auront plus aucune chance » [39].
Cette dernière affirmation montre que, comme au début de la guerre froide, l’État socialiste est associé et comparé au IIIe Reich. On omet d’abord de faire une césure entre les périodes nazie et socialiste, liant ainsi les deux régimes au sein d’une dictature ayant duré près de soixante ans[40]. Joachim Gauck indique en ce sens que la restructuration des organes politiques dans l’est de l’Allemagne est nécessaire, puisque « depuis 1933, l’administration publique, le gouvernement et le parlement y ont été largement compromis par l’action d’individus ayant collaboré avec des dirigeants anti-démocratiques »[41]. L'ancien rédacteur du Spiegel Wolfgang Malanowski écrit quant à lui qu’en 1945 les « Allemands de l’Est ont été sauvés d’une dictature pour être placés sous une autre »[42] .
L’association entre le nazisme et le communisme se perçoit également par la comparaison que l’on fait entre la démocratisation des Allemands de l’Est après 1989 et celle des Allemands de l’Ouest en 1945. La façon dont le passé nazi a été traité doit servir d’outil pour la rééducation des citoyens de l’ex-RDA ; on doit notamment éviter les erreurs de la dénazification des premières années de la RFA, alors qu’on refusait de parler des crimes hitlériens[43]. L’intégration de l’Est dans la République fédérale représente une sorte de deuxième chance pour la gestion du passé « totalitaire » de l’Allemagne.
Il s’agit d’un sujet particulièrement discuté à la commission d’enquête Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland qui s’ouvre en mai 1992. Commandée par le Bundestag, cette commission publique se veut un « projet politico-historique » qui favorisera « l’unité intérieure » de l’Allemagne[44]. Son président, le député de la CDU et ancien dissident est-allemand Rainer Eppelmann, expose ses objectifs : « on y préviendra le développement d’une nostalgie malsaine de la RDA et renforcera la légitimité de la République fédérale »[45] . Il s’agit de développer une identité politique commune pour l’Allemagne réunifiée en insistant sur la supériorité du modèle occidental, dans un processus « d’évaluation politique morale »[46] . De ce fait, « au moins pour la majorité anticommuniste siégeant sur la commission, l’objectif [n’est pas] de seulement comprendre la RDA et ses citoyens, mais bien de les juger en fonction de critères explicitement libéraux-démocratiques »[47] .
Le modèle totalitaire est privilégié lors des travaux de la commission pour caractériser la RDA, avec des termes tels que « État illégal », « régime illégitime », « règne de la violence » et « dictature ».[48] Une séance entière est par ailleurs dédiée à la comparaison des régimes nazi et socialiste et Rainer Eppelmann, avant même que les discussions n’y commencent, conclut que « les deux dictatures sont absolument comparables parce qu’elles étaient toutes deux totalitaires »[49] . Dans le rapport final de la commission en mai 1994, on justifie l’utilisation de ce paradigme en soutenant que la « dictature du SED, comme celle des nazis, correspondait à un système idéologique qui assujettissait l’individu et la société, qui permettait à un groupe restreint de revendiquer le contrôle total et le monopole politique » [50]. Il est à souligner que les termes « totalitaire » et « totalitarisme » apparaissent plus d’une quarantaine de fois dans ce rapport. C’est le cas, notamment, lorsque l’on explique que la commission a prouvé que la démocratie de la nouvelle Allemagne devait être fondée sur un « consensus antitotalitaire »[51] , un terme qu’avait déjà utilisé Eppelmann lors de l’ouverture des discussions en 1992[52]. Les conclusions que l’on cherchait depuis le début sont donc atteintes.
Relire l’historiographie
La commission d’enquête de 1992-1994 n’est pas que le fait de parlementaires et d’anciens dissidents de la RDA. Des experts, dont plusieurs historiens, y sont également invités par les différents partis[53] et 750 mémoires académiques y sont déposés[54]. Sans affirmer que le politique et l’histoire professionnelle se sont complètement enchevêtrés au début des années 1990, il apparaît que « les interprétations produites au sujet de l’histoire est-allemande ne sont pas restées “purement académiques” » [55].
