N°9 / L’Europe et « ses » juifs. Une première approche

Autour du camp nazi : quelques variations romanesques françaises du dernier quart de siècle

Albert Mingelgrün

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Sarah Kofman écrit en 1987 dans Paroles suffoquées : «Sur Auschwitz et après Auschwitz, pas de récit possible, si par récit l’on entend : raconter une histoire d’événements faisant sens.»[1] Mais les récits n’ont pas manqué et se sont même multipliés[2] posant et reposant sans cesse au lecteur deux questions : celle de la légitimité de la représentation de l’extermination et celle de la nature de son fonctionnement scriptural.

On se souviendra ici de Jean Cayrol et de Georges Perec. Le premier, en 1953 déjà, avançant : « Une bonne intrigue concentrationnaire, un bourreau-maison, quelques squelettes, une légère fumée de Krema au-dessus de tout cela et nous pouvons avoir le prochain best-seller qui fera frémir l’Ancien et le Nouveau Monde. Car il se passe quelque chose de significatif que nous devons signaler. Le camp de concentration est devenu une image, une fiction, une fable. C’en est fini des témoignages d’hommes stupéfaits par ce qu’ils avaient vécu.»[3]; le second soulignant, dix ans plus tard, chez Robert Antelme à propos de la création littéraire dans L’Espèce humaine qu’elle articule les traits suivants : «organisation de la matière sensible, invention d’un style, découverte d’un certain type de relations entre les éléments du récit, hiérarchisation, intégration, progression, brisant l’image immédiate et inopérante que l’on se fait de la réalité concentrationnaire »[4].

Je souhaite donc donner un modeste écho à ce qu’il est advenu de ces prises de position, catégoriques à juste titre, en tentant de mesurer, à travers un corpus d’exemples représentatifs et de qualités contrastées, limité en l’occurrence à des romans français du XXe siècle finissant et du XXIe débutant, comment un inhumain littéralement inouï et inédit a pu éventuellement réussir à être mis en relation spécifique et pertinente avec ce qui relèverait d’une compréhension par l’humain.

Je commencerai par des fictions situées, pour l’essentiel, au cœur même du système concentrationnaire et dont elles reprennent nombre d’éléments constitutifs reconnus.

Avec Kinderzimmer (Actes Sud, 2013), Valentine Goby donne à lire une évocation d’une tension angoissante car fondée sur la réalité la plus crue et démontant avec une précision implacable les aléas et les paradoxes d’une vie à la fois constamment menacée et compromise et susceptible néanmoins de continuer.

En voici la trame révélatrice.

Mila, jeune résistante française et enceinte de trois mois, arrive en avril 1944 au camp de Ravensbrück où elle découvre l’existence paradoxale d’une pouponnière. Elle est affectée au déchargement des wagons dans lesquels s’entassent les butins des pillages opérés par les Allemands en Europe mais réussit à changer d’activité en se faisant affecter dans un atelier de couture jusqu’à son accouchement d’un petit garçon qu’elle appelle James. Les enfants de la pouponnière qui disparaissent plus rapidement que d’autres permettent à ceux-ci de subsister quelque peu grâce à la récupération de tétées de mères différentes. James meurt et est remplacé par le petit Sacha. Transférés dans une ferme voisine du camp, Mila et Sacha survivent jusqu’à la libération des lieux par les Russes en 1945. Recueillis par la Croix-Rouge, ils arrivent au Lutetia, Mila pouvant reprendre son vrai nom, Suzanne Langlois, et se trouvant en mesure à présent d’adopter Sacha. Elle ne lui racontera la vraie histoire que vingt ans après[5].

Ainsi que l’affirme Simone Veil dans la préface qu’elle a donnée à L’Etoile noire (Oh! Editions, 2006) de Michelle Maillet, «ce roman (...) réussit à aborder la question de la présence des Noirs dans les camps nazis et à traiter de la Shoah, avec en arrière-plan, la mémoire de l’esclavage, sans tomber pour autant dans le piège d’une rivalité des mémoires qui irait de pair avec une hiérarchisation des souffrances » (p. II).

