N°5 / La démocratie à l’épreuve de l’« état d’exception »

Biopolitique et état d’exception

Louis Carré

Résumé

Les travaux de Giorgio Agamben sont aujourd’hui incontournables s’agissant de réfléchir aux enjeux soulevés par les situations d’état d’exception dans les démocraties contemporaines. De manière assez surprenante, ils contiennent une importante référence au thème foucaldien de la « biopolitique ». À partir d’Agamben et de Foucault, il s’agira dans cet article de prendre au sérieux l’hypothèse suivant laquelle une forme d’exception est en jeu dans la biopolitique. En confrontant la « bio-souveraineté » d’Agamben à la biopolitique de Foucault, ce sont finalement deux régimes d’exception liés au biopouvoir qui se dessinent. Si elles ont en commun de suspendre leur rapport à la loi et au droit, la biopolitique souveraine et la biopolitique gouvernementale le font sous des modalités différentes qui posent des défis spécifiques aux démocraties contemporaines.

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Les travaux du philosophe italien Giorgio Agamben sont aujourd’hui incontournables s’agissant de réfléchir aux enjeux soulevés par l’état d’exception dans les démocraties contemporaines. L’une des thèses centrales défendues par Agamben consiste en effet à voir dans l’état d’exception non pas un simple écart passager par rapport aux normes juridiques existantes et à l’État de droit, mais au contraire « la structure politico-juridique originaire » sur laquelle repose depuis toujours les formes du pouvoir politique en Occident[1]. Cette thèse, il la développe notamment à partir de la polémique qui opposa naguère Carl Schmitt et Walter Benjamin[2]. De la polémique entre le juriste sérieusement compromis avec le régime nazi et le philosophe victime de sa barbarie, Agamben tire deux leçons en vue d’analyser la fonction centrale qu’occupe l’état d’exception au sein du dispositif politico-juridique du pouvoir. Il reprend tout d’abord à Schmitt sa fameuse définition de la souveraineté selon laquelle « est souverain celui qui décide de l’état d’exception ». Pour Schmitt comme pour Agamben, le pouvoir de décider ce qui relève (ou non) de l’état d’exception et de suspendre en conséquence l’État de droit au nom de la préservation de l’ordre juridico-politique est ce qui caractérise en propre le souverain. La reprise de la définition schmittienne de la souveraineté est ensuite immédiatement contrebalancée par Agamben lorsqu’il adopte le diagnostic posé par Benjamin dans ses Thèses sur le concept d’histoire suivant lequel « “l’état d’exception” est à présent la règle ». En combinant la définition schmittienne de la souveraineté et le diagnostic benjaminien sur la normalisation de l’exception, le philosophe italien nous invite à réfléchir sur les situations politiques – comme celle qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 et les mesures anti-terroristes prises dans la foulée par bon nombre de gouvernements – où le caractère exceptionnel de la suspension de l’État de droit tend à devenir la norme.

À côté des références à Schmitt et à Benjamin, Agamben mobilise un autre auteur qui semble pourtant à première vue étranger à la problématique de l’état d’exception : Michel Foucault. Agamben présente son entreprise philosophique comme une manière de poursuivre les travaux de Foucault tout en leur apportant un certain nombre de correctifs et d’inflexions (à l’aide notamment des thèses de Schmitt et de Benjamin sur l’état d’exception). D’après lui, l’un des objets des recherches de Foucault aura été d’établir une analyse de la façon dont le pouvoir en Occident touche à la vie même des individus. Un tel « biopouvoir » s’étend du droit de vie et de mort absolu dont bénéficie le souverain sur ses sujets depuis l’âge classique jusqu’aux politiques eugénistes et de régulation des populations menées au siècle dernier. Au sein de ce « biopouvoir », Foucault aurait distingué entre, d’un côté, les « technologies politiques » par lesquelles le pouvoir vise la vie humaine dans son ensemble et, de l’autre, les « technologies du soi » au travers desquelles le pouvoir participe du processus de subjectivation des individus[3]. Le biopouvoir s’exercerait selon deux modalités différentes, chacune correspondant à des « techniques de pouvoir » qui vont du contrôle des naissances aux pratiques de l’aveu et de la confession. De la sorte, il aurait, d’une part, une visée totalisante (il saisirait la vie dans sa globalité) et, de l’autre, des effets individualisants (il façonnerait l’individualité des sujets). Mais le nœud où se mêlent ces deux modalités d’exercice du pouvoir en Occident serait cependant resté un point aveugle des recherches de Foucault. C’est ce point demeuré aveugle chez Foucault qu’Agamben propose pour sa part de mettre en lumière.

