Les espaces muséaux consacrés à la Résistance n’ont cessé de s’imposer en Europe, constituant au fil du temps une véritable « géographie de la mémoire » inscrite sur le territoire[1]. Il est ainsi possible aujourd’hui d’établir une cartographie des luttes et des massacres de la Seconde Guerre mondiale[2].
Alors que les principaux acteurs de la Résistance, passeurs de la mémoire de l’événement d’une génération à l’autre, disparaissent peu à peu, les lieux qui incarnent cette mémoire connaissent un regain d’intérêt des pouvoirs publics ; le 70e anniversaire de la Libération en fournira sans doute des exemples renouvelés[3]. Cet intérêt grandissant se traduit notamment par de multiples initiatives de recension, valorisation et mise en réseau de ces espaces de mémoire se déployant à des échelles régionales, nationales et internationales. Depuis une dizaine d’années, les musées ont également développé leur présence au sein du monde digital dessinant ce faisant les contours d’une nouvelle topographie de lieux de « réactivation » des passés.
Les institutions muséales mais aussi les associations mémorielles ont en effet largement investi l’internet pour y traduire, présenter et partager leurs intérêts concernant les dimensions spécifiques des conflits mondiaux. L’ensemble de ces contributions compose un vaste répertoire de contenus hétérogènes associés à l’histoire et à la mémoire. Paradoxalement, alors qu’il est devenu de plus en plus commun pour les institutions de mémoire d’être représentées sur le réseau des réseaux, les modalités de cette présence demeurent relativement peu étudiées. Les études de cas de certaines grandes institutions se multiplient, mais l’effet de sens que produit leur présence massive et concomitante en ligne n’est que peu explicité et analysé[4]. Pourtant, le processus de « virtualisation » constitue sans aucun doute l’une des questions les plus emblématiques sur la relation entre musées et technologies de l’information.
Dans l’approche que nous avons privilégiée, l’enjeu s’avère moins de faire l’analyse d’une série de cas particuliers qui fondent notre corpus que de comprendre de quelles manières les musées se présentent en ligne dans un nouvel environnement[5]. Plus précisément encore, il s’agit d’examiner le rapport dialectique qui se déploie entre le rôle et la place de chaque musée pris individuellement et les configurations que ces musées forment ensemble.
Autrement dit, ce ne sont pas les spécificités d’une institution particulière qui nous intéressent ici mais des caractéristiques présentes dans un grand nombre de cas qui contribuent, conjointement, à dessiner le paysage mémoriel en ligne[6]. De quelles manières les musées revendiquent-ils leurs spécificités d’acteur de la présentation et de la préservation d’une mémoire historique « forte » comme celle de la Résistance, dans un univers digital peuplé d’autres formes de contributions mémorielles[7] ? Quels sont les outils mobilisés pour établir le lien entre l’internaute et le visiteur de musée ? Il s’agira, en bref, de déterminer si le musée en ligne apparaît comme une simple déclinaison, une vitrine numérique du musée physique, ou s’il propose en revanche une construction complexe et originale appartenant simultanément à différents régimes mémoriels dont il est à la fois le reflet et qu’il contribue à co-construire sur le web.
Des modes d’existence des musées de la Résistance en ligne
Nous avons considéré les musées en ligne en les examinant comme des « objets » issus à la fois de la mise en scène du musée dont ils sont l’émanation et comme des espaces de convocation de ressources permettant de présenter, promouvoir et affiner leur identité.
Après avoir examiné, même de manière cursive, l’ensemble du corpus de sites, un constat s’impose : la présence numérique des musées revêt une multitude de formes. La première distinction peut s’opérer entre des musées qui sont dotés d’un site spécifique et ceux, minoritaires, dont la présence en ligne est subordonnée à un autre site web[8]. Dans ce second cas de figure, le plus souvent le musée ne forme qu’une sous-partie d’un site lié à une commune ou à une région. Il peut y occuper une place plus ou moins importante, mais sa présence en ligne reste encadrée par un site d’accueil. Cette existence sous l’égide technique d’une autre institution se traduit de plusieurs manières (adresse url, mise en page, design graphique, architecture du site, etc.). Si elle offre sans doute à certaines institutions la possibilité d’exister en ligne à moindre frais, cette situation réduit l’expression spécifique du musée et en fait une composante intégrée d’une stratégie de communication plus générale de promotion locale.