On peut en effet suivre ce fil significatif à travers le destin de Sidonie, une Noire martiniquaise qui travaille à Bordeaux chez une dame française juive, avec ses deux enfants jumeaux, une fillette, Nicaise et un garçonnet, Désiré raflés un matin et déportés à Auschwitz. Arrivés là, femmes et hommes sont séparés et la petite Nicaise meurt d’épuisement tandis que Sidonie est embarquée pour Ravensbrück dont elle mène l’atroce existence et qu’elle essaye de consigner dans un petit carnet. Elle est envoyée finalement à Mauthausen.

émile Brami, auteur d’Histoire de la poupée (écriture, 2000), prend délibérément le parti de remettre en cause son propre livre, disant que l’oubli emportera tout puisqu’il n’est capable de fournir «que la pauvre tautologie d’une réalité effroyable» (p.24). Il y reviendra à plusieurs reprises dans l’ouvrage, scandant et interrompant de la sorte son déroulement tout entier mais, ce faisant et paradoxalement, mettant par là également en évidence le caractère spécifique d’une souffrance dont on ne sort pas et comme rapportée en double.

Cette poupée de bois est celle que le père de la jeune Maria lui avait fabriquée à Kielce, au temps du ghetto, qu’elle avait pu emporter jusqu’au camp et garder sur place, elle avait 13ans. C’est donc la vie de la jeune fille après son arrivée avec son père, lequel est immédiatement gazé, qui nous est racontée. Cette vie la voit livrée à la prostitution dans le bordel du camp avant d’être libérée par les troupes soviétiques. Elle regagne Kielce en juin 1946 où elle échappe au pogrom, rejoint la France et part pour Tunis dans les années 50 où elle est mal reçue par ailleurs. Elle y rencontre l’auteur enfant et lui fait cadeau de sa poupée avant de se suicider dans le golfe de la ville. La mer rejettera son corps quelques semaines plus tard.

C’est quasiment un récit en prose poétique mais ô combien impressionnante qu’Antoine Choplin présente avec Une Forêt d’arbres creux (La Fosse aux ours, 2015) tant le tragique en est sobre et dépouillé. L’intrigue se noue dans le ghetto de Terezin situé au cœur de ladite forêt et où arrive le dessinateur Bedrich Fritta (1906-1944). Il est engagé avec d’autres, architectes et graphistes, pour aménager les bâtiments du lieu et construire, entre autres, un crematorium. Entre-temps, la nuit, ces hommes essaient de rendre compte par des dessins et des peintures qu’il dissimulent, la vraie réalité de l’endroit pour qu’elle soit (re)connue un jour. Mais la cachette est découverte. Ils sont amenés en train.

Je poursuivrai par trois illustrations de la présence du camp après sa disparition factuelle et historique.

 Est-il possible de vivre «normalement» après la guerre lorsqu’on a résisté personnellement comme Allemand au nazisme mais qu’un très proche, en l’occurrence un fils, en est marqué de manière indélébile ? C’est la question dont traite Oriane Jeancourt Galignani dans Hadamar (Grasset et Fasquelle, 2017).

à la fin de 1945, le camp de Dachau est libéré. Franz Münz, résistant allemand donc et opposant au IIIe Reich en sort, regagnant d’abord sa maison de Lügendorf, sa ville natale, et se mettant à la recherche de son fils Kasper qui fut inscrit un temps aux Jeunesses hitlériennes. C’est à Lügendorf qu’il apprend l’existence de l’hôpital d’Hadamar dans lequel Kasper pourrait travailler ou avoir travaillé. Hadamar est une institution qui regroupait les schizophrènes, les handicapés mentaux et, depuis 1943, des enfants demi-juifs ayant échappé à Nuremberg. C’est, en réalité, «le lieu où l’autre chose a commencé» (p. 127), un centre d’euthanasie dont ceux qui en dépendent sont gazés et incinérés. Un officier des libérateurs américains, le capitaine Wilson, qui connaît Hadamar et l’adresse de Kasper, promet à Franz de les remettre en présence si ce dernier accepte, en tant qu’Allemand non nazi, de décrire les lieux et les faits avérés dans le détail de leurs épouvantables réalités, les Américains souhaitant organiser le procès des principaux bourreaux d’Hadamar. Deux de ceux-ci sont arrêtés et interrogés sur leurs cruelles pratiques et Franz apprend ainsi au passage ce que son fils a fait. Il refuse dès lors d’écrire le texte promis pour le procès, revoit son fils qui lui raconte les actes commis avec la Hitlerjugend et lui apprend qu’il est devenu exclusivement tailleur de bois. Difficile donc, voire impossible, de dédramatiser ou de suspendre, fût-ce un temps et même pour des raisons éthiques, la présence de telles vicissitudes...

