N°2 / Des erreurs historiographiques

Statut de l’erreur en sciences sociales et en sciences de la nature

Stefan Goltzberg

Résumé

L’erreur est ici étudiée au travers de plusieurs disciplines, dont la linguistique, le droit, l’épistémologie et la psychanalyse. Le concept d’erreur est défini et opposé à de multiples phénomènes qui partagent avec lui certains traits, comme le mensonge ou l’illusion (au sens de Freud). La question est soulevée de savoir quel est le statut de l’erreur ; est-ce un mal à éviter ou bien ne peut-on pas plutôt lui trouver une certaine utilité, voire une positivité ? Peut-on s’immuniser contre le risque d’erreur ? Le cas de la théologie et celui du système juridique sont envisagés.

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La place de la réflexion sur l’erreur est centrale en philosophie, en science et en droit. En réalité, l’erreur est une composante centrale de toute réflexion sur le vrai, le juste et le bien. En histoire comme en historiographie, le risque d’erreur hante les esprits et justifie les précautions méthodologiques. Il existe, du reste, un grand nombre de types d’erreurs : l’erreur morale, l’erreur de jugement, l’erreur de droit, l’erreur typographique, l’erreur de catégorie, pour ne citer que quelques-unes[1].

La notion d’erreur possède au moins deux grands types de définitions : un sens actif et un sens passif. Au sens actif, l’erreur est un acte de l’esprit qui juge vrai ce qui est faux ou inversement. Le sens passif est celui, non d’un acte, mais d’un état d’esprit qui juge vrai ce qui est faux ou inversement. Dans le sens actif, on commet une erreur ; au sens passif, on est dans l’erreur. Cette double définition appelle trois remarques.

Premièrement, l’erreur est manifestement définie en prenant en compte le vrai et le faux, or ce choix n’est pas automatique[2]. En effet, il semble que l’erreur soit ici définie (au sens actif comme au sens passif) comme en opposition au vrai : l’erreur est un type de jugement faux. Par comparaison, il n’est pas certain que d’autres notions proches de l’erreur soient à définir comme discours ou jugement faux : la fiction, l’illusion ou le mensonge ne requièrent pas autant que l’erreur la composante de fausseté. En outre, si une erreur dans l’exécution d’un morceau de musique peut éventuellement se laisser décrire comme une erreur sémantique (une inadéquation avec le texte de la partition), il en va différemment d’une erreur de stratégie, au sens d’une erreur quant à la meilleure stratégie à adopter, laquelle doit s’apprécier non pas en termes de vrai ou de faux mais en termes d’opportunité et d’efficacité. Il n’est pas faux, aux échecs, de sortir les tours avant les cavaliers, c’est pourtant bel et bien considéré, en général, comme une erreur de tactique ou de stratégie échiquéenne.

Deuxièmement, l’erreur est conçue tantôt comme un acte (de l’esprit) tantôt comme un état (d’esprit). Ces deux sens sont liés ; en effet, un état d’esprit peut conduire quelqu’un à poser un acte. Le cas le plus simple est celui d’une personne qui est dans l’erreur et qui de ce fait commet une erreur en exprimant son état d’esprit. Pour autant, il est indispensable de maintenir la dualité acte/esprit, parce que le sens actif devrait inclure les erreurs que l’on commet même sans parler, celles qui consistent à se tromper en prenant un objet à la place d’un autre (c’est le sens de mistake en anglais[3]).

Troisièmement, s’il est manifeste qu’une erreur consiste dans un écart entre deux éléments (l’esprit et le monde, l’esprit et l’acte, la volonté et le contrat censé exprimer cette volonté), il n’est pas toujours évident de savoir lequel porte la responsabilité. En effet, lorsqu’un homme a fait ses courses et se rend compte que sa liste d’achat ne correspond pas à l’ensemble des achats effectués, plusieurs cas sont envisageables. Il peut s’agir d’une erreur commise lors des courses (du beurre acheté au lieu de la margarine), mais il peut également s’agir d’une autre chose : peut-être que l’erreur avait été commise lors de la rédaction de la liste des courses, auquel cas c’est la liste qu’il faut corriger[4] (Anscombe 1957).

Nous aurons à revenir sur chacun de ces points.