Les questions et termes initiaux de la commission, essentiellement orientés vers les aspects politiques et oppressifs de la RDA[56], favorisent l’exposition de thèses présentant l’histoire est-allemande « par le haut ». C’est une position que défendent Alexander Fischer, Manfred Wilke, Klaus Hornung et Horst Möller[57]. Lors de la séance consacrée à la comparaison des deux dictatures allemandes, Möller plaide pour l’analyse des régimes nazi et communiste en fonction du modèle totalitaire, affirmant que les distinctions qui ont été identifiées par l’histoire sociale entre ces deux systèmes ne sont que « des suppositions, des construits de l’esprit ». Son vis-à-vis Jürgen Kocka doit quant à lui exposer un avis contraire. Or, Kocka, historien pourtant issu de l’école structuraliste, présente également une approche qui considère le politique comme la sphère déterminante de l’histoire est-allemande : son concept de « dictature moderne » nuance le totalitarisme sans toutefois nier la puissance de l’État. Comme le souligne Klaus Hornung, également présent à la séance, le modèle de Kocka n’empêche en rien « d’arriver à un consensus » autour de l’idée du totalitarisme[58].
La demande d’histoire produite par la commission d’enquête profite ainsi à une vision de la RDA orientée autour de l’idée du « mal » totalitaire. La fascination du public, son « obsession presque macabre […] pour les outils de coercition et de surveillance du régime est-allemand »[59] , stimule également la production historique sur les aspects répressifs de l’État socialiste[60]. Un véritable enthousiasme saisit les chercheurs, plusieurs n’ayant jusque-là porté que très peu attention à l’Allemagne de l’Est. L’opportunité de rejoindre un large lectorat, de travailler avec les archives nouvellement ouvertes de la Stasi et de recevoir du financement stimule l’intérêt des historiens pour les structures du pouvoir est-allemand, la comparaison du régime communiste avec le IIIe Reich et la Stasi[61].
Bien sûr, l’histoire sociale ne disparaît pas, mais la visibilité va alors au modèle totalitaire, et ce pendant près d’une décennie. Des fonds importants sont investis dans la recherche sur la RDA et sont surtout octroyés aux chercheurs et instituts s’intéressant aux aspects politiques de l’histoire est-allemande[62]. Ce financement, public et privé, encourage directement l’utilisation des termes du totalitarisme dans la recherche académique[63].
Des historiens tels que Horst Möller, Klaus Hornung, Manfred Wilke, Hans-Peter Schwarz, Jochen Staadt et Klaus Schröder profitent de cette conjoncture. Schröder sera l’un des plus ardents défenseurs du modèle totalitaire dans la décennie 1990. Il soutient notamment que « la RDA peut être décrite comme […] un État totalitaire ou “totalitaire tardif (late-totalitarian)” » [64]. Avec son collègue Jochen Staadt, Schröder écrit également que la RDA était « une dictature […] qui a assuré sa survie pendant quarante ans grâce à la terreur qu’elle exerçait contre sa propre population »[65]. Hans-Peter Schwarz estime quant à lui que l’Allemagne de l’Est n’était qu’un « énorme camp de concentration »[66] . Manfred Wilke, enfin, ouvre le recueil qu’il dirige en 1998 en écrivant que le communisme doit être compris en fonction de « ses structures et de son caractère totalitaires » [67].
Certains de ces chercheurs participent aux travaux de nouveaux instituts créés pour étudier l’histoire politico-totalitaire de la RDA. À la Freie Universität de Berlin, Manfred Wilke, Klaus Schröder et Jochen Staadt fondent le Centre de recherche sur l’État-SED. À Dresde, Alexander Fischer dirige quant à lui l’Institut Hannah Arendt pour l’étude du totalitarisme. Enfin, l’Institut d’histoire contemporaine, dont le directeur est Horst Möller, s’intéresse alors tout particulièrement à l’application du modèle totalitaire sur la RDA. On y juge qu’un « recours critique à la théorie du totalitarisme est indispensable »[68].