Dans le cas des musées offrant un site dédié, on observe là encore une large palette de situations dont on peut donner les lignes de force : des différenciations d’ordre technique avec des sites statiques de la toute première génération du web, qui contrastent avec des portails mobilisant des outils avancés de présentation (animation, promenade virtuelle, banques de données interactives, etc.) ; des distinctions en termes de contenu avec, d’une part, des sites composés de quelques pages descriptives et, d’autre part, des possibilités d’accès à des bases documentaires conséquentes ; des différences fortes au niveau des temporalités de leur présence en ligne avec des cas où la dernière mise à jour remonte à plusieurs années, alors que d’autres musées offrent des pages actualisées très régulièrement.
Cette lecture « technique » des sites peut paraître quelque peu déroutante et désincarnée quand on envisage le contenu des musées, mais elle demeure susceptible de fournir des éléments d’analyse originaux. En effet, la présence numérique des institutions muséales propose un paysage contrasté par rapport à une analyse par visite. Elle dévoile notamment des différences qui ne s’articulent pas de manière univoque les unes avec les autres. Par exemple, si les formes de cette présence traduisent souvent les moyens dont disposent certaines institutions (type de sites, complexités techniques, etc.), pour autant, certains musées conséquents peuvent par choix, par nécessité ou par défaut, avoir une présence en ligne très limitée. L’inverse étant également vrai avec des cas de sites qui ne possèdent pas un espace matériel d’exposition mais qui fonctionnent comme des agrégateurs de présentations thématiques et de contenus digitaux proposés par d’autres institutions[9].
Les listes de liens que proposent les sites des musées constituent une autre piste technique de l’analyse de son positionnement, dans « ce nuage instable de mots clés, vecteurs d’appartenance passagère » dont traite Louise Merzeau[10]. Ces collections de liens nous semblent d’autant plus intéressantes qu’un tel dispositif n’existe à notre connaissance que rarement au sein des musées physiques[11]. Ces liens, parfois mélangés au sein d’une liste unique, recouvrent à la fois des proximités thématiques, géographiques et pratiques. Considérés dans leur ensemble, ils dessinent un périmètre (le domaine de l’histoire au sein duquel le musée s’affiche comme pertinent), un réseau hétérogène dont le musée s’annonce comme l’un des nœuds (réseau de musées, par exemple) et une localisation avec, notamment, de multiples références quant à la région et ses offres en matière de tourisme. Là encore, on observe une grande hétérogénéité tant au niveau du nombre de liens proposés (de zéro à une centaine), la nature de ces liens et leur taxonomie. Paratexte du musée, ces connexions permettent de mobiliser le capital symbolique d’autres acteurs et instituent le musée qui les propose comme point de convergence de différents intérêts (historique, devoir de mémoire, préservation du patrimoine, valorisation de la région, ressource touristique, etc.).
La construction d’un portefeuille de liens ainsi que les modalités de leurs partages avec d’autres institutions procèdent des logiques d’échange de l’internet. Ce processus de citations hypertextes souvent négociées ou envisagées comme mutuelles vise aussi à augmenter la visibilité en ligne de l’institution car ils constituent l’un des éléments qui permettent d’améliorer le référencement du musée, c’est-à-dire son classement dans les résultats des moteurs de recherche[12].
À la fois pedigree, positionnement et acte de communication, cette stratégie hypertextuelle peut s’analyser comme une extension du musée, sa projection dans les autres ressources accessibles en ligne, mais aussi comme une description du projet du musée, c’est-à-dire la place qu’il revendique pour lui dans l’espace de la mémoire collective[13].
La présence muséale en ligne : un outil de communication
Proposer la traduction d’une institution muséale sur le réseau des réseaux constitue à l’évidence un acte de communication. Celle-ci comporte certaines caractéristiques comme la construction anticipée de l’audience, les registres médiatiques utilisés, les canaux de diffusion offerts et les formes de l’interactivité proposées. Les sites web des musées observés s’adressent le plus souvent à une pluralité de publics qui participe à la structuration de la présentation du musée. La catégorie la plus générale de ce public du site se trouve être de manière assez attendue celle du futur visiteur, c’est-à-dire la personne qui utilise le web pour s’informer sur le musée et préparer un déplacement sur place[14]. La majorité des musées en ligne que nous avons visités s’adressent essentiellement à ce public, l’invitant à « venir découvrir » le musée physique, en lui vantant son rôle de passeur de mémoire, mais aussi de lieu digne de déplacement, voire de but de balades qu’il est susceptible d’y faire[15]. Le site agit ainsi comme l’un des mécanismes d’« une stratégie publicitaire ciblée » dans le cadre d’un « tourisme de la mémoire » dont le public est de plus en plus friand[16]. À ce titre, les informations pratiques (localisation, heures d’ouverture et organisation des visites) figurent en bonne place sur une page dédiée du site ; mais on trouve aussi une large collection iconographique présentant les salles des musées, les documents pédagogiques, voire les descriptifs des salles qu’il est possible de télécharger en amont de son déplacement[17].