Erreur et vérité

Si l’erreur se définit souvent par rapport au vrai, encore faut-il s’entendre sur ce que recouvre cette notion de vérité. Dominicy distingue la vérité sémantique, qui dépend du réel, et la vérité représentationnelle (Dominicy 2011 : 155). Si, voulant parler de Dupont, je dis « Durant est biologiste » (ce qui n’est pas vrai de Durant mais l’est de Dupont), la vérité sémantique est assurée, mais non la vérité représentationnelle. Cette opposition permet de maintenir un lien avec le réel et d’expliquer la différence entre plusieurs types d’erreurs (sémantiques ou représentationnelles). Selon le pragmatiste F.C.S. Schiller, la vérité et l’erreur ne sont pas des prédicats déterminés par le rapport au monde (comme « chien », « chat », « vert ») mais sont des prédicats de valeur (comme « bon », « ingénieux », « malsain ») (Schiller 1910 : 145) ; en outre, selon cet auteur, une théorie de l’erreur est requise par toute théorie de la vérité. Malheureusement, trop souvent, les théories de la vérité ont été élaborées sans faire référence à l’erreur, du moins sans distinguer suffisamment l’erreur du faux en général. Schiller ajoute qu’un énoncé ne peut pas en soi constituer une erreur : « No judgment, therefore, can be an error per se. It is an error in retrospect only, after it has been corrected. » (Schiller 1910 : 150). Ce point est intéressant, bien que l’on ne comprenne pas bien pourquoi l’erreur devrait absolument être identifiée rétrospectivement. En effet, ne peut-on pas entendre un énoncé erroné et l’identifier immédiatement comme tel ? Toujours est-il que Schiller annonce une notion qui sera opportunément citée pour jeter quelque lumière sur le phénomène de l’erreur : la notion de polyphonie (Ducrot 1980 et 1984). Selon cette dernière, plusieurs voix, plusieurs points de vue, se font entendre dans les énoncés des langues naturelles[5]. La désignation d’erreur est également un phénomène polyphonique dans la mesure où un point de vue décrit un autre point de vue comme erroné : si Pierre dit « Paul pense à tort qu’il pleut », Pierre prend position sur le caractère erroné de la pensée de Paul. En ce sens, on comprend mieux Schiller : la désignation d’une erreur est une désignation faite par autrui (qu’il soit chronologiquement postérieur ou non). Une erreur suppose un point de vue porté par un agent sur les représentations d’un autre agent (y compris le même agent à un moment antérieur). Il n’est donc pas étonnant qu’un énoncé comme « Je suis en train de me tromper en disant cela » soit performativement contradictoire[6] au point de rappeler le paradoxe du menteur (celui qui dit « Je mens » et qui s’il ment produit un énoncé vrai et s’il dit la vérité produit un énoncé faux).

En ce sens, dire d’un énoncé qu’il est erroné, c’est dire qu’il s’éloigne (involontairement) de la vérité. La condamnation d’un énoncé comme erroné présuppose donc la fausseté de l’énoncé incriminé.

Erreur et illusion

L’illusion se distingue selon Freud de l’erreur. Alors que cette dernière est un énoncé faux, l’illusion n’est pas nécessairement fausse :

« Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, une illusion n’est pas non plus nécessairement une erreur. L’opinion d’Aristote, d’après laquelle la vermine serait engendrée par l’ordure – opinion qui est encore celle du peuple ignorant –, était une erreur ; de même l’opinion qu’avait une génération antérieure de médecins, et d’après laquelle le tabès aurait été la conséquence d’excès sexuels. Il serait impropre d’appeler ces erreurs des illusions, alors que c’était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part de désir que comportait cette erreur est manifeste. On peut qualifier d’illusion l’assertion de certains nationalistes, assertion d’après laquelle les races indo-germaniques seraient les seules races humaines susceptibles de culture, ou bien encore la croyance d’après laquelle l’enfant serait un être dénué de sexualité, croyance détruite pour la première fois par la psychanalyse. Ce qui caractérise l’illusion, c’est d’être dérivée des désirs humains ; elle se rapproche par là de l’idée délirante en psychiatrie, mais se sépare aussi de celle-ci, même si l’on ne tient pas compte de la structure compliquée de l’idée délirante. » (Freud 1927 : 44)

L’idée délirante, contrairement à l’illusion, est fausse : on peut résumer cette observation en disant que l’erreur comme l’idée délirante sont définissables comme discours faux, alors que l’illusion peut, le cas échéant, se trouver être vraie :

« L’idée délirante est essentiellement – nous soulignons ce caractère – en contradiction avec la réalité ; l’illusion n’est pas nécessairement fausse, c’est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Une jeune fille de condition modeste peut par exemple se créer l’illusion qu’un prince va venir la chercher pour l’épouser. Or ceci est possible ; quelques cas de ce genre se sont réellement présentés. Que le Messie vienne et fonde un âge d’or, voilà qui est beaucoup moins vraisemblable : suivant l’attitude personnelle de celui qui est appelé à juger de cette croyance, il la classera parmi les illusions ou parmi les équivalents d’une idée délirante. Des exemples d’illusions authentiques ne sont pas, d’ordinaire, faciles à découvrir ; mais l’illusion des alchimistes de pouvoir transmuter tous les métaux en or est peut-être l’une d’elles. Le désir d’avoir beaucoup d’or, autant d’or que possible a été très atténué par notre intelligence actuelle des conditions de la richesse ; cependant la chimie ne tient plus pour impossible une transmutation des métaux en or. Ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci la réalisation d’un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l’illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel. » (Freud 1927 : 44-45)

L’erreur est un discours faux, mais qui n’est pas nécessairement mu par des désirs. L’illusion est mal fondée mais pas nécessairement fausse. L’idée délirante est mal fondée et fausse.

Erreur, mensonge et tromperie

L’erreur se distingue du mensonge à deux égards. La première différence, sur laquelle tout le monde devrait être d’accord[7], est que le mensonge se caractérise par le fait que c’est un acte intentionnel, alors que l’erreur est un acte inintentionnel. D’un point de vue éthique, il est courant que celui qui est accusé de mensonge déclare, devant des preuves irréfutables de la fausseté de ses allégations, que, en réalité, il s’est trompé. Cette défense (sincère ou non) repose sur l’idée que, moralement, un manquement sera pire, toutes choses égales par ailleurs, s’il est intentionnel. Invoquer l’étourderie constituera une ligne de justification typique, afin d’échapper à l’accusation de mensonge[8].