Son hypothèse est que, contrairement à ce qu’avait suggéré Foucault, il est impossible de séparer « le modèle juridico-institutionnel » et « le modèle biopolitique » du pouvoir. Foucault avait en effet construit l’ensemble de ses analyses du biopouvoir moderne en opposant ce dernier au pouvoir souverain d’édicter et de faire respecter la loi. Pour Agamben, le modèle juridico-institutionnel du pouvoir souverain et le modèle du biopouvoir, loin de s’opposer, vont au contraire nécessairement de pair : « l’implication de la vie nue dans la sphère politique constitue le noyau originaire – quoique occulté – du pouvoir souverain »[4]. Rendre compte de la fonction centrale qu’occupe l’état d’exception dans le dispositif de pouvoir propre à l’Occident suppose d’associer à l’analyse foucaldienne de la biopolitique (la manière dont le pouvoir moderne s’est saisi de la vie humaine comme d’un problème à traiter) la définition schmittienne de la souveraineté comme décision sur l’état d’exception. Agamben résume ainsi la conclusion à laquelle l’amène son premier amendement des théories de Foucault : « la production d’un corps biopolitique est l’acte originaire du pouvoir souverain. En ce sens, la biopolitique est au moins aussi ancienne que l’exception souveraine »[5]. Autrement dit, le biopouvoir et la décision souveraine sur l’état d’exception participent d’un seul et même paradigme politique dans lequel nous serions encore et toujours empêtrés. Le sort réservé aux prisonniers des camps de Guantanamo, détenus en dehors de tout encadrement juridique, offrirait aujourd’hui un exemple criant des impasses vers lesquelles mène un tel paradigme politique[6].

Agamben effectue un second pas de côté par rapport aux analyses de Foucault, en rapprochant celles-ci de la thèse benjaminienne sur l’exception devenue la règle. Si l’on admet que la production par le pouvoir d’une forme de vie a toujours accompagné la décision souveraine sur l’exception, l’idée avancée par Foucault d’un « “seuil de modernité biologique” d’une société » à partir duquel « l’espèce entre comme enjeu dans ses propres stratégies politiques »[7] doit alors être revue en direction d’une autre forme d’écart au sein de l’histoire du pouvoir en Occident. Pour Foucault, le fait que le vivant devienne une cible privilégiée du pouvoir marquait une césure propre à la modernité. Agamben situe quant à lui la césure au moment où « l’espace de la vie nue, situé à l’origine en marge de l’organisation politique » coïncide avec « l’espace politique »[8]. De biopolitique moderne, il en est alors véritablement question non pas lorsque la politique prend la vie pour cible de ses stratégies – ce qui d’après Agamben a en Occident toujours été le cas, au moins depuis les conceptions classiques du souverain comme bénéficiant d’un droit de vie et de mort sur ses sujets – mais quand la politique s’indifférencie avec la vie. Même si biopouvoir et pouvoir souverain ont toujours été intimement liés, la modernité politique marque une nouvelle étape dans leurs relations, qui se caractérise par une indistinction de la politique et de la vie. Avec l’avènement de la modernité, la vie occupe désormais l’épicentre du pouvoir. Cette « politisation de la vie » contribue à faire de l’état d’exception la règle selon le diagnostic posé par Benjamin, puisque plus aucun obstacle ne vient à présent s’opposer à la mainmise totale du pouvoir souverain sur la vie de ses sujets.

Il ne s’agira pas dans ce qui suit de revenir sur les torsions nombreuses qu’Agamben fait subir à la notion foucaldienne de biopolitique[9], mais de prendre au sérieux son hypothèse selon laquelle une forme d’exception est en jeu dans la biopolitique moderne. Nous nous attarderons tout d’abord sur la manière dont le couplage entre biopouvoir et pouvoir souverain débouche chez Agamben sur le diagnostic d’une « politisation totale » de la vie. Dans un second temps, nous verrons comment, à partir d’une nette opposition entre pouvoir souverain et biopouvoir, le traitement foucaldien du thème de la biopolitique s’inscrit quant à lui dans un tout autre cadre d’analyse : celui d’une histoire de la « gouvernementalité ». En conclusion, on se demandera si, sur fond de confrontation entre la « bio-souveraineté » d’Agamben et la biopolitique gouvernementale au sens de Foucault, ce ne sont pas deux régimes d’exceptionnalité qui aujourd’hui se dessinent sous nos yeux. Même s’ils ont en commun de suspendre ou de supprimer leur rapport au droit et à la loi, ces deux régimes d’exception – l’une qui a son origine dans le pouvoir souverain, l’autre dans les techniques gouvernementales – le font selon des modalités très différentes auxquelles il s’agit de rester attentifs si nous voulons correctement saisir les défis spécifiques qu’ils posent aux démocraties contemporaines.

Agamben : de la bio-souveraineté à l’exception biopolitique

En reprenant à Schmitt sa définition de la souveraineté, Agamben estime que ce qui constitue en propre la souveraineté, c’est la décision sur l’exception. La décision souveraine porte non pas tant sur le partage entre le licite et l’illicite, le permis et le défendu, qui relève déjà du langage juridique, que sur la frontière qui sépare le juridique de l’extra-juridique, la norme du fait. Par rapport à Schmitt, Agamben précise cependant que la frontière ténue que trace le pouvoir souverain entre le droit et le non-droit correspond en même temps à la production d’une forme de vie. Ce que produit le souverain dès lors qu’il décide de l’exception, c’est la « vie nue » en tant qu’élément à la fois inclus dans et exclus hors de la zone du droit. C’est ainsi que « l’implication originaire du vivant dans la sphère du droit »[10] repose en dernier ressort sur une logique paradoxale d’exclusion inclusive : incluse dans et exclue hors du droit, la « vie nue » désigne la zone d’exception et d’indistinction entre le juridique et l’extra-juridique, entre le droit et le non-droit, entre la norme et le fait, dont décide le souverain.