En fait, même les instituts et les chercheurs qui critiquent le modèle totalitaire se tournent vers l’étude du système politique et de l’oppression étatique dans l’ex-RDA, laissant dans l’ombre la société. C’est le cas notamment du Centre de recherche sur l’histoire contemporaine de Postdam, sous la direction de Jürgen Kocka[69]. La prédominance du totalitarisme dans le discours public et académique ainsi que l’utilisation des archives politiques de la RDA poussent les historiens qui n’adhèrent pas nécessairement à ce modèle à s’y confronter néanmoins. Nous avons déjà vu que Kocka propose une « dictature moderne » comme nuance pour ce paradigme. La sociologue Sigrid Meuschel, qui critique également le totalitarisme lors de la commission d’enquête, plaide quant à elle pour un modèle moins statique, mais en reprend les termes dans ses études[70]. Eckard Jesse mélange de son côté les mots « autoritarisme » et « totalitarisme » pour proposer un modèle « autolitaire »[71] . Konrad Jarausch, enfin, publie un recueil en 1999 dont l’objectif est précisément de trouver des alternatives à ce concept[72].
Problèmes et limites du modèle totalitaire
Dans les années suivant la réunification allemande, on a donc produit et diffusé une histoire de la RDA claire et simple, présentant les Allemands de l’Est en tant que victimes, héros ou vilains et délégitimant l’ensemble du modèle socialiste. Les aspects positifs de l’Allemagne de l’Est, par exemple l’accès à un réseau de crèches publiques, l’intégration des femmes sur le marché du travail, l’antifascisme répandu et les relations interpersonnelles significatives qu’avaient pu y développer les citoyens s’en trouvaient également discrédités. On ne faisait d’ailleurs aucune distinction entre le régime du SED et le pays en soi : en appelant la RDA « l’État-SED », l’attachement qu’avaient pu ressentir les Allemands de l’Est envers leur communauté ou leur région ne pouvait avoir aucune connotation mémorielle positive[73]. L’ensemble de la RDA et de l’expérience qu’y avaient vécue les citoyens était dominé par le « mal » totalitaire dont ils avaient été complices ou victimes.
Or, une importante partie des Allemands de l’Est ne se reconnaissent pas dans cette description[74]. L’approche totalitaire est ainsi problématique car elle ne permet pas de saisir la complexité et les dynamiques de la RDA et de la vie de ses citoyens. La façon dont on a utilisé les archives de la Stasi a certainement contribué à ce portrait unidimensionnel simpliste du passé est-allemand : enthousiastes, on a voulu y trouver rapidement une vérité, mais « l’interprétation de ces dossiers de surveillance a donné naissance à une vision policière réductrice de la RDA, entièrement dissociée de son projet de société et de son histoire sociale, privant de sens des vies entières »[75] . Ces documents rédigés par les dirigeants du parti et de la police secrète témoignaient de leurs intentions, certes, mais pas de l’application concrète de ces projets. Considérer ces archives comme représentantes de la réalité est-allemande est une erreur[76].
Enfin, si le totalitarisme, qui « confond la forme ou la structure des systèmes politiques avec leur contenu et réalité »[77] , a servi dans l’Allemagne nouvellement réunifiée une histoire publique politico-morale mettant en lumière les fautes du SED[78], il a engendré une relativisation problématique des crimes nazis. Certains observateurs ont en effet passé sous silence les distinctions à faire entre les deux dictatures allemandes afin de mieux mettre en évidence le mal communiste, affirmant par exemple que « l’oppression en Allemagne de l’Est était bien plus tangible que sous le national-socialisme, car les communistes n’avaient aucune légitimité » [79].
Conclusion
En réduisant l’histoire est-allemande au totalitarisme et au mal, les dirigeants de l’Allemagne réunifiée souhaitaient établir une unité nationale basée sur un consensus antitotalitaire. Une deuxième commission d’enquête sur le SED, suivant des prémisses semblables à la première, a par ailleurs été organisée entre 1995 et 1998 afin de poursuivre ce travail public sur le passé de l’Allemagne de l’Est. Or, s’il est bien sûr nécessaire de traiter des aspects répressifs du socialisme est-allemand et s’il est vrai que la comparaison entre le communisme et le fascisme peut se révéler utile, le concept totalitaire ne rend pas justice à l’histoire de la RDA qu’il ne met guère en lumière. Son utilisation, tant académique que publique, laisse dans l’ombre des aspects essentiels de la vie en Allemagne de l’Est et nie l’expérience de millions d’individus qui ont à la fois eu conscience d’évoluer dans un État autoritaire et tenté – voire réussi – d'y vivre des vies significatives[80].