La seconde différence entre l’erreur et le mensonge tient à ce que dans l’hypothèse où le menteur, sans le faire exprès, a énoncé une vérité (alors qu’il croyait dire le faux), nous continuerons à le considérer comme un menteur, voire à considérer son énoncé comme mensonger[9]. En revanche, il semble plus compliqué de considérer qu’un énoncé vrai soit une erreur. En d’autres termes, si quelqu’un confond Durant et Dupond et qu’il dise « Dupont a 40 ans », signifiant « Durant a 40 ans », et s’il se trouve que Dupont a lui aussi 40 ans, il n’est pas évident de dire que l’énoncé est erroné. L’erreur, contrairement au mensonge, paraît exiger une définition non seulement pragmatique, mais sémantique : il faut que l’énoncé soit faux pour qu’il soit une erreur.

D’une manière générale, le mensonge est davantage condamné que la tromperie, pour des raisons qui ne sont pas évidentes. Par exemple, Bernard Williams rapporte le récit selon lequel saint Athanase était poursuivi par des ennemis qui voulaient le mettre à mort. Ceux-ci l’ont croisé sur le fleuve et lui ont demandé : « Où est ce traître d’Athanase ? ». Le saint homme aurait répondu : « Pas loin d’ici ». Ce faisant, il a réussi, par la ruse, à sauver sa vie tout en ne mentant pas. Toute la tradition chrétienne a salué ce subterfuge. Pourtant, il faudrait se demander quelles sont les raisons pour lesquelles il serait mal de mentir. Deux raisons principales se présentent à l’esprit. Selon la première, c’est parce que le vrai est une valeur et que prononcer le faux est, en soi, mauvais. Mais alors comment rendre compte du fait que, dans de nombreux courants philosophiques, mentir peut s’avérer constituer une bonne action (pour sauver un innocent ou encore mentir pour faire une bonne surprise à quelqu’un) ? Selon la seconde raison, le mensonge serait immoral non pas parce qu’il s’écarterait du vrai mais parce qu’il induirait autrui en erreur. Mais c’est exactement ce qu’a fait saint Athanase, pourtant loué pour n’avoir précisément pas menti. Nous ne résoudrons pas ce problème mais nous souhaitions simplement attirer l’attention du lecteur sur les difficultés qu’il y a à séparer mensonge et tromperie d’un point de vue éthique (Williams 2002, 126-127). L’accusation d’erreur en tant qu’énoncé involontairement faux, quant à elle, relève, non pas d’un point de vue éthique, mais d’un point de vue méthodologique. L’historien n’est censé ni se tromper, ni – à plus forte raison – tromper ou mentir. Dans la partie sur le droit ci-après, nous reviendrons sur les erreurs invincibles et les erreurs inexcusables.

L’erreur en sciences naturelles

Bien que les mathématiques soient centrales dans l’édifice des sciences, l’erreur en mathématique n’est pas du même ordre que l’erreur dans les autres disciplines. En effet, contrairement à l’erreur d’ingénieur, qui peut donner lieu à des conséquences fâcheuses (ou heureuses, du reste) l’erreur en mathématique n’aurait, en tant que telle, aucun effet sur le monde extérieur (Baruk 1985 : 44).

Selon Bachelard, l’erreur joue un rôle pédagogique : le scientifique – et l’enfant avant lui – apprend à dire non à son intuition et à tout ce qu’il croit avoir compris. Les obstacles épistémologiques sont autant de passages obligés d’une compréhension scientifique du monde à une autre plus aboutie. Il ne faut donc pas dénigrer l’erreur ni se contenter de la célébrer mais la contempler dans un premier temps, l’interroger, la saisir pour, enfin, la surmonter :

« [E]rreur, tu n’es pas un mal. Comme le dit fort bien M. Enriques. “Réduire l’erreur à une distraction de l’esprit fatigué, c’est ne considérer que le cas du comptable qui aligne des chiffres. Le champ à explorer est bien plus vaste, lorsqu’il s’agit d’un véritable travail intellectuel.” C’est alors qu’on accède à l’erreur positive, à l’erreur normale, à l’erreur utile ; guidé par une doctrine des erreurs normales, on apprendra à distinguer, comme le dit encore M. Enriques “les fautes auxquelles il convient de chercher une raison de celles qui, à proprement parler, ne sont pas des erreurs, mais des affirmations gratuites, faites, sans aucun effort de pensée, par des bluffeurs qui comptent sur la chance pour deviner du coup ; dans ce dernier cas l’entendement n’y est pour rien” ». (Bachelard 1938 : 243)

On le voit, Bachelard tâche de donner à l’erreur une place positive et nécessaire, pour peu, bien entendu, que l’erreur soit le fruit d’une réflexion et d’un effort. En d’autres termes, l’erreur joue un rôle positif si elle est le meilleur résultat auquel il était possible d’arriver vu l’état de nos connaissances. C’est suite à ce genre d’erreur que l’enseignant est en mesure de féliciter l’élève tout en précisant que sa réponse est erronée.