Agamben exemplifie la relation d’exception qui unit et désunit à la fois le pouvoir souverain à la vie nue à travers l’institution archaïque de la mise au ban. Ce châtiment en vigueur au Moyen-Âge privait l’accusé des droits que lui reconnaissait le pouvoir souverain en le livrant de facto à la vindicte populaire. Le ban donne concrètement à voir la logique paradoxale d’exclusion inclusive à l’œuvre dans les relations entre le pouvoir souverain et la vie nue : « Ce qui a été mis au ban est restitué à sa propre séparation et, en même temps, livré à la merci de qui l’abandonne : il est à la fois exclu et inclus, relâché et en même temps capturé. »[11] L’institution du ban montre en quoi l’état d’exception et d’indistinction entre le droit et le non-droit, dans lequel se trouve la vie nue face au souverain, marque littéralement l’« abandon » de la vie aux mains du pouvoir. La vie nue est « abandonnée » au pouvoir souverain en un double sens : abandonnée par un souverain qui l’a privée de ses droits, elle est, du même coup, entièrement livrée à sa merci. Pour tenter de cerner cette vie nue abandonnée au souverain, Agamben fait appel à une autre figure du droit archaïque : celle de l’homo sacer. En droit romain, le caractère « sacré » de l’homo sacer consistait dans le fait d’être à la fois « insacrifiable » selon les rites officiels en vigueur et exposé à tout moment au meurtre (mais sans toutefois que celui-ci soit qualifié d’homicide)[12].

Selon une conception classique, le souverain est celui qui dispose d’un droit de vie et de mort absolu sur ses sujets. En s’appuyant sur les deux institutions du ban et de l’homo sacer, Agamben montre que le rapport du souverain à la vie est en fait plus complexe. La souveraineté repose tout entière sur l’état d’exception et sur sa logique paradoxale d’une exclusion inclusive de la vie. Pour Agamben, l’exclusion inclusive de la vie nue par le pouvoir souverain à travers le dispositif de l’état d’exception ne constitue ni plus ni moins que « la relation politique originaire[13] » dont les deux institutions archaïques du ban et de l’homo sacer portent la trace. Pour résumer en une formule la conception de la souveraineté qui se dégage des réflexions d’Agamben, il serait possible par conséquent de parler de « bio-souveraineté »[14] au sens où le trait essentiel par lequel se définit dès l’origine le pouvoir souverain est la capture de la vie dans les rets de l’exception.

En tant que « relation politique originaire » qui caractérise depuis toujours le pouvoir occidental, le concept de bio-souveraineté s’avère toutefois insuffisant pour expliquer la spécificité moderne de la biopolitique au sens où l’entend Foucault. Il faut souligner qu’Agamben reste ambigu quant à l’acte de naissance de la biopolitique moderne. D’un côté, il semble assumer à demi-mots que le passage de la bio-souveraineté « originaire » à la biopolitique moderne relève moins d’un changement historiquement identifiable que d’une pente fatale à laquelle était d’emblée soumis le dispositif de la souveraineté[15]. De l’autre, il semble vouloir faire remonter – suivant en cela les analyses de Hannah Arendt[16] – la biopolitique à l’avènement de l’État-nation moderne. C’est en effet avec l’État-nation que l’appartenance à la communauté politique en vient pour la première fois à être définie de manière quasi biologique – en vertu du droit du sol ou du droit du sang – par la naissance (« nation » et « naissance » partageant au passage la même racine étymologique)[17]. Mais que la biopolitique soit d’emblée inscrite dans la structure originaire du pouvoir occidental ou qu’elle émane historiquement de l’État-nation moderne, ce qui paraît déterminant aux yeux d’Agamben, c’est qu’elle s’accompagne d’une normalisation de l’exception et d’une totale indistinction du pouvoir et de la vie.

Tandis que la bio-souveraineté laissait malgré tout subsister une différence entre pouvoir souverain et vie nue selon la logique d’exclusion inclusive qui la caractérise, la biopolitique moderne tend quant à elle à supprimer une telle différence en généralisant l’état d’exception. C’est ici que le thème foucaldien de la biopolitique se conjugue, dans les analyses d’Agamben, avec la thèse benjaminienne sur le devenir permanent de l’état d’exception. Plus exactement, le « seuil de modernité » biopolitique se situe au moment où le pouvoir en vient à se prononcer sur ce qui fait (ou non) la valeur d’une vie humaine. Depuis l’âge classique au moins, le souverain a toujours bénéficié de la prérogative d’un droit de vie et de mort absolu sur ses sujets. Mais le caractère inédit de la biopolitique moderne par rapport au droit ancestral de vie et de mort réside dans le fait de « s’émanciper de l’état d’exception pour se transformer en un pouvoir de décider du moment où la vie cesse d’être politiquement pertinente »[18]. Pour Agamben, la biopolitique moderne consiste en un état d’exception généralisé où politique et vie tendent à se confondre sans qu’aucune médiation (de nature juridique ou autre) ne s’intercale plus entre elles deux. En ce sens, les politiques eugénistes pratiquées sous le régime nazi et les tentatives contemporaines de définir, sur le plan clinico-légal, l’état de mort d’un patient en situation de coma avancé dépendent d'une seule et même « politisation de la vie ». Dans les deux cas, le pouvoir ne se contente plus seulement de capturer la vie en l’incluant dans son exclusion, mais définit lui-même les critères qui déterminent si telle ou telle forme de vie vaut ou non d’être vécue.