Aujourd’hui, la sphère académique considère généralement le totalitarisme dépassé. Dans l’historiographie de la RDA, ce modèle s’est estompé au profit d’une approche socioculturelle. La question du retour des termes du totalitarisme dans l’Allemagne d’après 1989 mérite néanmoins d’être étudiée. Elle informe en effet sur le processus de réunification allemande et sur la construction des récits nationaux, rappelant par ailleurs que l’histoire s’écrit toujours dans l’actualité.
[1] Voir Eric Hobsbawm, L’âge des extrêmes, Bruxelles, Complexe, 1999 et Francis Fukuyama et Denis Canal, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.
[2] Enzo Traverso, L’histoire comme champ de bataille, Paris, La Découverte, 2011, p. 5.
[3] Hannah Arendt, La nature du totalitarisme, Paris, Payot, 1990, p. 77.
[4] Carl Friedrich et Zbigniew Brzezinski, Totalitarian Dictatorship and Autocracy, Cambridge, Harvard University Press, 1956.
[5] Friedrich et Brzezinski décrivent les régimes totalitaires par six caractéristiques : idéologie officielle, domination d’un parti unique, terreur, contrôle de l’information, monopole des forces armées et économie planifiée. On identifie alors ces critères chez les États fascistes et communistes.
[6] Enzo Traverso, Le totalitarisme, Paris, Seuil, 2001, p. 51.
[7] Jean Solchany, Comprendre le nazisme dans l’Allemagne des années zéro, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 303.
[8] Konrad Adenauer, « Déclaration du 18 août 1961 », dans A. Molter, Berlin : 1944-1962, Paris, Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, 1962, p. 46. Nous soulignons.
[9] Par exemple Max G. Lange, Totalitäre Erziehung, Francfort-sur-le-Main, Verlag der Frankfurter Hefte, 1954. La recherche sur le IIIe Reich s’inscrivait également dans ce paradigme.
[10] La recherche sur le nazisme adopte alors aussi une approche fonctionnaliste. Voir Martin Broszat, Der Staat Hitlers, Munich, Deutscher Taschenbuch, 1969.
[11] Corey Ross, The East German Dictatorship, London, Arnold, 2002, p. 9.
[12] Willy Brandt, « Verhandlungen des deutschen Bundestages, 28. Oktober 1969 », Hrsg. Deutscher Bundestag und Bundesrat, 1970/1971, pp. 20-34.
[13] Enzo Traverso, Le totalitarisme, op. cit., pp. 71-74.
[14] Herbert Spiro et Benjamin Barber, « Counter-Ideological Uses of “Totalitarianism” », Politics and Society, n° 1, 1970, p. 21.
[15] Jay Rowell, « L’étonnant retour du totalitarisme », Politix, n° 47, 1999, pp. 131-132.
[16] Corey Ross, The East German…, op. cit., pp. 12-13.
[17] Catherine Epstein, « East Germany and Its History since 1989 », The Journal of Modern History, n° 3, 2003, p. 635.
[18] Reinhard Alter et Peter Monteath, Rewriting the German Past, New Jersey, Humanities Press, 1997, p. 17.
[19] Hermann Weber, cité dans Deutscher Bundestag, Materialien der Enquete-Kommission « Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland », Baden Baden, Suhrkamp, 1995, vol. IX, pp. 605-606.
[20] Albert Hirschman, Un certain penchant à l’autosubversion, Paris, Fayard, 1995, p. 45.
[21] Stefan et Inge Heym, « Flüchtlingsgespräche », in Stefan Heym et Werner Heiduczek, Die sanfte Revolution, Leipzig, Gustav Kiepenheuer, 1990, pp. 52-78.
[22] Ehrhart Neubert, Geschichte der Opposition in der DDR 1949-1989, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 2000, pp. 770-771.
[23] Marc-Dietrich Ohse, « Wir sind ein Volk! », dans Klaus-Dietmar Henke, Revolution und Vereinigung 1989/90, Munich, Deutscher Taschenbuch, 2009, p. 273.