Popper fait également jouer à l’erreur un rôle central mais en déplaçant la question. La perspective est désormais moins celle de l’apprenant – comme chez Bachelard – que celle de la théorie scientifique. Popper réagit aux propositions du vérificationnisme, doctrine d’après laquelle une théorie est scientifique s’il est possible de savoir comment l’on peut la vérifier. Si, à l’inverse, une théorie est invérifiable, c’est le signe qu’elle n’est pas scientifique. Popper poursuit cette exigence de scientificité et déplace le curseur : une théorie sera scientifique non pas si elle est vérifiable mais si l’on peut la réfuter, la falsifier.

« Mais nous ne voulons toutefois reconnaître comme empirique qu’un système susceptible d’un contrôle par l’“expérience”. Cette considération nous suggère de proposer comme critère de démarcation non pas la vérifiabilité mais la falsifiabilité du système. En d’autres termes, nous n’exigeons pas que le système puisse, au moyen de la méthode empirique, être distingué définitivement de manière positive, mais exigeons que la forme logique du système permette de le distinguer négativement au moyen du contrôle méthodique : un système de la science empirique doit pouvoir être mis en échec par l’expérience. » (Popper 1935 : 255-256)

La réfutation – la démonstration du caractère erroné d’une théorie – ou plutôt la réfutabilité devient donc le critère de scientificité : une théorie qui n’est pas susceptible d’être erronée ne trouve plus sa place dans la science selon Popper. En outre, dans la perspective poppérienne, on retient la théorie qui se soumet à la critique visant à la falsifier et qui, ensuite, y résiste le mieux.

Erreur en sciences humaines

Les sciences humaines intègrent une dimension absente dans les sciences de la nature : les normes humaines. En effet, alors que les sciences de la nature – au sens strict, puisqu’on pourrait inclure la sociologie dans les sciences de la nature au sens large – étudient, analysent, isolent les lois de la physique, lesquelles sont censées être indépendantes de l’observateur, les normes que scrutent les sciences humaines sont telles que l’observateur lit les normes au travers de sa propre personnalité et de son profil psychosociologique. D’ailleurs, toute une partie de la méthodologie en sciences humaines aura pour vocation de cadrer (sans toutefois nier) la dimension de l’interprétation dans le travail du chercheur, de sorte que celui-ci ne soit pas mû par des considérations extrascientifiques.

D’une manière générale, la norme en sciences humaines se comprend en fonction de la possibilité de l’erreur. En effet, il n’y a de sens à parler d’une norme sociale que s’il est possible (donc ni impossible ni nécessaire) que les agents s’écartent de la norme. Mais l’inverse est-il vrai ? L’erreur suppose-t-elle l’existence d’une norme ? Selon Göran Sundholm, une erreur suppose l’existence d’une norme par rapport à laquelle un écart se produit[10]. Winch le dit dans un passage souvent cité :

« [L]’idée de suivre une règle est logiquement inséparable de celle de commettre une erreur. S’il est possible de dire de quelqu’un qu’il suit une règle, cela signifie que l’on peut se demander s’il fait ce qu’il fait correctement ou non. Autrement, il n’existe dans son comportement aucun point d’appui par lequel la notion de règle puisse trouver à s’appliquer ; il n’y a alors aucun sens à décrire son comportement de cette manière, à partir du moment où tout ce qu’il fait est aussi bien que ce qu’il pourrait faire d’autre, alors que tout l’enjeu du concept de règle est qu’il doit nous permettre d’évaluer ce qui est en train d’être fait. » (Winch 1958 : 88).

Winch conditionne donc l’existence d’une règle à la possibilité de l’erreur. Roth appelle ceci le « problème de Winch » : « if no rules, then no social kinds, i.e. nothing brutally social to be explained. » (Roth 2003: 391). En l’absence de règles, il n’est pas possible de parler de catégories sociales : sans règles, on ne saurait parler de faits sociaux. Roth soutient quant à lui l’idée d’une asymétrie entre l’erreur et la norme : la norme suppose certes la possibilité d’une erreur, mais l’inverse n’est pas vrai, puisqu’une erreur est envisageable sans qu’une norme n’ait existé précédemment.

« I argue that an asymmetric relation exists between the notion of mistakes and that of the social. In particular, mistakes do not presuppose a concept of the social, but the concept of the social requires prior specification of a category of mistakes. But no such prior specification proves possible. » (Roth 2003: 389)

Ainsi, selon Roth, l’erreur ne suppose pas nécessairement l’existence d’une norme : « Mistakes can occur even in the absence of rules, norms, etc. » (Roth 2003: 390). Un exemple peut nous aider à nous représenter la chose : il y a de nombreuses erreurs aux échecs qui consistent à ne pas jouer stratégiquement, sans toutefois que l’on puisse formuler les règles stratégiques qui sont transgressées[11].

L’erreur est donc en sciences sociales encore plus centrale qu’en sciences exactes, puisqu’elle est partie prenante de la définition des objets étudiés (les normes). En outre, les exigences poppériennes de falsifiabilité trouvent également à s’appliquer, le cas échéant, dans les sciences sociales.

Erreur en droit

Comme en science, la notion de l’erreur est très présente en droit, mais sur un mode très différent. En effet, si le débat reste ouvert de savoir si le discours scientifique vise à produire une description précise et concordante du monde ou bien des théories qui soient simplement utilisables, il en va autrement dans le domaine du droit. Ici, le but n’est jamais de décrire le monde – encore que la théorie du droit a pour vocation de décrire l’état du droit. Le droit vise plutôt à gérer les rapports des citoyens entre eux ainsi que leur rapport à l’État. Le droit n’offre donc pas une approximation d’une description du monde mais un ensemble d’outils et d’instruments dont chacun peut se servir à sa guise.