Autant l’institution archaïque de la mise au ban incarnait la bio-souveraineté « originaire », autant le « camp » est selon Agamben l’espace qui à présent matérialise l’exception généralisée de la biopolitique moderne. Des premiers camps de concentration installés par les Anglais dans la guerre coloniale contre les Boers au début du XXe siècle aux actuels camps de réfugiés en situation de guerre civile en passant par les camps de concentration et d’extermination nazis, le camp apparaît dès les débuts de la modernité comme « l’espace biopolitique le plus absolu qui ait jamais été réalisé, où le pouvoir n’a en face de lui que la pure vie biologique sans aucune médiation »[19]. Par rapport à l’institution du ban, le camp a ceci de particulier que la loi y est indéfiniment suspendue et qu’il pousse à l’extrême la logique de l’exception. Le camp est la parfaite illustration de l’exception généralisée en régime biopolitique, dans la mesure où les détenus y sont irrémédiablement réduits à la « survie » pure et simple[20]. Le camp se présente ainsi comme le laboratoire d’un nouvel ordre politique qui désormais ne touche plus la vie nue à la marge de la communauté politique mais s’étend progressivement à chaque individu pris un à un.

On comprend alors mieux la prétention d’Agamben d’avoir finalement trouvé, grâce à l’hypothèse d’une exception biopolitique, le point de jonction que Foucault avait voulu établir entre les « technologies politiques » visant la vie dans son ensemble et les « techniques de soi » cherchant à individualiser les sujets. Dans la mesure où « la vie nue n’est plus confinée dans un lieu particulier ou dans une catégorie précise » mais « habite dans le corps biopolitique de chaque être vivant »[21], l’exception biopolitique permet de saisir la façon dont s’articulent les deux principales modalités d’exercice du pouvoir en Occident. En définissant à chaque fois la pertinence politique de la vie dans son ensemble, la biopolitique moderne vient s’immiscer dans le corps de chaque individu en particulier.

Foucault : biopolitique et gouvernementalité

Contrairement à ce que laisserait croire la vaste littérature qu’elle a pu susciter depuis quelques années, la biopolitique constitue un thème relativement mineur des recherches de Foucault. On le retrouve pour l’essentiel dans la seconde moitié des années 1970, en particulier dans le premier tome de l’Histoire de la sexualité et dans ses cours donnés au Collège de France entre 1976 et 1979. La biopolitique sert avant tout d’outil heuristique pour dégager une série de thèses méthodologiques sur le pouvoir et pour mettre au jour un certain nombre de phénomènes historiques. On peut ainsi repérer trois contextes spécifiques dans lesquels elle apparaît[22]. Premièrement, la biopolitique permet à Foucault d’amorcer la critique d’une certaine conception du pouvoir qui s’en tient uniquement à ce que le pouvoir peut avoir de répressif et de contraignant. Deuxièmement, elle s’intègre à une généalogie du « racisme d’État » au XXe siècle qui a culminé avec le nazisme. Enfin, la biopolitique prend place de manière plus discrète dans un large projet d’histoire de la « gouvernementalité » qui remonte jusqu’au pastorat chrétien pour s’acheminer vers le libéralisme en passant par la raison d’État. Nous ne nous intéresserons ici qu’au premier et au dernier de ces moments, dans la mesure où ils sont ceux qui donnent le plus clairement à voir ce en quoi la biopolitique au sens de Foucault se distingue de l’usage qu’a pu en faire Agamben dans ses propres travaux. La question que nous nous poserons alors est de savoir si la biopolitique, prise en ce sens-là, soutient elle aussi, et si oui de quelle manière, une forme d’exceptionnalité et de rapport distendu à la loi et au droit.

Le premier tome d’Histoire de la sexualité se présente en grande partie comme un traité méthodologique sur la notion de pouvoir. Foucault y récuse « l’hypothèse répressive » suivant laquelle le pouvoir fonctionne uniquement à la loi, à l’interdit, à la censure. Le pouvoir correspondrait dans cette optique à une sorte de chaîne reliant deux pôles : d’une part, la loi édictée par le souverain ; de l’autre, le sujet qui lui obéit (ou, le cas échéant, lui désobéit, avec le risque d’être sanctionné). Foucault fait remonter cette conception répressive du pouvoir à l’éclosion de l’État monarchique à la fin de la période féodale. À cette époque, il s’agissait bien pour le pouvoir royal de s’imposer face à la multiplicité des foyers de contestation en se présentant comme un État de justice en mesure de trancher les litiges, en identifiant la loi à sa volonté souveraine et en appliquant à ses sujets des mécanismes d’interdiction et de sanction. Dans sa stratégie de légitimation, le pouvoir monarchique a adopté de façon privilégiée le langage du droit. Depuis lors, le langage juridique apparaît comme « le code selon lequel le pouvoir se présente et prescrit lui-même qu’on le pense »[23]. Ce que la « monarchie juridique » (et avec elle « l’hypothèse répressive » à propos du pouvoir) n’a pas été en mesure de pleinement saisir et d’apercevoir, c’est l’apparition vers la moitié du XVIIIe siècle de « nouveaux procédés de pouvoir qui fonctionnent non pas au droit mais à la technique, non pas au châtiment mais au contrôle, et qui s’exercent à des niveaux et dans des formes qui débordent l’État et ses appareils »[24]. La technique et la stratégie plutôt que le droit et la loi, le contrôle et la régulation plutôt que le châtiment et la sanction, la multiplicité des micro-pouvoirs plutôt que l’unité centralisée d’un pouvoir étatique, tels sont précisément quelques-uns des éléments de son analytique du pouvoir que Foucault entend opposer à la conception répressive du pouvoir léguée par la tradition de la « monarchie juridique ». La précaution méthodologique de départ à propos du pouvoir s’avère ainsi intimement liée à une analyse historique concrète des transformations de ses principales formes. Plus particulièrement, les défis que le pouvoir souverain et son langage juridique se montraient incapables de relever étaient ceux suscités par l’explosion démographique, l’urbanisation massive et les débuts de l’industrialisation qu’ont connus dans le courant du XVIIIe siècle les sociétés occidentales. La manière dont ces problèmes d’ordre démographique, sanitaire, urbain, économique, seront traités ne relèvera plus directement de la loi souveraine et du droit mais d’une nouvelle « technologie de pouvoir centrée sur la vie »[25] que Foucault baptise alors pour la première fois « biopouvoir ».