Un autre cas de figure douloureux succédant immédiatement aux années dramatiques, mais ici du côté français et non sans analogie cependant avec le récit précédent, est celui qu’Elena Costa expose dans Daniel Avner a disparu (Gallimard, 2015). Ce dernier est le seul à ne pas avoir été pris dans la rafle qui a enlevé sa grand-mère, ses parents et sa sœur disparus à Auschwitz. à partir de 1946, il a 13 ans, son grand-père le contraint d’aller les attendre tous les jours à l’hôtel Lutetia que rejoignent les rescapés des camps. Contrainte il y a en effet, le vieil homme n’acceptant pas qu’il ait survécu, le rouant de coups de ceinture et de règle, le traitant aussi de Sonderkommando. Daniel accepte cette violence au nom du souvenir qu’il veut préserver tout en entrant néanmoins, au fil du temps, dans une existence ordinaire, par exemple se mariant et devenant père. Mais son incapacité à s’accepter comme survivant renaît et la persistance de son sentiment de culpabilité le conduit même à rompre tout contact avec son fils, lequel se trouve ainsi à son tour plongé dans l’obscurité.

L’action de L’Origine de la violence (Le Passage éditions, 2009) de Fabrice Humbert, largement postérieure cette fois à la période-clé, est une incarnation possible de la cruelle «banalité du mal» à travers les liens du sang et la découverte de démesures initiales transmises ensuite en héritage.

Dans le cadre d’une visite au camp de Buchenwald avec ses élèves, un jeune enseignant avise dans une salle d’exposition la photographie d’un prisonnier ressemblant très fort à son père. Il en parle à son retour et entame des recherches qui débouchent sur l’identité du détenu à savoir David Wagner, son grand-père mort sur place et dont il entreprend de faire revivre le nom et le destin. Se trouve ainsi reconstitué l’univers concentrationnaire avec ses tenants et aboutissants servant de références et de toile de fond aux aventures de tous ordres des Fabre-Wagner, berceau et famille du narrateur[6].

Si les livres signalés jusqu’ici mettent en scène de manière acceptable les thèmes et motifs abordés, des figurations discutables, à des degrés divers naturellement, existent aussi. J’ai retenu celles qui suivent en ce qu’elles «exploitent» le sujet de plus en plus gratuitement.

Le titre même du roman d'éric Paradisi, Blond cendré (Jean-Claude Lattès, 2014), entend non seulement renvoyer à une réalité concentrationnaire reçue, la chevelure, mais tout aussi précisément au métier de coiffeur qu’exerce dans le ghetto de Rome Maurizio, l’un des principaux protagonistes juifs de l’histoire, ce stéréotype se doublant, me semble-t-il, d’un usage limite du qualifiant cendré.

C’est là que Maurizio rencontre Alba, résistante communiste engagée, et qu’ils tombent amoureux. Les nazis ayant succédé aux fascistes, il se retrouve à Auschwitz tandis qu’elle est arrêtée, torturée et tuée. Arrivé au camp et immatriculé, Maurizio y devient barbier, coiffant et récupérant les cheveux dans les entassements de cadavres. Le temps passant, se mettent en place les marches de la mort, la sortie du camp et le retour à Rome où il reprend son métier. Sur place il est amené à recroiser l’un des miliciens qui ont tué Alba et à l’égorger dans un parc public. Justice ainsi rendue, il s’exile à Buenos-Aires où il ouvre un salon réservé aux femmes, se marie et se convertit au catholicisme, au terme donc d’un itinéraire édifiant.

Ravensbrück mon amour (L’Atelier Mosésu, 2015) de Stanislas Petrosky atteint un tel degré de cruauté exacerbée et mécanique que le texte touche à l’invraisemblable, le crayon de son personnage principal, l’artiste Gunther Frazentich, censé sans doute par ailleurs servir utilement d’alibi à ce déchaînement n’y parvenant pas vraiment, même s’il se montre de bonne foi.