L’erreur est une notion très présente en droit et nous nous proposons de sélectionner, parmi un ensemble de possibilités (erreur judiciaire, erreur de fait, erreur de droit, erreur sur la substance, l’erreur in negotio, l’erreur in corpore, etc.) deux types d’erreurs qui sont intéressantes pour ce qui concerne, précisément, les autres domaines, y compris les sciences de la nature et les sciences sociales. Les deux types d’erreurs qui nous retiendront ici sont l’erreur invincible et l’erreur inexcusable.

L’adage Nul n’est censé ignorer la loi permet au juge de ne pas avoir à tenir compte du fait que l’accusé ignorait la loi. Cet adage est souvent décrit comme une fiction ; il s’agit plutôt selon nous d’une présomption irréfragable, c’est-à-dire que l’on ne peut pas renverser (Goltzberg 2012), selon laquelle le juge n’a pas le droit de motiver une décision de justice en faisant appel à l’ignorance de l’accusé, même s’il est avéré qu’il l’ignorait (c’est en cela que la présomption est irréfragable). Cet adage est toutefois nuancé par l’existence des erreurs invincibles. Voici l’une des formulations de l’erreur invincible :

« N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte. » Article 122-3 du code pénal français.

Si par exemple l’accusé parvient à montrer qu’il a reçu au sujet d’un projet une autorisation d’une administration, alors que cette action est en réalité interdite par la loi, il pourra, sous certaines conditions restrictives, bénéficier de la qualification d’erreur invincible. En résumé, alors que la justification invoquant l’erreur sur le contenu de la législation est bloquée par l’adage Nul n’est censé ignorer la loi, celui-ci connaît toutefois des exceptions.

Face à l’erreur invincible, il y a l’erreur inexcusable. Une erreur, en droit civil, est prise en compte uniquement dans la mesure où elle aurait pu être commise par une personne raisonnable. Inversement, certaines erreurs commises par un professionnel seront jugées inexcusables si ce professionnel est censé posséder une parfaite maîtrise d’un problème. Ainsi, aura commis une erreur inexcusable un commerçant qui, ayant commandé du tissu pour fabriquer des imperméables, s’aperçoit ensuite que les tissus commandés ne sont pas imperméables (Van Ommeslaghe 2010 : 239). Il est certes possible (quoique malheureux) qu’un commerçant commette ce type d’erreur, mais le caractère erroné de son intention n’est pas à même d’annuler les termes du contrat.

En résumé, l’erreur invincible rend caduque la responsabilité de celui qui la commet, alors que l’erreur inexcusable rend vaine toute justification.

Comment rendre l’erreur impossible ?

Il existe plusieurs manières d’empêcher les erreurs. Une façon est d’éviter d’en faire – tâche ô combien difficile –, l’autre est de rendre impossible leur apparition. Il suffit dans le premier cas de se comporter de manière parfaite, ce qui n’est pas toujours réalisable. En revanche, aucune perfection n’est requise pour s’assurer l’infaillibilité, il suffit de décider qu’un corpus donné sera tel qu’aucune critique ne sera recevable. Analysons quatre systèmes qui ont mis au point une telle infaillibilité.

Le holisme

Le holisme est la doctrine d’après laquelle les éléments prennent leur sens à partir de la totalité dans laquelle ils s’insèrent. Le holisme s’oppose à l’atomisme en ce que ce dernier prend l’énoncé atomique (la phrase) comme unité susceptible d’être vraie, fausse, vérifiée ou falsifiée. Le holisme conçoit plutôt la théorie comme un tout dans lequel les énoncés – dont certains renvoient individuellement à un état de choses – se répondent les uns aux autres. Selon Quine, qui prônait un holisme nuancé, si un énoncé devait s’avérer faux, il serait toujours possible de le sauver – de sauver les apparences – quitte à devoir plaider l’hallucination. En écrivant d’une part « Any statement can be held true come what may » et « no statement is immune to revision »[12], Quine montre combien, même en science, la possibilité d’une erreur et d’une falsification est déterminée par des décisions en amont : si l’acceptation du caractère erroné d’une partie de la théorie est trop coûteux (car il faudrait abandonner toute la théorie), on peut modifier d’autres parties du système pour accommoder cette erreur apparente. Ainsi, on plaidera par exemple l’hallucination locale à propos d’une observation qui contredit la théorie, pour ne pas avoir à la remplacer dans son ensemble. Une erreur, comme l’indiquait Schiller, n’existe pas en soi mais est tributaire de la manière dont on est prêt à l’envisager.