Dans le dernier chapitre de La volonté de savoir, Foucault contraste le pouvoir classique du souverain et ce nouveau biopouvoir : là où le premier bénéficie d’un droit de vie et de mort sur ses sujets, le second a « pour fonction de gérer la vie »[26]. Le biopouvoir comprend à son tour deux versants : l’un qui consiste en un travail individualisant sur les corps afin de les dresser, les discipliner, les rendre utiles et productifs, « une anatomo-politique du corps humain » ; l’autre qui porte sur la régulation du vivant humain dans son ensemble (santé publique, contrôle des naissances, conditions d’hygiène), « une bio-politique de la population »[27]. Foucault ajoute que l’émergence du biopouvoir en ses deux versants, disciplinaire et bio-régulateur, marque sinon la fin du régime juridique de la loi et de la sanction, du moins sa mutation en un régime de normalisation et de régulation de la vie. Dorénavant, écrit Foucault, « il ne s’agit plus de faire jouer la mort dans le champ de la souveraineté, mais de distribuer le vivant dans un domaine de valeur et d’utilité. Un tel pouvoir a à qualifier, à mesurer, à apprécier, à hiérarchiser, plutôt qu’à se manifester dans son éclat meurtrier ; il n’a pas à tracer la ligne qui sépare, des sujets obéissants, les ennemis du souverain ; il opère des distributions autour de la norme »[28].

Arrêtons-nous sur ce premier moment des réflexions de Foucault pour tenter de voir en quoi le concept de biopolitique qui y est mis en place se distingue de la réappropriation dont il a fait l’objet par Agamben. Tout d’abord, alors que Foucault développe la notion de biopouvoir en exacte contraposition avec celle de pouvoir souverain, Agamben s’intéresse quant à lui à la manière dont le pouvoir souverain s’exerce, directement ou indirectement, sur la vie nue. Même si Agamben serait prêt à concéder que le pouvoir n’est pas uniquement de l’ordre de l’interdit, de la peine et de la sanction, son modèle de la « bio-souveraineté » en tant que « relation politique originaire » semble en définitive resté prisonnier de l’image classique du pouvoir véhiculé par la « monarchie juridique »[29]. Ensuite, le problème d’une articulation entre « techniques politiques » et « techniques de soi » qu’Agamben tranche grâce à son hypothèse d’une exception biopolitique trouve chez Foucault un tout autre dénouement. En distinguant les deux pôles du biopouvoir, l’un disciplinaire et individualisant (« une anatomo-politique du corps humain »), l’autre régulateur et massifiant (« une bio-politique de la population »), l’intention de Foucault est aussi de montrer que ces pôles sont en fait « reliés par tout un faisceau intermédiaire de relations »[30]. À la différence d’Agamben qui vise en dernier ressort à établir une théorie unitaire du pouvoir occidental traçant un continuum entre la « bio-souveraineté » et la biopolitique moderne, Foucault défend pour sa part une conception éminemment plurielle et historiquement différenciée du pouvoir, au sein de laquelle les deux pôles individualisant et totalisant du pouvoir ne font pas l’objet d’une ultime synthèse mais restent en tension permanente[31].

Dans son cours de 1977-1978 intitulé Sécurité, territoire, population, Foucault introduit pour la première fois la notion de « gouvernementalité ». Par là il entend, de manière générale, un ensemble de techniques de pouvoir qui, irréductibles à l’acte souverain de régner ou d’édicter la loi, correspondent à une rationalité politique qui a pour but de diriger, d’administrer, d’influencer les individus dans leurs conduites et pratiques quotidiennes. Cette notion a l’avantage de prendre à revers l’État, ses appareils et son discours centré sur le droit et la loi, et de nous rendre attentifs aux techniques et aux stratégies de pouvoir qui se jouent en soubassement[32]. Foucault ira jusqu’à considérer l’État comme une simple « péripétie de la gouvernementalité »[33]. De manière plus spécifique, l’apparition des nouvelles techniques de gouvernement est intimement liée à l’émergence du problème biopolitique soulevé par la population et sa régulation au XVIIIe siècle. C’est à cette époque que la question des arts de gouverner (se gouverner soi-même, gouverner les âmes, gouverner la famille) se déplace vers le champ d’intervention de la population pour donner naissance à une science nouvelle appelée « économie »[34]. L’histoire de la gouvernementalité retracée par Foucault a pour hypothèse directrice la lente « “gouvernementalisation” de l’État »[35]. De fait, on assiste dès la seconde moitié du XVIIIe siècle à une prédominance des problématiques liées au gouvernement et à l’administration des populations, à l’économie et à la sécurité, sur celles portées par la souveraineté, la loi et les disciplines. Foucault émet ainsi l’hypothèse qu’il y aurait trois types d’État se combinant dans les « économies de pouvoir en Occident » : « l’État de justice » né avec la féodalité qui correspond à une « société de la loi » ; « l’État administratif » issu de la bourgeoisie qui repose sur « une société de règlements et de disciplines » ; « l’État de gouvernement », enfin, qui s’appuie sur « une société contrôlée par les dispositifs de sécurité »[36]. Foucault insiste sur le fait que ces trois types d’État et leurs mécanismes respectifs de pouvoir (souveraineté de la loi, règlements disciplinaires, dispositifs biopolitiques de sécurité) restent dans une large mesure enchevêtrés. En ce sens, la « gouvernementalisation » de l’État n’a pas rendu caducs les problèmes liés à la souveraineté juridico-légale ou aux disciplines ; elle les a au contraire accentués en les reformulant au niveau biopolitique de la population.