En 1938, le régime nazi décide de construire une sorte de prison, qui constituera plus tard le camp de Ravensbrück destiné particulièrement aux femmes, et, pour ce faire, enrôle des travailleurs de la région. Le jeune Gunther est engagé comme ouvrier et quand le camp se met à «fonctionner», il y devient Kapo. Il entreprend alors de dessiner la vie se déroulant dans ces lieux avec, surtout, son lot de violences. Reconnu et apprécié par l’Oberaufseherin Mandl, la cheffe des gardiennes, il se métamorphose en illustrateur officiel du camp. Il dresse dès lors un véritable catalogue d’horreurs et de souffrances de tous ordres qu’il va trier et classer lorsqu’il commence à envisager un rôle de témoin. Trois ans s’écoulent ainsi au cours desquels il réussit également à camoufler des séries de dessins dans un mur intérieur en construction. Tombé amoureux d’Edna, une déportée juive française, il connaît des moments heureux tout en continuant à dessiner et à peindre, par exemple Himmler ou les enfants de la Kinderzimmer. Son activité faisant des envieux, il est parfois maltraité mais ses réalisations étant indispensables, par exemple celle d’un atlas médical des dissections, il s’en tire malgré tout. En avril 1945, les Russes mettent fin au camp[7].

Daniel Zimmermann, dans L’Anus du monde (Le Cherche-Midi, 1996), fait arpenter à François Katz, héros de son roman, l’espace-type Drancy-Auschwitz-Treblinka. Il s’agit pour lui, frais émoulu de Normale et raflé presque par hasard à Paris, d’y survivre. On voit ainsi se dérouler une manière de Bildungsroman puisque le jeune homme du début qui faisait l’impasse sur son appartenance juive, «juif en rien» comme il dit et non circoncis, demande à l’être à la dernière page, à la veille de l’insurrection du camp de Treblinka. Dans l’intervalle s’inscrivent les aventures de cette figure emblématique du bien, résistant aux avanies des forces du mal car doué, outre de compétences intellectuelles extraordinaires, d’un coup d’archet salvateur, circonstance qui transforme en plat lieu commun le paradoxe reçu et reconnu de l’exploitation des musiciens déportés, l’ensemble de ces caractéristiques lui permettant de devenir l’assistant du Dr Mengele. Je pointerai encore l’utilisation qui est faite de L’Enfer de Dante, simultanément analogon de la situation fondamentale et facteur de scansion du récit, fournissant ainsi l’occasion de citations et de rencontres cultivées entre le chef de bloc et son prisonnier.

Acide sulfurique (Albin Michel, 2005) d’Amélie Nothomb met en scène un jeu de téléréalité bénéficiant d’audiences records et qui s’appelle «Concentration» parce que calqué sur les pratiques des camps. Se retrouvent donc transposées un certain nombre de situations se voulant conformes : transports dans des wagons à bestiaux, kapos hurlants, sélections dans des files différentes, musiques de Schubert et de Saint-Saëns, désappointement indiqué en creux de ce que la télévision ne puisse transmettre les odeurs et le froid. Il reste néanmoins à la narratrice, alors que l’armée encercle finalement le lieu du tournage, la chance et le pouvoir de métamorphoser Primo Levi en Pietro Livi alias le kapo EPJ 327, de surcroît amoureux séducteur et beau parleur[8]...

Pour compléter ce panorama succinct, strictement consacré au camp en tant que tel, je ferai encore référence à deux illustrations apparentées en quelque sorte de biais à notre sujet mais convergeant singulièrement avec lui.