Infaillibilité du scribe comme auteur

En philologie, on distingue d’une manière générale deux types de changements opérés par les scribes, selon qu’ils sont d’origine mécanique ou conceptuelle. Alors que les derniers sont le fruit d’une mauvaise interprétation, les premiers sont involontaires. C’est ainsi que Weiss Halivni, notamment, distingue deux types de changements rédactionnels : les changements transmissionnels « pénètrent dans le texte sans que le transmetteur en ait conscience » : elles sont la « simple conséquence de la faillibilité humaine ». En revanche, les changements rédactionnels « se font consciemment », « ne se produisent que par la volonté des rédacteurs » (Weiss Halivni 2011 : 17). Canfora admet, avec Weiss Halivni, que l’immense majorité des changements sont volontaires, mais il va encore plus loin : pour sa part, il remet en question l’opposition entre les fautes selon qu’elles seraient mécaniques ou conceptuelles. En effet, même dans les fautes mécaniques, Canfora soutient qu’il existe un facteur conceptuel (Canfora 2012 : 31). En d’autres termes, le scribe ne saurait véritablement commettre d’erreurs ; il procède à des changements qu’il assume en réalité beaucoup plus qu’on ne le croit. C’est la raison pour laquelle il fait du scribe un auteur à part entière.

Le discours théologique

Le discours théologique part de certains présupposés, dont celui de la perfection de Dieu et donc du texte révélé. Ainsi, toute action consignée dans les textes sacrés et portant sur Dieu sera analysée comme ne contenant pas de trace d’imperfection dans la personne divine. Si de telles imperfections devaient se présenter, elles seraient traduites automatiquement comme apparentes et seraient levées par le discours apologétique. Mais il convient de distinguer le métarécit[13] théologique et une analyse plus fine. Selon le métarécit théologique, un texte est accepté dans le canon biblique en vertu de sa perfection (pas de contradictions, une construction pleinement justifiée, etc.). En revanche, d’après une analyse procédant par décentrement, c’est l’inverse qui est vrai : le texte sera parfait en vertu de sa canonisation – ce qui ne signifie pas que les raisons qui président à la canonisation soient arbitraires. Une fois que le texte aura été canonisé, les interprètes officiels du texte s’attacheront à lever les contradictions, les redondances et autres défauts putatifs. Il arrive que l’auteur de commentaires de la Bible procède à son tour à une décision selon laquelle son propre texte doit être lu avec la même acribie[14] que la Bible elle-même. Ainsi, Maïmonide prévient son lecteur que « dans ce traité, il ne m’est jamais arrivé de parler comme par hasard mais (tout a été dit) avec une grande exactitude et avec beaucoup de précision » (Maïmonide, Guide des égarés : 23). Cette remarque, entre autres, a convaincu Leo Strauss que Maïmonide a pratiqué un art d’écrire pour initiés – qui pratiqueraient l’art de lire – et tel que seul les non-initiés prendraient pour des erreurs ce qui en réalité est un système crypté de messages hétérodoxes (Strauss 1941 : 209-276).

Le système juridique

Dans la vision (caricaturalement) positiviste du droit, la loi est la seule source du droit, elle est exhaustive et ne contient ni contradiction ni lacune. À nouveau, si la loi semble présenter une lacune (un cas n’ayant manifestement pas été prévu par le législateur), de deux choses l’une : soit une des catégories juridiques sera étendue par analogie (par exemple l’extension de la définition d’une ancienne arme interdite afin de condamner une nouvelle arme), soit l’objet soi-disant non prévu par la loi (la nouvelle arme) sera considéré comme autorisé. Ce n’est pas que l’on ne trouve pas de lacune dans un corps de lois, c’est plutôt que l’on n’admet pas de lacunes. Celles-ci seront automatiquement traduites comme un phénomène d’un autre ordre.

Il est important de relever que l’immunisation contre l’erreur est en grande partie similaire dans le discours théologique et dans les philosophies du droit positivistes. C’est, en quelque sorte, un (bon) usage de la paranoïa, qui est certes un délire d’interprétation mais un délire structuré ; le juriste positiviste qui va relire le texte de loi pour y faire entrer à tout prix certaines significations qu’il n’a manifestement pas se comporte, mutatis mutandis, comme un être délirant sous la forme d’un délire cohérent et systématisé : chaque mot de la loi en vient à être doté d’une signification nouvelle, ce qui permet de déduire toutes sortes de normes d’éléments qui seraient, autrement, redondants. Notre analogie est ponctuelle et vise uniquement trois points : le caractère systématique du raisonnement (la paranoïa n’est pas un délire déstructuré), le dispositif qui rend impossible l’erreur, et la présupposition (implicite dans la paranoïa mais explicite en droit et en théologie) de la perfection de l’auteur du discours immunisé. En effet, le législateur n’est pas susceptible de se tromper, pas plus que le Créateur dont parle le texte biblique.

École de Bruxelles : l’erreur comme type de connaissance

Eugène Dupréel, chef de file de l’École de Bruxelles, a souligné les dangers qu’il y avait à confondre – comme cela s’est fait classiquement en philosophie – la connaissance et la connaissance vraie. Ce sont, dit-il, des objets différents. La connaissance contient la connaissance vraie, la connaissance fausse (notamment l’erreur) et la connaissance qui n’est ni vraie ni fausse. Ainsi l’erreur n’est pas décrite par Dupréel comme l’opposé de la connaissance mais comme une sous-catégorie de la connaissance. Il considère toutefois la vérité comme une valeur éminente et qui s’oppose à l’erreur. Mais la raison pour laquelle la vérité s’oppose à l’erreur ne relève pas tant de la supériorité du vrai en soi que de l’utilité du vrai. Or, il arrive certes que des représentations erronées s’avèrent utiles : Dupréel invoque une faute de calcul qui, felix culpa, rendrait par hasard un pont plus solide encore que si l’erreur avait été évitée. Ce cas est tout à fait possible, mais d’une manière générale, le vrai est à privilégier parce qu’il est plus souvent utile et fiable.