En ligne, de nombreux musées affichent le spectacle, de leurs murs extérieurs. Au niveau le plus général, pour l’internaute, le web atteste de l’existence du lieu à visiter[18]. En effet, dans l’espace numérique des sites internet, les musées ne possèdent pas le monopole de l’intérêt pour l’histoire ni de sa présentation, que cela soit sous la forme de témoignages historiques, de ressources documentaires ou de présentation d’objets témoins, fonctionnant comme des « mythèmes[19] » de la présence de la Résistance et de la déportation sur le web[20]. Des initiatives privées, des blogs de passionnés collectionneurs d’objets, des sites d’associations historiques occupent un territoire connexe au musée en ligne[21]. Ils constituent autant de signes d’une « privatisation », « intimisation » et « individualisation » de la mémoire historique. Dans certains cas, extrêmes, c’est même le visiteur et ses contributions qui font exister un musée en ligne. Cette lisibilité brouillée des catégories d’acteurs de la mémoire en ligne trouve son origine dans l’utilisation d’outils similaires, des formes standardisées de mise en page des contenus web, du formatage des représentations des institutions sur de mêmes dispositifs. Ces convergences conduisent non seulement à une uniformisation des apparences, mais aussi de la manière de présenter les contenus, si ce n’est de percevoir les contenus eux-mêmes[22]. Le net permet des confusions volontaires ou involontaires entre d’une part des institutions ayant pignon sur rue, possédant une histoire, financées par les pouvoirs publics et, d’autre part, des initiatives privées qui peuvent utiliser les mêmes moyens techniques pour présenter leur mémoire historique.
Il s’avère alors intéressant d’étudier comment, avec quels moyens et quels dispositifs narratifs les sites des musées construisent précisément cette distinction. En d’autres termes, on peut se poser la question de la présentation en ligne de « vraies instances mémorielles », dans un univers où on peut facilement imiter les contenus que proposent les musées. Dans cet espace digital, il convient d’attester par l’image de sa qualité de lieu qui se visite. Cette mise en scène de la matérialité du musée revêt une signification particulière quand il s’agit d’un bâtiment lui-même témoin « matériel » de l’Histoire. Cette convocation du présent du passé incarné par le bâti peut être mise en scène avec, par exemple, des juxtapositions ou des superpositions de photographies permettant à l’internaute de visualiser alternativement les lieux aujourd’hui et à l’époque du second conflit mondial[23].
Présenter le musée, en dehors de l’exposition numérique de sa matérialité physique, comporte également une dimension de monstration des activités sociales dont il est le point d’ancrage. Le spectacle du musée s’opère notamment par le truchement de pages dédiées qui regroupent des photographies d’événements et participe de l’entreprise de traduction et de narration du musée et de ses fonctions. Les cérémonies d’inauguration, le vernissage de nouvelles expositions, les commémorations, les conférences et même, parfois, les visites constituent autant de moments de cette vie du musée que l’on retrouve sur les sites. Il convient cependant de souligner qu’il ne s’agit pas forcément d’une entreprise systématique et actualisée de documentation de l’ensemble des événements qui se déroulent sous l’égide de cette institution, mais d’un échantillon. Certains musées distinguent d’ailleurs la présentation de l’institution de la communication avec le public par l’utilisation plus ou moins systématique de canaux de diffusion différenciés. Le suivi longitudinal de la vie de l’institution et de son actualité se trouve alors délégué à des pages dédiées créées directement sur Facebook, le site web offrant une vitrine officielle[24].
En l’occurrence, la présentation de la vie sociale du musée sur son site web semble souvent obéir à une logique qui vise aussi à la légitimation de l’institution au-delà d’une stricte circulation de l’information. Ici encore, montrer les activités sociales autour du musée c’est le fonder comme lieu réel et donc défendre l’identité spécifique du musée, et du site par rapports aux autres contenus accessibles en ligne. Ces entreprises de mise en visibilité participent également d’un processus de légitimation politique, notamment vis-à-vis des autorités locales et des acteurs publics régionaux dont ils dépendent.