Sans prétendre ici résumer la vaste histoire de la gouvernementalité proposée par Foucault dans ces leçons, retenons un épisode qui devrait nous permettre de cerner les éventuels liens entre biopolitique de la population et état d’exception. Dans le cours de 1977-1978, Foucault nous livre une analyse des techniques de gouvernement mises en place par la raison d’État. À partir du XVIe siècle, le champ du politique s’est largement autonomisé par rapport au religieux grâce à l’idée selon laquelle la politique repose sur une rationalité propre, distincte de la question religieuse du salut des âmes[37]. À mesure que se rompaient les liens de subordination du politique au religieux, l’État s’est donné pour unique finalité la conservation et le développement de ses propres forces tant à l’intérieur de ses frontières que vis-à-vis des autres États. Afin d’atteindre cet objectif, les nouveaux arts de gouverner feront prévaloir l’idée d’une raison d’État en excès par rapport au droit commun : au nom de ses intérêts supérieurs l’État pouvait en toute impunité déroger aux lois civiles. Parmi les techniques de gouvernement grâce auxquelles l’État a tenté d’asseoir sa propre puissance, les technologies « policières » méritent une attention particulière. La « police » (au sens très large que ce terme revêt aux XVIIe et XVIIIe siècles) a pour objet la bonne administration quotidienne des hommes et des choses en vue de préserver et d’augmenter les forces de l’État. « Le but de la police – écrit Foucault – est d’accroître en permanence la production de quelque chose de nouveau, censé consolider la vie civique et la puissance de l’État. La police gouverne, non par la loi, mais en intervenant de manière spécifique, permanente et positive dans la conduite des individus. »[38] À travers son souci de régler jusque dans ses moindres détails la vie matérielle des populations, la police participe de ce nouvel art de gouverner propre à la raison d’État. En supprimant la médiation des appareils de justice et de la loi, elle instaure une « gouvernementalité directe du souverain en tant que souverain ». Autrement dit, « la police, c’est le coup d’État permanent »[39], une manière pour l’État de s’immiscer dans le tissu épais de relations (sanitaires, urbaines, professionnelles, commerciales) formées par la population afin d’augmenter sa propre puissance.

Les analyses foucaldiennes de la raison d’État et de la « police » recoupent en partie celles développées par Agamben à propos de la biopolitique moderne. Même attention portée par le pouvoir policier de l’État au vivre et au mieux-vivre de la population ; régime comparable d’exception grâce auquel la police contourne la loi et le droit au travers de règlements et d’ordonnances ; identique face-à-face, en l’absence de toute médiation juridique, de l’État et de ses sujets. Mais l’État policier ne représente qu’une étape dans l’histoire de la gouvernementalité retracée par Foucault. L’avènement d’une forme de gouvernementalité « libérale » dans le courant du XVIIIe siècle marque en effet la fin du « grand rêve disciplinaire » à travers lequel l’État de police avait souhaité régler avec minutie la vie des populations dont il avait la charge. Avec le libéralisme, ce n’est plus à coups d’ordonnances et de règlements disciplinaires que la population sera administrée, mais en branchant le « gouvernement économique » sur la « naturalité » des processus économiques, sur la « régulation spontanée du cours des choses »[40], sur le libre développement des forces du marché. Du point de vue d’une histoire de la gouvernementalité, le libéralisme apparaît surtout comme une technique nouvelle de gouvernement née des critiques adressées à l’État policier et à ses excès. Alors même que la population reste au cœur des dispositifs de pouvoir, la gouvernementalité libérale s’appuiera sur une toute autre rationalité que celle portée par la raison d’État et ses besoins insatiables de puissance : une rationalité qui prétend limiter l’exercice toujours potentiellement abusif du gouvernement étatique afin de laisser libre cours à la société civile et au marché. Aux mesures de police se substituent les « mesures de sécurité (…) ayant essentiellement pour fonction d’assurer la sécurité de ces phénomènes naturels qui sont les processus économiques ou qui sont les processus intrinsèques à la population »[41]. Comme le souligne Frédéric Gros à propos de cette « bio-sécurité » qui naît avec le libéralisme, « si la régulation, c’est la sécurité, alors la sécurité c’est le marché, un marché déréglementé »[42]. Même si le libéralisme fera un large usage du langage du droit (droit de propriété privée, droit des contrats) et de la loi pour contrer l’arbitraire de l’État, cet outillage juridico-légal demeurera ultimement au service de la défense de la « naturalité » du marché. Un marché qu’il s’agit de réguler en s’adossant à ses normes immanentes, spontanées, « naturelles », et non pas de réglementer à l’aide de lois et de directives artificielles émanant d’un pouvoir qui leur reste extérieur.