[24] Jens Hacker, cité dans Konrad Jarausch, « Normalization or Renationalization », dans Reinhard Alter et Peter Monteath, Rewriting the German…, op. cit., p. 30.
[25] Jay Rowell, « L’étonnant retour… », op. cit., p. 133.
[26] Klaus Hornung, dans Deutscher Bundestag, Materialien der Enquete-Kommission, op. cit., pp. 605-606.
[27] Jean Solchany, L’Allemagne au XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 462.
[28] Konrad Jarausch, Hinrich Seeba et David Conradt, « The Presence of the Past », dans Konrad Jarausch, After Unity, Providence, Berghahn Books, 1997, p. 54.
[29] Helmut Kohl, « Déclaration lors de la signature du traité d’Union monétaire, économique et sociale entre la RFA et la RDA (18 mai 1990) », dans L’unification de l’Allemagne en 1990, Bonn, Office de presse et d’information du gouvernement fédéral, avril 1991. URL : http://www.cvce.eu/content/publication /2002/3/4/f78c7dce-89cd-460f-b0d2-0eb354a28521/publishable_fr.pdf
[30] CDU/CSU, FDP Fraktionen, cités dans Petra Bock, « Von der Tribunal-Idee zur Enquete-Kommission », Deutschland Archiv, n° 28, 1995, p. 1179.
[31] Jennifer Yoder, From East Germans to Germans?, Durham, Duke University Press, 1999, p. 98.
[32] Mary Fulbrook, « Reckoning with the Past : Heroes, Victims and Villians in the history of the GDR », dans Reinhard Alter et Peter Monteath, Rewriting the German…, op. cit., p. 175.
[33] Les archives politiques sont habituellement classifiées pendant trente ans en Allemagne ; la décision d’ouvrir immédiatement les documents de la Stasi avait été prise à l’origine par le premier – et dernier – gouvernement démocratique de la RDA en 1990. Joachim Gauck, « Dealing with a Stasi Past », Daedalus, n° 1, 1994, p. 279.
[34] Bundesregierung, « Stasi-Unterlagen-Gesetz - StUG », 20 décembre 1991. URL : http://www.bstu. bund.de/SharedDocs/Downloads/DE/stug_8-novellierung.pdf%3F__blob%3DpublicationFile
[35] Joachim Gauck, « Dealing with… », op. cit., p. 280.
[36] Des journaux publient de façon quasi quotidienne, au début de 1992, des découvertes faites dans les archives de la Stasi. Voir par exemple le Frankfurter Allgemeine Zeitung entre le 2 janvier et le 15 janvier 1992. Également Christian Ditfurth, « Angst vor den Akten », Der Spiegel, 24 août 1992.
[37] Andrew Beattie, Playing Politics with History, New York, Berghahn Books, 2008, p. 2.
[38] Voir par exemple Frank Schirrmacher, « Dem Druck des härteren, strengeren Lebens standhalten », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 juin 1990, cité dans Karl Deiritz et Hannes Krauss, Der Deutsch-deutsche Literaturstreit, Hamburg, Luchterhand, 1991, pp. 127-129, et Gisela Friedrichsen, « Fegefeuer der Vergangenheiten », Der Spiegel, 17 février 1992.
[39] Helmut Kohl, « Rede über ein geeintes Deutschland in einem geeinten Europa (Juni 1990) », dans Bulletin des Presse- und Informationsamtes der Bundesregierung, Bonn, Deutscher Verlag, 13 juin 1990.
[40] Jay Rowell, « L’étonnant retour… », op. cit., p. 137.
[41] Joachim Gauck, « Dealing with… », op. cit., p. 279.
[42] Wolfgang Malanowski, « Die Partei war unser Leben », Der Spiegel, 1er février 1990.
[43] « Kein Verbrechen ohne Schuld », Der Spiegel, 23 décembre 1991.
[44] Rainer Eppelmann, in Deutscher Bundestag, Materialien der Enquete-Kommission, op. cit., vol. I, pp. VII-X.
[45] Rainer Eppelmann, cité dans Petra Bock, « Von der Tribunal… », op. cit., p. 1 180.
[46] Hermann Weber, « Rewriting the History of the GDR », dans Reinhard Alter et Peter Monteath, Rewriting the German…, op. cit., p. 203.