Offrir le spectacle de la vie sociale du musée exprimée par des photographies montrant des groupes de participants et de visiteurs, c’est aussi le présenter comme lieu vivant, et non pas oublié, désuet, vide, c’est-à-dire le fonder comme un acteur proactif du « devoir de mémoire ». Cette mission partagée du musée et du citoyen trouve son incarnation dans les injonctions affichées au frontispice des pages des sites, voire dans les onglets conçus à cet effet[25]. Les sites web des musées fonctionnent alors comme autant de points de convergence entre les témoignages du passé, la fonction mémorielle du musée réel et la responsabilité de l’internaute citoyen dans la préservation de l’ensemble. Ainsi en est-il par exemple du musée de la Citadelle, qui annonce dès la page d’accueil : « ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre »[26]. Dans cette perspective, le public visé n’est plus uniquement celui du visiteur, mais le citoyen allié et coresponsable du « devoir de mémoire », formule « rhétorique et conformiste » à laquelle tous les musées se réfèrent peu ou prou sans en partager pour autant la définition[27].
L’histoire de l’internet est aussi celle du dépassement du modèle traditionnel médiatique dit de broadcasting, caractérisé par le principe de la diffusion univoque à partir d’un émetteur vers ses publics, par celui du multicasting fondé sur la multiplication des entités capables de publier et diffuser des informations. La présence des musées en ligne tire parti de ce nouveau modèle mais reste pourtant encore largement ancrée dans le modèle de la radio et de la télévision qu’ils réinventent à leur échelle. En effet, même s’il s’avère souvent possible d’activer à la demande différents types de contenus (textes, images, sons), l’interactivité proposée demeure fortement réduite et largement univoque.
De manière significative, alors que les musées présentent leurs thématiques, mettent en scène leurs fonctions mémorielles et donnent la parole à des témoins, l’internaute, lui, demeure muet. La parole de ce dernier n’a pas sa place dans un espace qui reste, essentiellement, celui de « l’exposition » des « expositions » que le musée physique propose. En d’autres termes, l’histoire présentée ne se propose pas comme un véritable objet de discussion pour le visiteur virtuel même s’il est invité à la parcourir à nouveau. Il reste cantonné dans la posture du spectateur appelé, in fine, à devenir visiteur du musée.
Cette invisibilité de la parole de l’internaute s’explique de différentes manières. Premièrement, il s’avère techniquement plus facile de gérer un site statique notamment pour les petites structures ne possédant que des ressources limitées. Deuxièmement, comme nous l’avons souligné, certaines institutions délèguent les fonctionnalités plus interactives à des espaces dédiés, comme les pages de discussion au sein de Facebook. Dans cette configuration, qui connaît un succès grandissant, on observe un découplage des modalités de la présence muséale en ligne. Elle s’affirme d’abord sous la forme figée et maîtrisable qu’est le site web, mais elle se déploie aussi dans les flux de conversations qui s’incarnent dans les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenus ou les systèmes de micromessageries (Twitter).
Cette approche duale constitue un enjeu pour les musées, car elle crée une tension entre, d’une part, leur mission de préservation de la mémoire et de l’histoire de la Résistance, et, d’autre part, la volonté de trouver de nouveaux modes d’engagement avec le public qui requiert d’être actif sur des plateformes de communication possédant des dynamiques propres moins contrôlables et qu’il convient de modérer[28]. L’acquisition de cette double compétence implique une redéfinition de la notion de présence en ligne du musée. Celle-ci dépasse la simple production de site, cartes de visites digitales d’un lieu, et demandes de la part des responsables des musées d’interventions régulières (actualités, gestion des messages, etc.). Elle peut également conduire à une inversion de la temporalité classique qui place le site web en amont de la visite : dans les logiques du web social, les commentaires et les discussions préemptent parfois la visite. Pour autant, force est de constater que les sites des musées analysés se cantonnent dans leur très grande majorité à n’être que de simples vitrines, échantillons figés plutôt que de nouveaux espaces symboliques de partage.