Deux régimes d’exception

En somme, derrière le même terme de « biopolitique », Agamben et Foucault nous offrent deux conceptions très différentes de la manière dont le pouvoir en Occident a pris pour cible la vie humaine. Chez Agamben, la biopolitique correspond à un projet de « politisation totale » de la vie qui trouve à se matérialiser dans l’espace du camp. Elle est ce qui, souverainement, décide de la valeur d’une vie humaine. Chez Foucault, elle désigne en revanche un ensemble de techniques de contrôle et de régulation de la vie dont le « gouvernement économique » fournit l’exemple paradigmatique. En ce sens-là, la biopolitique ne décide pas de la valeur ultime d’une vie, mais s’appuie sur la « naturalité » des phénomènes liés à la vie (l’économie, la démographie, la santé) pour critiquer la démesure du pouvoir souverain de l’État. On pourrait baptiser ces deux formes de biopouvoir qui émergent des analyses respectives d’Agamben et de Foucault « biopolitique souveraine » et « biopolitique gouvernementale »[43].

Dans quelle mesure la biopolitique souveraine et la biopolitique gouvernementale dessinent-elles deux régimes distincts d’exception ? Dans le cas de la première, l’état d’exception provient de la manière dont la biopolitique tend à effacer par pure décision souveraine tout écart entre la norme et le fait, entre le droit et le non-droit, et ainsi à « politiser » de part en part la vie des individus. Dans le cas de la seconde, l’exception est liée au caractère non juridique, spontané, « naturel », des phénomènes que la biopolitique gouvernementale a pour tâche de réguler et de contrôler au lieu de les encadrer par des lois ou des ordonnances émanant d’un pouvoir souverain. Ces deux biopolitiques et leurs régimes respectifs d’exceptionnalité répondent à des logiques de pouvoir opposées. L’une crée par pure décision du pouvoir souverain un état d’exception généralisé ; l’autre tente au contraire à tout prix de supprimer l’arbitraire du pouvoir d’État au nom du caractère naturel et spontané des phénomènes économiques, sanitaires, démographiques.

Entre ces deux formes opposées de biopolitique demeure cependant un point commun qui réside dans leur exceptionnalité par rapport à l’État de droit. Toutes deux mettent en suspens, instrumentalisent, voire suppriment carrément leur rapport aux lois et au droit, tantôt par décision souveraine, tantôt au nom de la naturalité des phénomènes. Par démocratie, on entend le plus souvent depuis Rousseau l’idée d’une autonomie politique sous un régime de loi universelle : l’autonomie politique des citoyens d’une démocratie dépend de leur obéissance à un régime de lois qui vaut sans exception pour tous. L’universalité de la loi démocratique est ce que la biopolitique souveraine et la biopolitique gouvernementale et leurs régimes correspondants d’exception mettent à mal, bien que leurs contournements de la loi répondent chaque fois à des stratégies de pouvoir différentes. On pourrait citer aujourd’hui comme exemple de biopolitique souveraine les politiques migratoires qui refluent les migrants devant les murs de la citadelle européenne. Ici, la biopolitique décide souverainement, au travers d’un flou juridique assumé, de ce qui fait (ou non) la valeur d’une vie humaine. Du côté de la biopolitique gouvernementale, on trouverait les politiques d’austérité imposées aux populations en vertu de « lois » dont la nature n’est pas juridique (c’est-à-dire susceptible d’être débattue publiquement) mais économique (c’est-à-dire condamnée à rester entre les mains d’experts avisés). Là, la biopolitique tire sa justification de phénomènes prétendument « naturels » (la « croissance »), en sacrifiant au passage plusieurs générations sur l’autel de l’économie.

Il n’est pas sûr toutefois qu’une réponse satisfaisante à ces deux types de biopolitique et aux défis qu’ils posent aux démocraties contemporaines puisse venir d’un sursaut juridique ou d’un plus de lois. En introduisant la notion de « gouvernementalité », Foucault souhaitait montrer que, face à des techniques de gouvernement dont les ressorts se situent ailleurs que sur le terrain juridique des règles édictées par un pouvoir centralisé (même démocratique), la loi et le droit ne suffisent pas à provoquer des transformations suffisamment profondes. La réponse aux deux régimes d’exception qu’instaurent aujourd’hui la biopolitique souveraine et la biopolitique gouvernementale serait peut-être à chercher du côté de ce « droit des gouvernés » à propos duquel Foucault estimait qu’il est « plus précis, plus historiquement déterminé que les droits de l’homme : il est plus large que celui des administrés et des citoyens ; on n’en a guère formulé la théorie. Notre histoire récente en a fait une réalité encore fragile mais précieuse pour un avenir qui porte partout la menace d’un État où les fonctions de gouvernement seraient hypertrophiées jusqu’à la gestion quotidienne des individus »[44].

 

 


[1] Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Seuil, 1997, p. 27.

[2] Voir Giorgio Agamben, État d’exception. Homo sacer, II, 1, Paris, Seuil, 2003, pp. 89-109.

[3] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 13.  Voir Michel Foucault, « “Omnes et singulatim” : vers une critique de la raison politique », in Dits et écrits II (1976-1988), Paris, Quarto-Gallimard, 2001, pp. 953-980.

[4] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 14.

[5] Ibid.