[47] Andrew Beattie, Playing Politics…, op. cit., p. 6.
[48] Ibid., p. 199.
[49] Rainer Eppelmann, in Deutscher Bundestag, Materialien der Enquete-Kommission, op. cit., vol. IX, p. 575.
[50] Cité dans Andrew Beattie, Playing Politics…, op. cit., p. 203.
[51] Deutscher Bundestag, Bericht der Enquete-Kommission « Aufarbeitung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland », Bonn, Bundesanzeiger Verlagsgesellschaft, 1994, p. 280.
[52] Rainer Eppelmann, cité dans Petra Bock, « Von der Tribunal… », op. cit., p. 1 180.
[53] Ibid., p. 1 182.
[54] Jennifer Yoder, « Truth Without Reconciliation », German Politics, n° 3, 1999, p. 72.
[55] Mary Fulbrook, « Reckoning with… », op. cit., p. 175.
[56] Voir les Anträge des différents partis dans Deutscher Bundestag, Materialien der Enquete-Kommission, vol. I, pp. 3-24.
[57] Bernd Zielinski, « Les controverses en Allemagne unifiée sur la nature du régime de la RDA », dans Bernd Zielinski et Brigitte Krulic, Vingt ans d’unification allemande, Bern, Peter Lang, 2010, p. 203.
[58] Les citations précédentes proviennent de Deutscher Bundestag, Materialien der Enquete-Kommission, op. cit., vol. IX, pp. 579-603.
[59] Reinhard Alter et Peter Monteath, Rewriting the German…, op. cit., p. 17.
[60] Jay Rowell, « L’étonnant retour... », op. cit., p. 133.
[61] Hermann Weber, « Zum Stand der Forschung über die DDR-Geschichte », Deutschland Archiv, n° 2, 1998, p. 254 et Anna-Sabine Ernst, « Between “Investigative History” and Solid Research », Central European History, n° 3, 1995, p. 377.
[62] Konrad Jarausch, « The German Democratic Republic as History in United Germany », German Politics and Society, n° 2, 1997, p. 41.
[63] Jay Rowell, « L’étonnant retour… », op. cit., p. 134.
[64] Klaus Schröder, Der SED-Staat, Munich, Hanser-Verlag, p. XVI.
[65] Cités dans Corey Ross, The East German…, op. cit., p. 16.
[66] Ibid. Des historiens de l’ex-RDA ayant souffert de la censure du régime proposent également des thèses semblables : c’est le cas de Stefan Wolle et Armin Mitter.
[67] Manfred Wilke, Anatomie der Parteizentrale, Berlin, De Gruyter, 1998, p. 13.
[68] Horst Möller et Hartmut Mehringer, cités dans Anna-Sabine Ernst, « Between “Investigating History”… », op. cit., pp. 390-391.
[69] Bernd Zielinski, « Les controverses en Allemagne… », op. cit., pp. 203-204.
[70] Sigrid Meuschel, « The Other German Dictatorship : Totalitarianism and Modernization in the German Democratic Republic », Thesis Eleven, n° 1, novembre 2000, pp. 53-62.
[71] Corey Ross, The East German…, op. cit., pp. 24-25.
[72] Konrad Jarausch, « Beyond Uniformity », in Konrad Jarausch, Dictatorship as Experience, New York, Berghahn Books, 1999, p. 6.
[73] Andrew Beattie, Playing Politics…, op. cit., p. 36.
[74] Mary Fulbrook, The People’s State, New Haven, Yale University Press, 2005, p. 10.
[75] Sonia Combe, « Les archives dans les guerres de mémoires », Hermès, n° 3, 2008, p. 65.
[76] Pierre Jardin, « Nouvelles archives, nouvelle histoire? », dans Sonia Combe, Archives et histoire dans les sociétés communistes, Paris, La Découverte, 2009, p. 140.
[77] Corey Ross, The East German…, op. cit., p. 33.
[78] Mary Fulbrook, « Reckoning with… », op. cit., p. 177.
[79] Rudolf Wassermann, cité dans A. James McAdams, Judging the Past in Unified Germany, New York, Cambridge University Press, p. 26.
[80] Jan Palmowski, Inventing a Socialist Nation, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.