Muséographie virtuelle
Dans les dispositifs de présentation en ligne des musées que nous avons visités, nous retrouvons régulièrement des « éléments de langage » rappelant, ou, plus précisément, convoquant la dimension virtuelle comme un adjuvant du dispositif de communication proposé sur le web. En première observation, il est intéressant de noter que cet appel au virtuel se fait essentiellement non pas pour présenter des dispositifs qui participeraient de la construction d’un « ailleurs », c’est-à-dire la production d’une alternative digitale au musée (nouvelles salles, galeries thématiques originales), mais bien au contraire pour renvoyer directement au dispositif scénographique physique. Le « virtuel » vise d’abord à permettre à l’internaute d’expérimenter de manière plus ou moins riche une visite. En ce sens, le virtuel consiste à « donner à voir » l’espace muséographique de manière anticipée, offrant un avant-goût de ce que devrait être, idéalement, une vraie visite, comme le souligne le site du Struthof : « Pour tous, connaissant ou non le Struthof, cette présentation est destinée à préparer ou compléter la visite réelle des lieux. »[29]
Il convient de souligner la grande diversité des dispositifs techniques fédérés sous la même étiquette de « visite virtuelle ». De la simple recension des thématiques des salles accompagnées de quelques photos au dispositif d’immersion et de navigation en trois dimensions permettant de donner l’illusion de se mouvoir dans l’espace du musée, la palette virtuelle s’avère en effet très large. Ces « visites ou galeries virtuelles » soulèvent la question de la nature de ce qui est donné à voir. En effet, dans certains cas, ce sont bien souvent les salles du musée qui sont l’élément central du dispositif de navigation. Il ne s’agit pas uniquement d’une reprise de la structure architecturale des lieux du musée et des thématiques associées aux différents espaces d’exposition, mais bien d’une présentation des salles[30]. Par exemple, dans les dispositifs « d’immersion », il est possible de passer d’une salle à une autre, voire de choisir son point de vue dans les représentations panoramiques des salles, mais il est beaucoup plus difficile d’avoir accès aux informations associées aux objets présentés. La visite guidée virtuelle s’avère d’abord être une présentation d’un espace destiné à être arpenté ultérieurement[31].
De la même manière, les photographies de présentation du musée se partagent en deux principales catégories : celles focalisées sur un contenu spécifique (objets, portraits, etc.) et celles, plus nombreuses, dont le sujet est un élément de la scénographie du musée (présentoirs, salles, murs). Entre présentation des objets de mémoire ou présentation des modalités d’exposition de ces mêmes objets se joue aussi, dans les modes de représentation en ligne des contenus qu’il propose, une partie de l’identité du musée. En d’autres termes, l’usage du web dans le contexte muséographique en général se construit sur la tension entre les possibilités techniques de présenter les contenus associés à cette institution et/ou de présenter l’institution qui garantit l’accès à ces contenus.
Malgré les formes très diverses que peuvent revêtir les dispositifs dits de visite en ligne, l’argument général demeure valide : ce qui est mis en scène dans le virtuel c’est la muséographie. Certains sites la présente d’ailleurs pour elle-même, c’est-à-dire comme un élément distinct du contenu[32].
Il existe cependant quelques exemples où cette virtualisation prend des chemins de traverse par rapport à la simple reprise des logiques d’exposition. C’est notamment le cas du matériel pédagogique que certains musées proposent sous la forme de fac simile de documents iconographiques ou administratifs de l’époque, voire de la possibilité de « naviguer » dans le passé par l’entremise de la recréation en ligne de l’expérience de la vie pendant l’Occupation[33]. Ces initiatives visant une navigation numérique véritablement alternative à la retranscription digitale de la matérialité du musée demeurent cependant rares.
On peut néanmoins penser que les processus de virtualisation des musées, pour conquérir un public jeune auquel on offrira la garantie de « vivre l’histoire » grâce à des procédés d’autoréférentialités sur le net (mêlant usages ludiques du web autour de la Seconde Guerre mondiale et usages publics de l’histoire), se développeront. La « fascination du sublime », dont rend notamment compte le succès du film Apocalypse, n’est-elle pas en train de remplacer aujourd’hui la conscience historique pensée comme un dialogue entre l’acquisition de connaissance de l’histoire savante et la mémoire historique ? Pour le moment, cependant, tout se passe comme si, face à l’accélération des processus de « révision » constante du passé à l’aune de références culturelles très présentes induits par l’internet, les institutions muséales centrées sur la Résistance cherchaient à conserver une temporalité plus lente. En ce sens, les musées en ligne ne se configurent pas encore comme de nouveaux espaces symboliques.