C’est la mémoire du mal à travers celle de la Shoah, même si ce dernier mot n’est jamais prononcé, qui se trouve au centre du récit de Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck (Stock, 2007), celle aussi de l’ordinaire humain à travers la vie d’un village situé partout et nulle part, dans une espèce de no man’s land que la violence taraude. Brodeck est donc le rapporteur qui raconte l’histoire de l’Autre, de l’Anderer qui a suscité curiosité et haine avant que ne s’accomplisse l’événement, l’Ereigniës (sic), à savoir son assassinat par les villageois incapables, par ailleurs, de s’exprimer mais ne voulant rien oublier. Se livrant à cette tâche, Brodeck revit et retrace en parallèles saisissants la propre histoire du concentrationnaire qu’il fut lorsqu’on l’appelait le Chien Brodeck devant marcher dans le camp à quatre pattes. Il est amené alors à aller présenter à quelques notables du village un premier état de son texte. On le laisse repartir après lecture faite, encouragé à continuer. Ce qu’il fait, poursuivant la narration relative à l’Anderer en même temps que la sienne et montrant, par exemple, l’Anderer obligé de fuir son espace propre comme lui, Brodeck, a dû le faire lors de la Kristallnacht. Ainsi progresse lentement et sûrement le destin des deux hommes jusqu’à la séparation finale : le rapport écrit remis au maire qui le brûle pour, cette fois, imposer l’oubli et le départ de Brodeck du village.

Le second texte est antérieur, Maurice G. Dantec ayant publié en 1995 Les Racines du mal (Gallimard) et développant, cette fois sous la forme d’un polar noir, l’imagerie particulière que nous parcourons. Il s’agit ici de remonter auxdites racines qui se sont substituées à celles de la vie et de la beauté afin de pouvoir, en toute certitude, réactualiser ces dernières. Laction se déroule en deux temps, le premier lié à un individu du nom dAndreas Schaltzmann, le second au groupe des Tueurs du Millénaire. Schaltzmann s’est persuadé que les nazis ont pris le pouvoir en France, y établissant de manière occulte des camps de concentration; il est donc décidé à les combattre à coup d’attentats et de meurtres prétendument ciblés et cela en dépit des risques qu’il court s’il est arrêté. C’est finalement le cas mais il réussit à se suicider par le feu, ouvrant ainsi la voie aux Tueurs du Millénaire qui souhaitent expérimenter la «solution finale» en mettant en place chambres à gaz et fours crématoires dans le but de retrouver la pureté de la race aryenne.

Après ces versions plurielles d’un certain nombre d’éléments communs, j’emprunterai à Jorge Semprun un dernier avis critique et nuancé, salutaire selon moi puisqu’il nous ramène aux exigeantes démarches des premiers « écrivants» de la matière concentrationnaire : « Pourtant, un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l’expérience vécue soit indicible. elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d’un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. »[9]


[1] Galilée, p.24. élie Wiesel avait lui aussi souligné qu’ «Auschwitz nie toute littérature (...). Un roman sur Auschwitz n’est pas un roman ou n’est pas sur Auschwitz.» In Un Juif, aujourd’hui, Seuil, 1977, p.190.

[2] Cf. «L’irreprésentable en question. Entretien avec Jacques Rancière» in Europe, 2006, nos 926-927.

[3] In «Témoignage et littérature», Esprit, avril 1953, p.575.

[4] Cf. «Robert Antelme ou la vérité de la littérature» (1963), in L.G. Une aventure des années soixante, Seuil, p.97.

[5]  V.Goby a préfacé en 2016 l’édition Points du récit Le Châle de Cynthia Ozick paru en 1980.

[6] Je renverrai encore à une dernière version de l’«après». Dans L’Oubli (Gallimard-L’Arpenteur, 2014), Frederika Amalia Finkelstein décrit comment sa jeune héroïne, Alma, se trouve littéralement suspendue entre l’acharnement à supprimer toute trace de la mémoire de l’extermination et les constantes évocations qu’elle ne peut s’empêcher d’en faire surgir.

[7] Sur ce camp en particulier, c’est Ravensbrück, l’Enfer des femmes (Tallandier, 1945), un recueil de textes rassemblés par  Simone Saint-Clair qu’il convient de lire.

[8] Une inspiration analogue sous-tend La Comtesse dalmate et le principe de déplaisir (Librairie Arthème Fayard, 2005) de Claude Delarue : des vacanciers, déportés volontaires, rejoignent, dans la cale d’un bateau, un camp de concentration reconstitué sur un ilôt de l’archipel dalmate auquel ils parviendront après avoir été dûment tatoués à l’aide de décalcomanies et sous les ordres de jeunes SS en uniformes adaptés bien entendu.

[9] In L’écriture ou la vie, Gallimard, 1994, p.23.

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