[6] Voir Giorgio Agamben, État d’exception, op. cit., pp. 13-14.

[7] Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 188.

[8] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 17.

[9] Voir à ce propos Katia Genel, « Le biopouvoir chez Foucault et Agamben »,  Methodos, n° 4, 2004, consulté en ligne le 10 mars 2015. URL : http://methodos.revues.org/131.

[10] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 33.

[11] Ibid., p. 120. Agamben s’appuie ici sur les réflexions de Jean-Luc Nancy (in L’Impératif catégorique, Paris, Flammarion, 1992).

[12] Ibid., p. 93 : « On dira souveraine la sphère dans laquelle on peut tuer sans commettre d’homicide et sans célébrer un sacrifice ; et sacrée, c’est-à-dire exposée au meurtre et insacrifiable, la vie qui a été capturée dans cette sphère. »

[13] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 195.

[14] L’expression est empruntée à Andreas Kalyvas, « The Sovereign Weaver: Beyond the Camp », in Andrew Norris (dir.), Politics, Metaphysics, and Death. Essays on Giorgio Agamben’s Homo Sacer, Durham et Londres, Duke University Press, 2005, p. 109.

[15] Ibid., p. 122 : « Si, dans la modernité, la vie se situe de plus en plus clairement au cœur de la politique étatique (devenue, dans les termes de Foucault, biopolitique), si à notre époque, en un sens assez particulier mais parfaitement réel, tous les citoyens se présentent virtuellement comme homines sacri, cela tient au seul fait que, dès l’origine, la relation de ban constitue la structure propre du pouvoir souverain. »

[16] Voir Hannah Arendt, « Le déclin de l’État-nation et la fin des droits de l’homme », Les Origines du totalitarisme, Paris, Quarto/Gallimard, 2002, pp. 561-607.

[17] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 138 : « Cette vie nue naturelle qui était dans l’Ancien Régime politiquement insignifiante et appartenait à Dieu comme vie de la créature, et qui, dans le monde classique, se distinguait clairement (du moins en apparence), en tant que zoé, de la vie politique (bios), émerge désormais au premier plan dans la structure de l’État, et devient le fondement terrestre de sa légitimité et de sa souveraineté. »

[18] Ibid., p. 153.

[19] Giorgio Agamben, « Qu’est-ce qu’un camp ? », in Moyens sans fins. Notes sur la politique, Paris, Payot & Rivages, 2002, p. 51. Les analyses d’Agamben sont ici à nouveau redevables des réflexions d’Arendt, pour qui les camps incarnent le projet politique d’une « domination totale » de la vie humaine au moyen de la « terreur ». Voir notamment Hannah Arendt, « Projet de recherche sur les camps de concentration », in La Nature du totalitarisme, Paris, Payot, 1990, pp. 171-178.

[20] Voir à ce sujet Giorgio Agamben, Ce qui reste d’Auschwitz. L’archive et le témoin. Homo sacer III, Paris, Payot & Rivages, 2003.

[21] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 150.

[22] Voir Andreas Folkers, Thomas Lemke (dir.), Biopolitik. Ein Reader, Francfort, Suhrkamp, 2014, p. 9.

[23] Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, op. cit., p. 116.

[24] Ibid., p. 118.

[25] Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, op. cit., p. 190.

[26] Ibid., p. 181. On notera que la gestion de la vie n’exclut pas de devoir gérer la mort. Pour Foucault, la thanatopolitique n’est que l’envers immédiat de la biopolitique.

[27] Ibid., p. 183.

[28] Ibid., pp. 189-190.

[29] Voir en ce sens Thomas Lemke, « “A Zone of Indistinction”. A Critique of Giorgio Agamben’s Concept of Biopolitics », Outlines, n° 1, 2005, pp. 3-13.

[30] Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, op. cit., p. 183.

[31] Voir à ce sujet Johanna Oksala, « Violence and the Biopolitics of Modernity », Foucault Studies, n° 10, 2010, pp. 23-43.

[32] Voir à ce propos Pierre Lascoumes, « La gouvernementalité : de la critique de l’état aux technologies de pouvoir », Le Portique, n°13-14, 2004, consulté en ligne le 10 mars 2015 ; http://leportique.revues.org/625.

[33] Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978, Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 235.

[34] Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 109 : « La constitution d’un savoir de gouvernement est absolument indissociable de la constitution d’un savoir de tous les processus qui tournent autour de la population au sens large, ce qu’on appelle précisément “l’économie”. »

[35] Ibid., p. 112.

[36] Ibid., p. 113.

[37] Voir à ce sujet Michel Senellart, Machiavélisme et raison d’État, Paris, PUF, 1989.

[38] Michel Foucault, « Les technologies politiques des individus », art. cit., p. 1 644.

[39] Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 347.

[40] Ibid., p. 352.

[41] Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 361.

[42] Frédéric Gros, Le Principe Sécurité, Paris, Gallimard, 2012, p. 218.

[43] Sur fond de critique des mesures anti-terroristes promulguées sous l’administration Bush, Judith Butler a proposé une intéressante discussion du couple souveraineté/gouvernementalité à partir de Foucault et d’Agamben (voir Judith Butler, « Indefinite Detention », Precarious life : the Power of Mourning and Violence, Londres et New-York, Verso, 2004, pp. 50-100).

[44] Michel Foucault, « Va-t-on extrader Klaus Croissant ? », in Dits et écrits II (1976-1988), op. cit., p. 362.

 

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