Adresses des sites visités en France (46)
(liste valide au 21 février 2013)
http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire
http://720plan.ovh.net/~museeres
http://ariego.free.fr
http://www.resistance-drome.org
http://assoc.pagespro-orange.fr/otsi.peyrat-le-chateau/museedelaresista
http://memorial.compiegne.fr
http://musee.delaresistance.free.fr
http://musee.resistance.anterrieux.cantalpassion.com
http://museedelaresistance.chauny.com
http://ppognant.online.fr/mus%E9e.html
http://resistance.azur.free.fr
http://resistancecastellane.free.fr/articles.php?lng=fr&pg=24
http://w4-web142.nordnet.fr/musee
http://www.ariege-deportation.org/index2.html
http://www.besancon.fr/index.php?p=625
http://www.bordeaux.fr/p63906/centre-jean-moulin
http://www.brive.net/12175.php
http://museemichelet.brive.fr/0000.php
http://www.centre-resistance-arles.fr/spip.php?article13
http://museedusouvenirducombattant.perso.sfr.fr/index.html
http://www.cheminsdememoire.defense.gouv.fr
http://www.chrd.lyon.fr
http://www.montauban.com/_Les_musees_de_la_ville/Musee_de_la_Resistance_et_de_la_Deportation-162.html
http://www.coeur-de-france.com/resistance.html
http://www.crrl.fr
http://www.musee-resistance31.fr
http://www.memorializieu.eu/spip.php?article66
http://www.maurienne-tourisme.com/fr/il4-decouvrez,visites_i42_p27-musee-de-la-resistance.aspx
http://www.memorial-caen.fr
http://www.memorial-charlesdegaulle.fr
http://www.memorial-vercors.fr
http://www.ml-leclerc-moulin.paris.fr
http://www.musee-henriqueuille.com
http://www.musee-resistance-chateaubriant.fr
http://www.musee-resistance.com/
http://www.museehistoirevivante.com/
http://www.museeresistancemorvan.fr/Musee_Morvan/Accueil.html
http://www.oradour.org
http://www.ordredelaliberation.fr
http://www.resistance-bretonne.com
http://www.resistance-deportation-picardie.com
http://www.resistance-en-isere.fr
http://www.struthof.fr
http://www.tarbes.fr/gp/Le-musee-de-la-Resistance/108/0
http://haute-savoie.ialpes.com/musees/musee-departemental-resistance-thones.htm
http://www.tourismeloir-et-cher.com/detail.asp?type=musees&idoi=41AASOR100159
[1] Maria Vittoria Giacomini, Memorie fragili da conservare : testimonianze dell’Olocausto e della Resistenza italiana, doctorat de recherche, École Polytechnique de Turin, 2011-2012, p. 140.
[2] Voir http://www.memorial-vercors.fr/fr_FR/le-memorial-2824/la-museographie-2891.html
[3] Pensons notamment au site du musée de Picardie qui dédie un onglet entier au 70e anniversaire d’une année à l’autre et aux commémorations (http://www.resistance-deportation-picardie.com/content/view/6/43/).
[4] Patrick Curran, « Des objets virtuels aux univers virtuels ». Communication et langages, n° 99, 1er trimestre, 1994, pp. 98-119 ; Jean-Louis Weissberg, « Le déplacement virtuel de Lascaux », Publics et Musées, 13, 1998, pp. 129-145 ; Jonathan Bowen et al., « Visiteurs virtuels et musées virtuels ». Publics et Musées, 13, 1998, p. 109-127 ; Fiona Cameron & Sarah Kenderdine (ed.), Theorizing Digital Cultural Heritage: A Critical Discourse, Cambridge, MA, MIT Press, 2007.
[5] Notre corpus est constitué de 46 sites web de Musées de la Résistance et de la Déportation. Il a été établi en lien avec des institutions muséales visitées dans le cadre du projet ANR « Les présents des passés ». Il est important de souligner que nous n’avons pas construit a priori une définition de la présence numérique des musées car notre but consistait précisément à recueillir et à analyser la palette de leurs formes d’expression en ligne.
[6] La liste des sites visités se trouve à la fin de cette contribution.
[7] Enzo Traverso, Le passé mode d’emploi. Histoire, mémoire, politique, Paris, La Fabrique, 2005.