L’épistémologie de Dupréel, qui ne se dit pas en tant que tel pragmatiste, annonce celle de son élève Perelman, autre grande figure de l’École de Bruxelles, lequel a fait, plus que son maître, le deuil de la notion de vérité, en particulier en philosophie du droit. En fait, la vérité n’est plus que l’une des nombreuses valeurs qui sous-tendent les divers arguments mais elle ne possède plus l’aura qu’elle avait dans la philosophie classique. Enfin, le désaccord n’est plus, chez Perelman, comme il l’était chez Descartes, le signe d’une erreur et donc de la fausseté des deux théories en présence. Si l’une des deux théories était vraie, elle emporterait sans doute l’adhésion, du point de vue cartésien.

Conclusion

L’erreur est un objet d’étude passionnant parce que son statut dans tout système de pensée en dit long sur la manière dont on conçoit notamment l’humain, le divin, l’interprétation, la théorie de la connaissance. C’est vraisemblablement une notion dont on ne peut guère se passer, et qu’il convient de distinguer, comme nous avons essayé de le faire, des phénomènes qui lui ressemblent sur certains points, comme le mensonge, la tromperie, la fiction ou l’illusion (au sens de Freud). En conclusion, il est peut-être salutaire de rappeler que si l’erreur touche en partie au réel – un énoncé erroné est nécessairement faux – la qualification d’erreur est dans une certaine mesure également le fruit d’une décision. L’on décidera qu’une erreur est possible ou impossible, et que telle erreur est invincible ou inexcusable.

* * *

Bibliographie

– Anscombe, Gertrude Elizabeth M., L’Intention, traduit de l’anglais par Mathieu Maurice et Cyrille Michon, Paris, Gallimard, « Nrf Bibliothèque de philosophie », [1957], 2002.

– Austin, John Langshaw, Philosophical Papers, edité par J. O. Urmson et G. J. Warnock, Oxford et New York, Clarendon Paperbacks, Oxford University Press, [1961], 1979.

– Bachelard, Gaston, La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Vrin, « Bibliothèque des textes philosophiques », [1938], 1993.

– Baruk, Stella, L’Âge du capitaine. De l’erreur en mathématique, Paris, Seuil, 1985.

– Canfora, Luciano, Le Copiste comme auteur, traduit de l’italien par Laurent Calvié et Gisèle Cocco, Toulouse, Anachrasis, « Essais », 2012.

– Dominicy, Marc, Poétique de l’évocation, Paris, Classiques Garnier, 2011.

– Ducrot, Oswald, Les échelles argumentatives, Paris, Minuit, « Propositions », 1980.

– Ducrot, Oswald, Le dire et le dit, Paris, Minuit, « Propositions », 1984.

– Freud, Sigmund, L’avenir d’une illusion, traduit de l’allemand par Marie Bonaparte, Paris, PUF, « Bibliothèque de psychanalyse », [1927], 1973.

– Goltzberg, Stefan, Théorie bidimensionnelle de l’argumentation juridique. Présomption et argument a fortiori, Bruxelles, Bruylant, 2012.

– Maïmonide, Le guide des égarés. Traité de théologie et de philosophie, traduit de l’arabe par Salomon Munk, Paris, Maisonneuve & Larose, 1970.

– Popper, Karl, « Problèmes fondamentaux de la logique de la connaissance », traduit par Christian Bonnet, (dir.) Laugier, Sandra et Pierre Wagner, Philosophie des sciences. Théories, expériences et méthodes, Paris, Vrin, « Textes clés de philosophie des sciences », [1935], 2004.

– Quine, Willard van Orman, From a Logical Point of View, Cambridge (Mass.) et Londres, Harvard University Press, 1953 (19612).

– Roth, Paul A., « Mistakes », Synthese, Vol. 136, N° 3 (sept. 2003), pp. 389-408.

– Strauss, Leo, « Le caractère littéraire du “Guide pour les perplexes” » [1941], in Strauss, Leo, Maïmonide, traduit de l’anglais et de l’allemand par Rémi Brague, Paris, PUF, « Épiméthée », 1988.

– Sundholm, Göran, « Error », Topoi, 2012/31, pp. 87-92.

– Van Ommeslaghe, Pierre, Droit des obligations - 3 tomes, Bruxelles, Bruylant, 2010.

– Weiss Halivni, David, La Justification de la loi. Midrach, Michnah et Guemara suivi de La Formation du Talmud, Introduction, traduction et édition par Florian Deloup Wolfowicz, Modiin, Institut Wolfowicz, 2011.

– Williams, Bernard, Vérité et véracité. Essai de généalogie, traduit de l’anglais par Jean Lelaidier, Paris, Gallimard, « Nrf Essais », [2002], 2006.

– Winch, Peter, L’Idée d’une science sociale et sa relation à la philosophie, traduit de l’anglais par Michel Le Du, Paris, Gallimard, « Nrf Bibliothèque de philosophie », [1958], 1999.

 


[1] Je tiens à remercier, pour leurs remarques, Noémie Benchimol, Jennifer Nigri, Oriane Petteni, ainsi, notamment, que les évaluateurs de la contribution.