[8] Pour illustration le Musée de la Résistance et de la Déportation à Besançon : http://www.besancon.fr/index.php?p=625 ou encore le Musée de la Résistance à Blois http://www.blois.fr/49-musee-de-la-resistance.htm#contenu
[9] Par exemple le musée virtuel de la Résistance : http://www.museedelaresistanceenligne.org/index.php
[10] Louise Merzeau, « Guerres de mémoires on line ; un nouvel enjeu stratégique », in Pascal Blanchard, Isabelle Veyrat-Masson (dirs), Les guerres de la mémoire. La France et son histoire, Paris, La Découverte, 2008, p. 290.
[11] Les listes des partenaires du musée présentes sur les programmes peuvent sans doute être considérées comme un équivalent matériel de liens. Elles demeurent cependant bien moins interactives et accessibles que leur variante hypertexte.
[12] Sur la question des modalités de référencement par Google, voir Christian Fuchs, « A Contribution to the Critique of the Political Economy of Google », Fast Capitalism, 08.01.2011, revue en ligne http://www.uta.edu/huma/agger/fastcapitalism/8_1/home.html
[13] Par exemple le Mémorial du camp de Royallieu : http://memorial.compiegne.fr/partenaires.aspx
[14] Sur l’utilisation des ressources d’internet dans le cadre d’une visite de musée voir Olivier Glassey, Stéfanie Prezioso, « Ressources internet et visites de musées: enjeux et méthodes », in Patrick Louvier, Julien Mary , Frédéric Rousseau (dir.), Pratiquer la muséohistoire. La guerre et l’histoire au musée. Pour une visite critique, Outremont (Canada), Athéna Éditions, 2012, pp. 57-63.
[15] Notamment http://www.resistance-deportation-picardie.com
[16] E. Traverso, Le passé modes d’emploi…, op. cit., p. 11.
[17] Voir par exemple le site du Musée de la Résistance de Bondue (http://w4-web142.nordnet.fr/musee/visite.htm).
[18] Voir, par exemple, le Musée de la Résistance et de la Déportation de Picardie, le Musée
de la Résistance de Chauny (http://museedelaresistance.chauny.com/bienvenue.htm).
[19] Terme conçu par C. Lévi-Strauss, le « mythème » est l’élément minimal d’un récit mythique.
[20] Anne Croll, « Auschwitz à la télévision : stéréotypes ou métaphores », Mots, n° 56, sept. 1998, p. 124.
[21] Par exemple, le Musée de la Résistance et de la Déportation de Forges les Eaux présenté
sur le site d’une personne privée (http://ppognant.online.fr/mus%E9e.html).
[22] Notamment Claudio Magris, « La memoria è libertà dall’ossessione del passato », Corriere della Sera, 10 février 2005 ; mais aussi Emmanuel Hoog, Mémoire année zéro, Paris, Le Seuil, 2009.
[23] Pour une illustration : la page d’accueil site du Struthof : http://www.struthof.fr
[24] Voir, par exemple, le Musée de la Résistance nationale : http://www.musee-resistance.com/index.phpet sa page Facebook : https://www.facebook.com/pages/Mus%C3%A9e-de-la-R%C3%A9sistance-nationale/43261235311?fref=ts
[25] http://www.resistance-deportation-picardie.com
[26] http://www.citadelle.com/fr/le-musee-de-la-resistance-et-de-la-deportation/ma-visite/visite-audioguidee.html
[27] E. Traverso, Le passé mode d’emploi…, op. cit., p. 45.
[28] Pour un analyse de cette double communication : Olivier Glassey, Stéfanie Prezioso, « Auschwitz sur Facebook. Un livre d’or avant la visite », Culture et Musées, n° 20, janvier 2013, pp. 95-120.
[29] http://visite-virtuelle.struthof.fr
[30] Par exemple la visite virtuelle de la Coupole-centre d’Histoire et de Mémoire du Nord–Pas-
de-Calais : http://www.lacoupole-france.com/le-centre-dhistoire/presentation/visite-virtuelle.html
[31] Par exemple http://www.musee-arromanches.fr/visite/?lang=fr
[32] Par exemple http://www.memorial-vercors.fr/fr_FR/le-memorial-2824/la-museographie-2891.html
[33] Voir par exemple l’outil pédagogique Ernest : http://www.musees-franchecomte.com/voyages/ernest, proposé par les Musées de Franche-Comté.