[2] Nous nous concentrerons sur les énoncés erronés et laisserons dans une certaine mesure de côté les erreurs consistant en une action. Ainsi, lorsque nous disons que l’erreur est liée au faux, il faut comprendre :  l’énoncé erroné est lié au faux.

[3] Austin, optimiste quant au rôle de l’étymologie comme indicateur de la signification des mots à travers le temps, se propose de montrer que les termes mistake et error ont conservé leur sens étymologique : « a word never – well, hardly ever – shakes off its etymology and its formation. In spite of all changes in and extensions of and additions to its meanings, and indeed rather pervading and governing these, there will still persist the old idea. In an accident something befalls: by mistake you take the wrong one : in error you stray » (Austin 1961 : 201-202). Ce qui compte peut-être davantage que le sens étymologique, c’est la différence entre mistake et error : une mistake est une erreur facilement identifiable, alors que l’on peut très bien savoir que l’on a commis une error sans savoir où exactement.

[4] « §32 Un homme part faire le marché, une liste de courses à la main. La relation de cette liste aux choses qu’il achète effectivement est exactement la même, que la liste lui ait été donnée par sa femme ou que ce soit la sienne propre. En revanche, la relation est différente si une liste des achats est établie par un détective qui l’a pris en filature. S’il a fait la liste lui-même, elle exprime son intention. Si c’est son épouse qui la lui a donnée, elle a le rôle d’un ordre. En quoi l’ordre et l’intention ont-ils la même relation à ce qui arrive, et non le rapport du détective ? Précisément en ceci que si la liste ne concorde pas avec ce que l’homme achète, et si c’est uniquement en cela que consiste l’erreur, alors l’erreur n’est pas dans la liste mais dans l’action (si sa femme lui disait : « Regarde, c’est écrit beurre et tu as acheté de la margarine », il pourrait difficilement répondre : « Quelle erreur, il faut rectifier cela », et remplacer le mot « beurre » par « margarine » sur la liste). En revanche, si le rapport du détective ne s’accorde pas avec ce que l’homme achète effectivement, l’erreur se trouve dans le rapport. » Anscombe, Gertrude Elizabeth M., L’Intention, traduit de l’anglais par Mathieu Maurice et Cyrille Michon, Paris, Gallimard, « Nrf Bibliothèque de philosophie », [1957], 2002, pp.106-107).

[5] Les phénomènes les plus étudiés par les théories de la polyphonie sont la négation, l’écho, le présupposé, le sous-entendu, etc. (Ducrot 1980 et 1984).

[6] Certes, il est possible, pour les besoins de l’exercice, de poursuivre une hypothèse que l’on sait erronée afin d’en montrer les conséquences fâcheuses. Mais alors, on ne soutient pas l’hypothèse, on fait comme si on la soutenait, comme dans une démonstration par l’absurde : si tel était le cas – quod non – il s’ensuivrait ceci ou cela.

[7] Nous écrivons « devrait » parce que beaucoup d’auteurs continuent de parler de mensonges involontaires, notamment lorsqu’ils entendent parler de concepts comme la manipulation. C’est selon nous une contradiction dans les termes : tout mensonge est intentionnel.

[8] Baruk met en cause la possibilité d’une erreur par étourderie : « L’étourderie n’existe pas, l’erreur n’est pas le fruit du hasard. » (Baruk 1985 :50).

[9] Il est indispensable de distinguer les termes « faux » et « mensonger ». Dans plusieurs langues, il existe une confusion entre ces deux significations. Par exemple, en hébreu, le mot shiqri, provenant de sheqer (mensonge), signifie à la fois « faux » et « mensonger ». En néerlandais, le mot vals signifie « mensonger » (intentionnellement faux) alors que verkeerd signifie simplement « faux ».

[10] Voici la manière donc Sundholm le présente : « A mistake, or error, is a cognitive act gone wrong. In order for us to be able to be wrong a norm is called for. » En outre : « In order that mistakes be possible, we need a norm of objectivity. » (Sundholm 2012 : 90).

[11] Les normes stratégiques sont telles que leur transgression n’est pas rédhibitoire, elle a pour effet sur le joueur de diminuer ses chances de gagner. En revanche, les normes constitutives sont celles que l’on ne peut pas transgresser sous peine de ne plus jouer le même jeu. Par exemple, le fait que la tour ne se déplace pas en diagonale résulte des normes constitutives du jeu d’échec. Si quelqu’un s’avisait de déplacer sa tour en diagonale, ce n’est pas qu’il diminuerait ses chances de gagner ; il cesserait simplement de jouer aux échecs (orthodoxes, car il existe des versions non-orthodoxes du jeu d’échec avec d’autres normes constitutives).

[12] Voici le passage en question: « Any statement can be held true come what may, if we make drastic enough adjustments elsewhere in the system. Even a statement very close to the periphery can be held true in the face of recalcitrant experience by pleading hallucination or by amending certain statements of the kind called logical laws. Conversely, by the same token, no statement is immune to revision. Revision even of the logical law of the excluded middle has been proposed as a means of simplifying quantum mechanics. » (Quine 1953: 43).

[13] Métarécit : récit destiné à justifier, à fonder des énoncés, en l’occurrence théologiques (ndlr).

[14] Acribie : souci de précision, d’exactitude et de précaution (ndlr).

 

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La chasse aux erreurs : Lucien Febvre révélé par ses critiques

Olivier Levy-Dumoulin

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